Le Dhamma de la Forêt


Les étapes de la Voie

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Instructions de méditation

par le Vénérable Ajahn Tate


Traduction de Jeanne Schut





Avant-propos de l’auteur


Ce texte est né de la foi et de l’intérêt d’un Occidental d’origine juive, le Dr Philip. Il est venu étudier le bouddhisme en Thaïlande en 1963, à l’époque où je vivais sur l’île de Phuket. Il a pratiqué la méditation avec moi pendant six mois d’affilée et il m’a semblé qu’il avait développé non seulement une certaine paix de l’esprit mais également une réelle appréciation de la valeur du bouddhisme. Avant de retourner à Hawaï, il m’a demandé de noter pour lui, brièvement et simplement, les points qui lui permettraient de poursuivre sa pratique une fois rentré chez lui, des instructions qui souligneraient l’importance de la méditation, indiqueraient comment méditer – les manières correctes et incorrectes – et donneraient plus de détails sur la façon de corriger ce qui doit être corrigé dans la pratique. J’ai appris, plus tard, que le Dr Philip avait fait paraître ces instructions dans un magazine et je me suis dit qu’un petit livret de ce type pouvait effectivement être utile à ceux qui s’intéressent à la méditation. J’ai donc repris ces notes, j’en ai amélioré le style et j’y ai ajouté quelques points pour les compléter, de façon à faire de ce livret un guide pour la pratique de la méditation.

S’il y a là des choses qui ne sont pas exactes, je demande à ce que la responsabilité m’en soit entièrement attribuée.


1.

L’un des fondements des enseignements du Bouddha est que l’esprit et le corps fonctionnent ensemble mais que le corps est sous le contrôle de l’esprit. L’esprit est ce qui ordonne au corps de faire ceci ou cela mais bien sûr, quand le corps s’épuise, l’esprit est nécessairement affecté lui aussi. L’esprit n’est pas sous le contrôle du système nerveux, même si on peut considérer le cerveau comme le centre des opérations. Quand le corps meurt et qu’il se désintègre selon la nature des différents éléments qui le composent, l’esprit – si les conditions nécessaires de manque d’attention, de désir, d’attachement et de kamma sont présentes – devra réapparaître dans un plan d’existence ou un autre, et continuer à passer par la souffrance et le mal-être.


2.

Pour en finir avec le manque d’attention, le désir, l’attachement et le kamma, principaux instigateurs de la renaissance, nous devons tout d’abord apprendre à cesser d’engendrer les maux élémentaires liés à la parole et à l’action en observant les principes de moralité correspondant à notre situation sociale. En d’autres termes, les laïcs doivent observer les 5 préceptes et, de temps en temps, les 8 préceptes ; les novices doivent observer les 10 ou les 20 préceptes ; et les moines, les 227 préceptes du code monastique tout en suivant les principes d’une vie pure, d’une modération des sens et en utilisant à bon escient les nécessités de la vie telles que prescrites par le Bouddha.

Tant que vous ne serez pas capable d’observer honnêtement vos préceptes, votre esprit ne sera pas encore prêt à être entraîné. Même si vous l’entraîniez, vous ne progresseriez pas dans le Dhamma car les fondations ne seraient pas assez stables pour vous permettre d’avancer sur le Noble Sentier. On pourrait dire qu’un tel esprit n’a pas encore trouvé refuge dans le Triple Joyau – le Bouddha, le Dhamma et le Sangha. Un véritable bouddhiste doit, avant tout, être fermement ancré dans le Triple Joyau et les principes de moralité.

Le Noble Octuple Sentier et les trois enseignements qui sont au cœur du bouddhisme – éviter toute forme de mauvaise action, perfectionner l’attention et purifier le cœur – doivent être fondés sur la vertu morale. C’est pourquoi, dans les enseignements du Bouddha, la moralité est le premier pas dans la vie spirituelle.

L’étape suivante consiste à entraîner l’esprit à développer la concentration (samādhi) et l’absorption (jhāna) par la pratique de la méditation. Une fois que l’esprit est capable de maintenir une concentration stable, nous pouvons développer, dans un second temps, la vision pénétrante (vipassanā). Celle-ci a pour fondement l’examen approfondi des Trois Caractéristiques de l’existence : l’impermanence ou incertitude, la souffrance ou insatisfaction, et le non-soi ou impersonnalité de tous les phénomènes. Ceci nous conduira à une connaissance pure et à un regard juste sur les choses ; nous les percevrons telles qu’elles sont réellement et cela nous permettra de nous libérer de tout ce qui est néfaste et erroné.


3.

