Le Dhamma de la Forêt


Un besoin de simplicité

Phra Ajahn Martin Piyadhammo

Traducteurs : Than Alexandre, Sylvain Deleu et Florian Sibille



Ce texte est un passage d'un enseignement donné par Ajahn Martin Piyadhammo le 21mai 2007. Les enseignements d'Ajahn Martin sont à retrouver dans l'ouvrage  Enseignements de la Forêt , sélections de discours d'un moine de forêt sur la pratique bouddhiste


 Lorsque vous venez pratiquer au monastère de Baan Taad, souvenez-vous d’une chose : il y a beaucoup à faire en termes de pratique, mais seulement très peu de choses à connaître ou à comprendre. Moins de distractions il y a, mieux c’est. Mieux vaut également ne pas interagir en discutant avec d’autres personnes, surtout si vous développez la pratique de samādhi. Pour le moment, vous ne le réalisez probablement pas, mais une discussion de trente minutes ou d’une heure interférera avec votre méditation durant plusieurs heures. L’esprit sera occupé par les sujets abordés durant la conversation, pensant par exemple à des réponses plus intelligentes qu’il aurait pu donner. Ce n’est qu’une perte de temps. Il est préférable de ne pas parler du tout. Si vous souhaitez vraiment atteindre samādhi, vous devrez discuter et interagir avec les autres le moins possible et avoir sati (l’attention) le plus possible. Quelle que soit l’activité que vous êtes en train de faire, vous pouvez développer votre sati en répétant mentalement le mot ‘bouddho’ ou en observant votre respiration qui entre et qui sort à l’entrée des narines. Quoi que vous fassiez, vous devez maintenir votre attention sur l’un de ces objets, mais veillez à ne pas passer constamment de l’un à l’autre. L’objectif est d’atteindre l’état où l’esprit est rassemblé en un point unique1 – ne l’oubliez pas. Durant la journée, si votre esprit s’égare constamment, se focalise sur tel ou tel autre objet, que ce soit des sensations ou autre chose, vous ne serez pas centré sur un seul point, car l’esprit se focalisera sur beaucoup de points différents. Pour atteindre un esprit centré sur un point, vous devez être capable de vous débarrasser de tout ce qui essaie d’entrer dans votre esprit ou dans votre cœur (citta), et vous y parviendrez plus rapidement si vous réduisez au minimum les interactions avec les objets extérieurs. Je fais référence ici aux objets appelés arammana en pāli, qui sont souvent des états émotionnels. L’idée est de les observer tels qu’ils apparaissent sans interférer avec eux, puis de revenir sur la respiration ou sur le mot bouddho. C’est ce que l’on doit faire moment après moment si l’on veut développer l’attention sur la respiration ou la répétition mentale du mot bouddho. Plus vous pourrez rester longtemps avec cette pratique – depuis le moment où vous ouvrez les yeux jusqu’au moment où vous les fermez pour dormir – meilleurs et plus rapides seront les résultats. N’oubliez pas cela. Peu importe ce qui apparaît, laissez-le apparaître ; soit vous n’y prêtez aucune attention, soit vous vous en débarrassez. Si quelque chose apparaît et s’obstine à rester, laissez-le de côté et continuez votre pratique. Par exemple, si les kilesa ne veulent pas pratiquer, dites-leur simplement : « Très bien, vous ne le voulez pas, mais moi je continue avec ma pratique. Faites ce que vous voulez, mais je ne suis intéressé que par ma pratique. » Si vous êtes déterminé à avancer de cette manière, les kilesa devront s’en aller. Comprenez ceci : les kilesa ne vivent que si on leur prête attention, si l’on s’intéresse à eux. Si nous ne leur donnons aucune énergie mentale, ils sont voués à disparaître, au moins pour un temps. Si notre sati nous échappe, par contre, les kilesa pourront nous reprendre toute l’énergie accumulée durant la pratique ; nous serons alors obligés de lutter pour en récupérer une partie.