Dans le bouddhisme, le véritable but du développement de la concentration et de l’absorption méditative est de regrouper toute son énergie mentale, de la stabiliser, de la renforcer et de la concentrer en un point unique. Cette énergie concentrée sera le fondement de la connaissance et de la sagesse. Ensuite, connaissance et sagesse permettront d’avoir un regard véritablement pénétrant sur tous les phénomènes naturels et d’éliminer tout ce qui est néfaste et erroné dans notre cœur. Ainsi, le calme de l’esprit n’est pas développé dans le but d’améliorer nos performances dans le monde extérieur – dans le monde des sciences, par exemple – mais pour nous libérer des pollutions mentales comme les Cinq Obstacles (nīvarana) et purifier ainsi notre cœur. Par contre, quand on en arrive à ce stade de la pratique, on peut très bien utiliser le calme de l’esprit à toutes fins utiles, dans la mesure où cela ne fera de mal à personne.


4.

Quand on entraîne son l’esprit, l’esprit étant un phénomène mental, on n’a que faire d’accessoires matériels comme des chaînes ou une laisse. On entraîne l’esprit en lui faisant la leçon – d’abord en écoutant les explications de ceux qui ont l’expérience et les qualités requises, ensuite en étant déterminé à pratiquer selon ces explications. Si vos propres explorations dans le domaine des causes et effets n’ont pas donné de résultats probants, il faudra appuyer vos premières tentatives de pratique sur la confiance en vos enseignants.

De manière générale, les gens qui commencent à explorer la loi de cause à effet par eux-mêmes n’atteignent pas le but désiré parce que leur approche est incorrecte. Ils passent à côté de la voie juste parce qu’ils ont tendance à se laisser influencer par leurs propres opinions. Pour obtenir des résultats satisfaisants, il faudra développer un sentiment de confiance envers la personne qui vous apprend à entraîner votre esprit et envers les pratiques qu’elle vous conseille, jusqu’à ce que votre esprit soit ferme et stable. Ensuite vous pourrez commencer à explorer et à voir par vous-même comment les choses fonctionnent réellement.

La raison en est qu’une première exploration de la loi de cause à effet commence généralement par un regard extérieur sur les choses et des préjugés : « Telle personne dit ceci, telle autre dit cela. » En réalité, l’entraînement de l’esprit consiste purement et simplement à raisonner et à explorer les choses uniquement de l’intérieur. On doit observer et explorer les causes et les effets exclusivement dans les limites du corps. On se demandera, par exemple : « De quoi est donc fait mon corps ? Comment se fait-il que tous ses composants soient entiers et fonctionnent bien ? A quoi est-il sensé servir ? Qu’est-ce qui le maintient en vie ? Est-ce son destin de se développer puis de se détériorer ? M’appartient-il réellement ? » Et puis on passera à l’examen des phénomènes mentaux : « L’avidité, la colère, la vision erronée, l’amour, la haine, etc. apparaissent-ils au niveau du corps ou de l’esprit ? Qu’est-ce qui les fait apparaître ? Quand ils sont présents, sont-ils agréables ou désagréables ? »

Cependant, si votre esprit n’est pas encore en mesure de trouver un véritable calme, n’allez pas raisonner en fonction de ce que disent les livres ou de ce que vous avez entendu dire car rien de cela ne vous mènera à la vérité – autrement dit, cela ne vous apportera pas un sentiment de détachement par rapport au corps et à l’esprit. Alors, limitez-vous à explorer et à observer les choses selon les causes et les effets qui apparaissent réellement dans l’esprit et dans l’instant.


5.

L’esprit qui observe et découvre des choses par lui-même de cette manière aura tendance à se concentrer exclusivement sur un point ou un objet unique. C’est ce que l’on appelle la concentration « pointue ». Les énergies de l’esprit sont tellement concentrées qu’il en découle une grande force capable de déraciner les attachements et les idées erronées. L’esprit est ainsi nettoyé de sorte que, pour l’instant, il est clair et lumineux. Au minimum, vous ressentirez de la paix, un extrême sentiment de bien-être dans le corps et l’esprit, et peut-être même une forme de connaissance assez étrange dans la mesure où elle ne vient pas d’images mentales mais de causes et effets de la vérité en action dans l’instant présent, d’une manière tout à fait inconnue jusque-là. Même s’il s’agit d’une connaissance que vous avez toujours soupçonnée, ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle sera vraiment vôtre, qu’elle illuminera votre esprit et fera s’évaporer tous les doutes que vous avez pu avoir à propos de choses qui vous préoccupaient. Vous vous direz, avec un sentiment de profonde satisfaction et de soulagement : « Alors, c’est comme ça que ça marche ! »

Ceux dont la sensibilité est émoussée n’apprécieront pas cette connaissance nouvelle tant qu’elle n’aura pas été confirmée par un maître ou par des enseignements écrits. Cela prouve simplement que les disciples du Bouddha sont de toutes sortes.

Ce type de connaissance, quelle que soit son envergure, ne pèsera pas sur votre système nerveux. Au contraire, c’est une forme de bien-être réel et paisible qui réjouira et rafraîchira grandement vos nerfs. En même temps, elle affinera votre esprit et votre attitude d’une manière qui sera très inspirante pour les autres. Quoi que vous disiez ou fassiez, ce sera avec une attention presque toujours soutenue. Quand une telle chose vous arrive, vous devez essayer de maintenir tous ces bienfaits qui en découlent et ne pas devenir négligent ou content de vous.

Mais chacun est différent et ce que je viens de décrire n’arrive pas à tout le monde. Quoi qu’il en soit, quand vous aurez entraîné votre esprit comme expliqué ci-dessus, même si vous n’obtenez pas tous les résultats possibles, vous aurez tout de même un grand sentiment de paix et de bien-être proportionnel à l’engagement que vous aurez investi dans votre pratique. Vous devrez alors essayer de maintenir cet état d’esprit. Ne permettez pas qu’apparaissent en vous des sentiments d’avidité ou de désir, de déception ou de découragement. Que votre esprit reste neutre. Continuez à pratiquer comme je l’ai expliqué depuis le début, avec confiance et conviction. Soyez attentif, présent et vigilant à chaque étape de la pratique, et vous atteindrez inévitablement les résultats que vous espérez.


6.

Si l’entraînement de l’esprit comme expliqué aux points 4 et 5 ne donne pas de résultats, regroupez votre attention et concentrez-la fermement sur un objet unique ou une image mentale qui sera sa cible. Par exemple, concentrez-vous sur un aspect du corps – comme les os ou bien un organe interne – et voyez-en l’aspect repoussant. Ou encore, concentrez l’esprit sur l’attention elle-même. L’esprit ne peut être vu par l’œil ; s’il n’est pas concentré sur quelque chose, on n’a aucun moyen de savoir s’il est présent ou pas. C’est comme le vent : si le vent n’entre pas en contact avec quelque chose, on ne sait pas qu’il est là.

Il en va de même pour l’esprit. Si un nouveau méditant n’a pas de cible pour l’esprit, il ne sera pas en mesure de soutenir son attention sur l’esprit. Mais je vous demande instamment de ne pas choisir une cible qui soit extérieure à votre corps. Faites en sorte que votre cible – c’est-à-dire l’objet de votre attention – soit un aspect du corps, comme mentionné plus haut. Et quand vous la viserez, concentrez-vous sur un unique objet qui vous paraîtra convenir ; ne soyez pas trop gourmand en allant choisir ceci et puis passer à cela.

Quand vous vous concentrez, examinez l’objet de votre attention en suivant les prescriptions du Bouddha sur les fondements de l’attention (satipatthāna). En d’autres termes, étudiez les différents aspects du corps jusqu’à voir clairement : « Ceci n’est pas moi. Ceci ne m’appartient pas. »

Il y a deux manières de pratiquer l’observation concentrée qui mène à cette réalisation :

a/ Quand vous vous concentrez exclusivement sur votre cible, n’accordez pas la moindre pensée à la cible elle-même ni à celui qui se concentre dessus. Qu’il n’y ait qu’attention et concentration. Ne laissez pas des mots ou des commentaires apparaître dans votre esprit. Il ne doit y avoir que cette unique sensation d’être conscient que vous vous en tenez à la cible – mais sans penser à ce qu’est cette cible.

b/ Quand vous vous concentrez exclusivement sur la cible, dites-vous en même temps : « Voici la cible de l’esprit. Voilà l’esprit qui examine. Voici l’attention, c’est-à-dire le fait de me rappeler de garder la cible en esprit. Voilà le discernement qui voit la vérité de l’objet observé. »

Les deux méthodes fonctionnent. La méthode (a) est plus adaptée aux débutants et à ceux dont la sensibilité n’est pas encore développée. La méthode (b) convient à ceux qui sont sensibles et expérimentés. Mais, si on les pratique avec diligence, les deux méthodes donnent les mêmes résultats : concentration et sagesse.


7.

Quand vous entraînez l’esprit comme expliqué ci-dessus, quelle que soit la méthode que vous choisissiez, surtout n’allez pas vous demander si vous allez réussir ou pas à atteindre la concentration et la sagesse. Mettez également de côté tous les désirs basés sur les différentes rumeurs que vous avez pu entendre. Suivez simplement la méthode mentionnée au point 6 avec application et tout ira bien.