Nous devons être prudents quant à ces absences de sati. Si nous avons développé une assez bonne concentration, mais que sati est absente, ayant sauté sur un autre sujet qui nous intéresse, il est possible de perdre toute l’énergie accumulée durant les deux ou trois heures précédentes. C’est l’intérêt que l’on porte aux choses qui nous entourent qui permet aux kilesa de survivre. Comprenez bien cela. Les kilesa n’aiment pas observer la respiration ou répéter le mot bouddho – ils veulent jouer, jouer avec tout ce qui nous entoure comme les objets mentaux, les sons portés à nos oreilles, les objets que nous voyons. Mais si, en tant que pratiquants, nous ne montrons aucun intérêt, ne leur prêtons pas attention et que nous restons seulement concentrés sur la respiration ou le mot bouddho, les kilesa seront à court d’énergie et devront disparaître. Cela amènera tranquillité, quiétude et bonheur. Les kilesa sont constamment en train de réclamer notre attention, comme de petits enfants tirant sur la robe de leur mère. Comme on a pu le voir dans les magasins : des enfants désirant avoir les objets qu’ils voient, voulant ceci, voulant cela. Si la mère cède, l’enfant voudra plus ; si elle ne cède pas, l’enfant pleurera encore et encore jusqu’à finalement abandonner, car sa mère ne lui prête aucune attention. De même, dans la pratique de la méditation, nous ne devrions pas prêter attention à ces enfants pleurnichards que sont les kilesa. Et si nous ne leur prêtons pas attention, ils arrêteront de nous déranger, amenant tranquillité et paix à l’esprit.

Cependant, les kilesa sont bien plus intelligents que des petits enfants. Ils nous connaissent beaucoup mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes. Ils concoctent toute une panoplie de choses différentes – comme la colère, l’avidité, le désir et l’aversion, la peur de la mort, la peur de l’inconnu, etc. – et ils nous accrochent avec cela. Pour les occidentaux, ils font généralement apparaître des doutes, souvent au sujet de la pratique, si elle en vaut la peine ou si, peut-être, une autre pratique apporterait de meilleurs résultats. Après quelques jours, nous passons à une autre pratique, puis une autre et encore une autre. Ce n’est que plus tard, lorsque nous regardons en arrière, que nous voyons que les kilesa nous ont trompés, de la même manière qu’ils nous ont trompés durant toute notre vie. Toutes nos vies, qu’elles soient passées ou présentes, ont été ainsi : vouloir ceci, ne pas vouloir cela. Les kilesa ont pris toutes les décisions, et nous, nous leur répondions : « Très bien, allez-y, et je payerai le prix. » Mais en débutant la pratique de sati, on peut commencer à voir le déroulement de ce processus et commencer à interférer avec le pouvoir d’avijjā (ignorance fondamentale) qui nous a gardé emprisonnés durant si longtemps. Si nous ne nous dressons pas contre les gardiens de la prison, si nous ne leur retirons pas leur pouvoir, nous resterons dans cette prison pour toujours. Ils ne nous laisseront pas partir sans combattre. Nous devons donc apprendre à les affronter, à les piéger et enfin les vaincre. Afin de les piéger, nous devons redoubler d’effort et de détermination pour rester concentrés sur un seul point ; c’est ce qu’ils détestent le plus car ils trouvent la respiration et le mot bouddho extrêmement ennuyants. Nous devons devenir très intéressés par l’objet de méditation, de manière à ce que toute notre énergie et toute notre attention se concentrent sur un seul point.

 C’est l’intérêt qui maintiendra notre concentration sur ce point, et s’il diminue, les kilesa auront l’opportunité de prendre le pouvoir. C’est comme s’il y avait un trône, et que son occupant pouvait être soit la lumière (Dhamma) soit l’obscurité (avijjā). Seul l’un d’entre eux peut nous dire quoi faire à chaque moment donné ; quand nous donnons au Dhamma l’occasion de régner, nous continuons notre pratique. Cependant, si notre intérêt pour le Dhamma diminue à cause de notre lassitude, ou que nous pensons ne pas avoir obtenu les résultats attendus, nous laissons avijjā régner. Les kilesa chuchotent que nous pourrions faire tellement d’autres choses. Ils sont très persuasifs et nous croyons tout ce qu’ils nous disent. Ils sont comme de petits oiseaux assis derrière nos oreilles à pépier que ce serait intéressant de faire ceci ou cela, et leurs paroles sont si mielleuses que nous trouvons leurs suggestions irrésistibles.


1 Note de traduction : pour indiquer l’expérience de samādhi profond (en pāli, appanā samādhi), Ajahn Martin utilise souvent le mot anglais ‘onepointedness’ difficile à traduire en français. En fonction du contexte, les termes ‘singularité’, ‘esprit centré/concentré/rassemblé en un seul point ou point unique seront utilisés de manière interchangeables.