En même temps, soyez attentif à l’approche qui vous a permis d’amener l’esprit à l’objet, voyez comment vous avez pu maintenir l’attention, et observez les conséquences de tout cela sur l’esprit. Si cette approche a ouvert et éclairci l’esprit, poursuivez de la même manière jusqu’à ce qu’elle vous soit devenue naturelle et que vous puissiez la pratiquer à tout moment. Par contre, si les résultats sont différents (tout le contraire), utilisez au plus tôt vos pouvoirs d’observation à la manière mentionnée ci-dessus pour réajuster et corriger votre pratique.

Certaines personnes, quand elles observent comment l’esprit se comporte quand il est bien entraîné, seront capables d’observer leur état d’esprit tandis que l’esprit est encore dans cet état ; d’autres ne pourront le faire qu’après que l’esprit se soit retiré de cet état et soit resté immobile un moment. Les deux manières sont efficaces ; c’est simplement une question de tempérament. Mais si vous n’utilisez pas du tout vos pouvoirs d’observation, vous aurez du mal à obtenir des progrès dans l’entraînement de l’esprit et, même si vous en obtenez, ces progrès seront difficiles à maintenir.


8.

Pendant que vous entraînez l’esprit, il se peut qu’une chose étrange et frappante se produise sans que vous l’ayez voulu. L’esprit peut se retirer de tout ce qui est extérieur et se regrouper en un tout unique en abandonnant toutes les étiquettes et tous les attachements liés au passé ou à l’avenir. Il n’y aura qu’une attention dépouillée, accompagnée d’un intérêt pour ce qui se passe dans l’instant présent. Il n’y a plus aucun sentiment d’intérieur ou d’extérieur. C’est une situation dont les caractéristiques sont spécifiques à l’esprit lui-même ; c’est comme si tout avait été chamboulé.

L’esprit a pénétré son propre niveau : le bhavanga. A ce moment-là, tout se rapporte entièrement à l’esprit. Même si la vie continue, quand l’esprit atteint ce niveau, il lâche tout attachement envers le corps et se tourne vers l’intérieur pour ne ressentir rien d’autre que son propre objet, tout seul. On appelle cela le bhāva-citta, l’esprit à son propre niveau. Mais cet esprit à son propre niveau a encore en lui une conscience affinée des cinq khandha et peut donc encore faire l’expérience de la naissance et des états de devenir, et être la cause de renaissances infinies à l’avenir.

Atteindre cet état est un peu comme s’assoupir et rêver. La différence dépend du degré de vigilance qui demeure. La première fois que cela leur arrive, les méditants qui sont posés et qui ont une perception fine des choses seront conscients de ce qui se passe et de ce qu’ils ressentent, et ils n’en seront ni enthousiasmés ni perturbés. Ceux qui se laissent facilement berner et qui manquent d’attention seront comme une personne qui s’endort et rêve. En revenant à une conscience normale, ils seront tout étonnés et interprèteront de travers les visions qu’ils auront pu avoir. Mais quand ils se seront entraînés jusqu’à pouvoir recréer cet état à volonté, leur attention sera plus fine et leurs visions disparaîtront. Progressivement ils développeront un regard plus profond jusqu’à voir les conditions naturelles telles qu’elles sont réellement.


9.

Même si le phénomène évoqué au point 8 n’apporte pas la sagesse capable d’explorer les schémas de cause à effet à une grande échelle, il constitue tout de même une étape préliminaire dans l’entrainement de l’esprit. Il peut supprimer les Cinq Obstacles et donner en même temps un sentiment de paix et de bien-être dans l’instant présent. S’il est correctement développé de façon à ne pas se détériorer, il conduira, à l’avenir, à une renaissance favorable en rapport avec le kamma de la personne.

Il est intéressant de noter au passage que, lorsque des visions ou des signes de toutes sortes apparaissent, c’est généralement dans cet instant mental dont nous parlons. Mais cela ne signifie pas que, quand l’esprit atteint ce stade, il y aura nécessairement des visions ou des signes. Pour certaines personnes et à certains moments, ils se produiront ; pour d’autres et à d’autres moments, il n’y en aura pas. C’est, encore une fois, une question de tempérament individuel ainsi que d’autres facteurs entrant en jeu.

Pour être tout à fait clair quant à la question des visions et des signes qui apparaissent en méditation, on pourrait dire qu’ils ne valent la peine d’être notés que dans le cas où les méditants sont assez vifs et futés pour voir à travers eux, et ne pas tomber dans le panneau de l’identification en croyant que ces visions font partie d’eux. Ils les considèrent pour ce qu’elles sont – de simples visions qui peuvent servir d’outils ou, momentanément, de refuge pour l’esprit – et ils les laissent repartir.

Quant aux méditants qui ne sont pas spécialement attentifs ou vigilants – et qui se laissent, en plus, aisément berner – quand une vision leur apparaît, ils en sont tout retournés et risquent même de perdre contact avec la réalité parce qu’ils croient que cette vision est quelque chose de réel et de véridique. (Voir le point 11 pour plus d’explications à ce propos.)

De plus, les personnes qui ont entraîné leur esprit jusqu’à ce niveau sont généralement têtues et butées dans leurs opinions à cause de la force mentale acquise en chemin. Quand elles pensent à quelque chose, elles ont tendance à ne voir qu’une seule facette d’une situation. Elles ne vont pas vouloir écouter l’opinion des autres, persuadées que leurs propres opinions sont parfaitement raisonnables et fiables. En réalité, ces opinions vont simplement dans le sens qui leur convient, elles ne sont pas raisonnables et peuvent aisément déformer leur façon de voir.

Quoi qu’il en soit, qu’ils apparaissent ou pas, ces visions et signes ne sont pas désirables car ce sont des pollutions qui obscurcissent votre lucidité, et donc des obstacles au développement de la vision claire et pénétrante. Le but de l’entraînement de l’esprit est de se libérer des Cinq Obstacles et ensuite d’examiner les khandha pour qu’ils deviennent limpides et que l’on puisse les voir tels qu’ils sont vraiment au point de perdre toute attirance pour eux, de lâcher toute passion et toute fascination pour eux, et de les laisser aller sans plus jamais avoir envie d’y croire ni de s’en saisir.


10.

Quand vous aurez entraîné votre esprit pour qu’il soit suffisamment stabilisé dans l’absorption méditative et la concentration pour supprimer les Cinq Obstacles, vous devrez travailler à développer la vision intérieure profonde (vipassanā). En fait, cette vision profonde peut très bien apparaître pendant que vous travaillez à développer le calme du samādhi. En d’autres termes, la connaissance peut briller assez pour vous permettre de voir clairement la vérité selon laquelle tous les phénomènes conditionnés (sankhārā) qui apparaissent sont destinés à se désintégrer et à disparaître ; ils ne peuvent pas durer ; ils ne sont pas « moi » mais simplement des phénomènes naturels qui évoluent selon leurs propres lois naturelles.

Quand cette sorte de connaissance apparaît, l’esprit devient désenchanté et se détache de tous les phénomènes conditionnés. Quoi qu’il voie ou entende, en tout lieu, l’esprit va dorénavant demeurer dans un état de détachement né de la maturité et de la compréhension. C’est ce que l’on appelle la claire vision pénétrante qui apparaît en même temps que le calme de la méditation.

Si cette vision profonde n’apparaît pas de cette manière, vous devrez pratiquer la méditation de la tranquillité jusqu’à ce que l’esprit soit fermement stabilisé ; ensuite vous choisirez soit une partie du corps (comme les os ou les intestins), soit un thème qui occupe votre esprit à ce moment-là, et vous l’examinerez de façon à voir que tout ce que l’esprit croit être sûr, vrai et source possible de bonheur, tombe en réalité sous le coup des Trois Caractéristiques : c’est impermanent, insatisfaisant et impersonnel. Notre façon assurée de considérer les choses habituellement : « C’est comme ceci et c’est comme cela » qui correspond à nos propres fantaisies, n’a rien de vrai. Tous les phénomènes conditionnés apparaissent simplement parce qu’ils ont une cause et ces causes sont toujours le manque d’attention, le désir, l’attachement et le kamma. Quand ces causes sont épuisées, elles disparaissent d’elles-mêmes sans que personne ne les y force. Ce corps, dans lequel nous vivons, ne survit lui-même que parce qu’il y a des causes comme la respiration et la nourriture qui entrent en jeu. Quand ces facteurs s’épuisent, le corps en lui-même n’a aucun sens.

Quand vous examinerez les choses de cette manière, en utilisant la force d’un esprit pleinement concentré, vous atteindrez le but de l’entraînement de l’esprit. La lumière de la connaissance apparaîtra avec la profonde compréhension du fonctionnement de la loi de cause à effet que vous aurez découverte par vous-même. C’est quelque chose qui apparaît non quand on s’approprie les mots ou les théories d’autres personnes mais quand on réalise pleinement le jeu des causes et des effets dans son propre cœur. L’esprit ne sera plus jamais trompé, il ne se laissera plus être attaché, passionné, satisfait ou insatisfait par le moindre phénomène conditionné.

Ajoutons que, si l’esprit n’a pas vraiment clairement vu la réalité de son objet de méditation, c’est qu’il n’était pas complètement unifié et stabilisé. Mais la raison pour laquelle l’entraînement de l’esprit ne s’appelle pas « vision pénétrante » avant ce stade, est que la connaissance est encore faible en termes de causes et d’effets, et qu’elle manque de discernement.

En résumé 

La purification de nos paroles et de nos actions doit commencer par un entraînement dans la vertu morale. La purification de l’esprit doit commencer par l’entraînement à la méditation samādhi (concentration et absorption méditative) jusqu’à ce que l’esprit soit assez fort pour supprimer les Cinq Obstacles. Quand l’esprit sera devenu parfaitement capable de se concentrer et de s’absorber dans la méditation, capable d’entrer, de se retirer et de se stabiliser à volonté dans ces états, la connaissance apparaîtra de manière remarquable – la lumière de la connaissance qui voit la vérité de tous les phénomènes naturels (sabhāva dhamma) ainsi que les causes de leur apparition et de leur disparition.

Ce type de connaissance peut n’apparaître qu’à certaines personnes et dans certaines circonstances mais, quoi qu’il en soit, ceux qui ont entraîné leur esprit jusqu’à ce niveau-là réaliseront qu’un esprit qui a atteint ce point est capable d’être entraîné jusqu’à la claire vision pénétrante. Ils prendront alors n’importe quel aspect du corps ou n’importe quel sujet mental qui les préoccupe et l’examineront à la lumière des Trois Caractéristiques comme expliqué ci-dessus. A ce moment-là, ils développeront eux aussi la clarté de la vision pénétrante, ils verront clairement la vérité de tous les phénomènes conditionnés et seront, en conséquence, capables de déraciner leur attachement aux phénomènes physiques et mentaux de toute sorte.

Même si l’esprit est intangible, il influence le corps et toute chose dans le monde. Il est capable de tout soumettre à son pouvoir mais il n’est pas vicieux ou sauvage au point de manquer de tout sens du bien et du mal. Quand une personne aux bonnes intentions entraîne son esprit pour avancer correctement sur la voie des enseignements du Bouddha comme expliqué plus haut, son esprit sera souple et apprendra facilement ; il développera ce qu’il faut de sagesse pour remettre le corps à sa place si celui-ci se comporte sans principes. De plus, il peut se purifier jusqu’à être clair et pur, libre de toute pollution, capable de réaliser tout seul des vérités subtiles et profondes et d’apporter une lumière éblouissante dans ce monde obscurci par l’aveuglement.

C’est possible parce que, au départ, la véritable substance de l’esprit est lumineuse et claire. Du fait des préoccupations qui s’y sont mêlées et qui l’ont obscurci, la luminosité de l’esprit a été momentanément assombrie, assombrissant le monde du même coup. Si l’esprit avait été sombre à l’origine, il est probable que nul ne pourrait le purifier au point de pouvoir faire apparaître la lumière de la connaissance.

En conséquence, que le monde soit sombre ou lumineux, qu’il soit le domaine du bonheur ou de la souffrance, dépend de l’esprit de chaque individu. En tant qu’individus, nous devons commencer par bien entraîner notre esprit et puis entraîner l’esprit des autres. Le monde sera alors libéré du chaos.


11.

Les visions et les signes qui apparaissent dans la pratique de la méditation sont quelque chose d’étrange et de mystérieux. Ils peuvent induire en erreur les personnes crédules et fragiles, et les convaincre de leur vérité au point qu’elles perdent tout contact avec la réalité. C’est pourquoi ceux qui pratiquent la méditation doivent être prudents ; ils doivent examiner ces apparitions et y réfléchir attentivement, comme je vais l’expliquer.

Les « apparitions » en méditation sont de deux sortes : visions et signes.

a/ Visions : Parfois, quand l’esprit s’unifie à son propre niveau alors que nous méditons sur le corps pour voir son aspect repoussant, nous voyons le corps comme étant absolument affreux, en décomposition, ou comme un squelette ou un tas de cendres, etc. Il est arrivé que des personnes en soient si horrifiées qu’elles se sont suicidées.

Dans d’autres cas, on peut avoir des visions d’êtres divins ou de formes venues des sphères infernales.

b/ Signes : Quand l’esprit s’unifie comme nous l’avons dit plus haut, il arrive que l’on entende une voix murmurer. Ce peut être la voix d’une personne que l’on respecte qui nous dit d’examiner une certaine vérité ou qui nous avertit d’un événement qui va se produire. Ce peut être la voix d’un ennemi qui nous veut du mal et que nous percevons juste avant que celui-ci vienne nous faire du mal – ce qui montre combien les courants mentaux des individus ont un impact les uns sur les autres. D’un autre côté, la même sorte de chose peut se produire avec une personne qui nous veut du bien. Parfois une voix non identifiée peut venir nous dire une vérité qui va stimuler notre réflexion et qui vaudra la peine d’être contemplée. En général, les méditants appellent cela « les enseignements et les avertissements du Dhamma » (abhiññā). Mais tous les méditants n’auront pas forcément des visions ou des signes. Pour certains, même si leur esprit atteint un niveau très subtil, aucune vision, aucun signe n’apparaîtra. Pour d’autres, l’esprit peut s’unifier en une fraction de seconde et, pendant un instant, toutes sortes de visions et de signes apparaîtront (attention à ne pas laisser trop de choses défiler, tout de même !) Cela dépend du tempérament de chacun. Avec les gens crédules qui ne s’inquiètent pas trop de ce qui est raisonnable et de ce qui ne l’est pas, les visions et les signes ont tendance à apparaître rapidement et à se développer à outrance au point qu’ils risquent de perdre pied. Alors, veillez à traiter ces phénomènes avec circonspection.

Question : Les visions et les signes contiennent-ils la moindre vérité ?

Réponse : Parfois oui et parfois non. Ils naissent exclusivement en jhāna et le jhāna est un phénomène du monde, donc non fiable. Ils apparaissent à une personne qui pratique la méditation et dont l’esprit est unifié en bhavanga, mais cette personne ne sait pas quel niveau elle a atteint ni comment elle est arrivée à se concentrer sur son objet de méditation, à l’examiner et à le poser. Les visions et les signes – qu’ils apparaissent intentionnellement ou pas – se composent d’une grande quantité de fabrications mentales et d’attachements, et sont, en conséquence, peu fiables. Les visions et signes qui apparaissent quand une personne est en bhavanga sont comme les rêves d’une personne qui se couche pour dormir ou qui sommeille simplement. De manière générale, quand ils apparaissent pour la première fois, ils contiennent une certaine vérité mais pas trop.

Question : Les jhāna relèvent-ils du monde ou sont-ils transcendants ?

Réponse : Il n’y a que douze ou treize facteurs qui interviennent dans les jhāna et ils relèvent tous du monde. Mais si la personne qui entre en jhāna est un Eveillé qui utilise cet état comme un outil ou comme un espace pour y poser son esprit, il pourra en faire l’usage qu’il voudra et ce sera toujours un bon usage. Il est comme un tireur d’élite par rapport à un débutant qui apprend à tirer, ou comme un roi dont l’épée fait partie de ses attributs royaux par rapport à un homme ordinaire pour qui une épée n’est qu’une épée.

Question : Les visions et les signes sont-ils une bonne chose ?

Réponse : Seulement pour ceux qui savent les utiliser correctement, sans se faire prendre à leur piège ni s’y attacher. Ils ne valent rien pour ceux qui ne savent pas les utiliser correctement, qui se laissent prendre à leur piège et qui les croient vrais. Une fois que l’attachement entre en jeu, les fabrications mentales qui s’ensuivent peuvent faire proliférer ces visions et ces signes au point que le méditant risque de perdre tout contrôle sur son sens de la réalité. Il faut donc traiter ces phénomènes avec précaution et attention, comme je vais vous l’expliquer à présent.

Les visions et les signes apparaissent du fait du pouvoir des jhāna et sont entretenus par l’attachement et les fabrications mentales. Ils tombent donc sous le coup des Trois Caractéristiques : ils sont impermanents puisqu’ils ne durent pas, ils sont insatisfaisants, et ils ne sont pas personnels puisqu’ils n’appartiennent ni à vous ni à personne. Ce sont des phénomènes qui ne font qu’apparaître et disparaître d’eux-mêmes à tout moment. Examinez-les de près pour voir leur vraie nature, pour voir ces trois caractéristiques par vous-même, et puis laissez-les aller. Ne vous laissez pas berner en tombant à pieds joints dans le piège de ces visions et signes qui ne sont que des conséquences. Allez plutôt à la cause, aux jhāna, et développez-les au point de pouvoir y pénétrer à volonté. A ce moment-là, les visions et les signes se résoudront d’eux-mêmes.

Apprenez aussi à voir les inconvénients des visions et des signes. En effet, si nous nous laissons piéger par eux, la qualité de nos jhāna va se détériorer, exactement comme des ondes sonores sont un obstacle à celui qui essaie d’apaiser son esprit et d’explorer des phénomènes subtils et profonds, ou comme des vagues qui nous empêchent de voir notre reflet à la surface de l’eau.

Les visions et les signes qui apparaissent à un méditant qui commence tout juste à atteindre les jhāna sont souvent extraordinaires et impressionnants. Le mental va avoir tendance à s’y accrocher et à développer toutes sortes de pensées autour, et tout cela restera imprimé de manière indélébile dans son œil intérieur. Si les méthodes conseillées plus haut pour se débarrasser de ces visions ou signes ne fonctionnent pas, essayez d’éviter que votre esprit entre en jhāna. Autrement dit, ne vous y appliquez pas, ne laissez pas l’esprit s’apaiser trop, ne prenez pas plaisir à ces visions ou signes. Dormez et mangez autant que vous le voudrez, faites des travaux lourds pour fatiguer le corps, pensez à des choses qui vont éveiller les pollutions mentales – de belles choses qui vous font envie – et quand l’esprit se retirera de son niveau d’absorption, les visions et les signes disparaîtront d’eux-mêmes.

Si l’apprenti méditant n’arrive pas à résoudre le problème avec ces méthodes, son enseignant doit essayer de l’aider en utilisant ce type d’approche. La manière la plus rapide et la plus efficace consiste à aborder un sujet de conversation qui va provoquer une grande colère chez la personne qui a ces visions et ces signes. Du coup, tout disparaîtra immédiatement.


La base nécessaire à l’apparition de la connaissance du Dhamma est « la concentration d’approche » (upacāra samādhi). Celle-ci a deux aspects :

a/ Tandis que le méditant travaille sur un objet d’attention particulier, l’esprit va peu à peu se retirer de toute préoccupation extérieure et s’unifier en un point, en son propre centre, mais sans se couper complètement de tout le reste. Il continue à ressentir, à penser, à réfléchir ; il essaie de se retirer de son objet de concentration devenu très subtil mais il n’y arrive pas encore complètement. C’est « la concentration d’approche qui précède l’unification transcendante de l’esprit » (appanā samādhi).

b/ L’esprit s’affine de plus en plus jusqu’au point où il réussit à lâcher son objet d’attention et celui-ci disparaît. C’est l’unification transcendante de l’esprit. Il y a une parfaite attention et une prise de conscience d’un sentiment de vacuité ; on ne se saisit de rien, on ne s’attache à rien du tout ; on est simplement présent à ce qui est. Quand l’esprit sort de cet état et recommence à contempler le Dhamma – objets, cause et effet – il en est à « la concentration d’approche qui suit l’unification transcendante de l’esprit ».

Ces deux types de concentration d’approche (avant et après l’unification transcendante de l’esprit) constituent une bonne base pour approfondir certaines vérités et certains événements particuliers. Les résultats de ces investigations seront beaucoup plus fiables que le type de connaissance qui vient des visions et des signes. D’ailleurs les scientifiques utilisent ce niveau de concentration pour leurs recherches. Et si votre concentration devient transcendante, elle éliminera, étape par étape, tous les poisons qui souillent l’esprit (āsava).

Disons donc que la connaissance qui vient des visions et signes, et la connaissance qui vient de la concentration d’approche, diffèrent aussi bien du fait de leur origine que de leur qualité.

Il y a ici un élément qui mérite une petite explication supplémentaire : le terme « unification transcendante de l’esprit ». Cette forme de concentration est une réalisation supérieure de l’être humain. De manière générale, les personnes qui atteignent ce niveau de concentration le font en fixant leur attention sur l’inspiration et l’expiration comme objet de méditation. Tandis qu’ils se concentrent sur leur respiration et en arrivent à mettre toute leur attention sur son apparition et sa disparition ou seulement sur sa disparition, l’esprit s’affine de plus en plus jusqu’à ce que, petit à petit, il abandonne toutes ses préoccupations et s’unifie pour se poser en un point unique, comme expliqué plus haut. C’est l’apaisement croissant de la respiration qui indique que l’on est arrivé à une unification transcendante de l’esprit. Dans certains cas, on l’appelle « jhāna unifié » parce que c’est le résultat d’une méditation d’absorption sur la respiration. On l’appelle « unification transcendante de l’esprit » parce que, même si, à ce stade, il n’y a pas d’air qui entre et sort de manière perceptible, la concentration demeure absolue.

Quand on est dans cet état, on ne peut rien examiner car l’esprit est totalement déconnecté de tout. Ce n’est que lorsque l’esprit sort de cet état et entre dans la concentration d’approche que l’on peut recommencer à examiner les choses. Toutes les vérités que le Bouddha a annoncées sont alors clairement révélées ainsi que d’autres choses. Il n’y aura pas de visions ni de signes mais une connaissance basée sur la loi de cause à effet, étoffée par toutes sortes d’analogies et d’images qui éradiqueront tous les doutes.

Dans certains cas, les méditants arrivent au stade de l’unification transcendante de l’esprit en fixant leur attention sur un autre objet de méditation que la respiration et ils y arrivent de la même manière que ceux qui se concentrent sur l’inspiration et l’expiration. Quand l’esprit s’unifie en un point où il n’y a plus d’inspiration et expiration, c’est l’unification transcendante de l’esprit.

En tout cas, tel est mon avis sur la question. Mais les méditants ne doivent pas prendre cet avis comme critère car les pensées et les opinions des gens dans ce monde, même à propos des mêmes choses dans les mêmes conditions et en un même lieu, peuvent être formulées différemment, être interprétées différemment et donner lieu à des discussions sans fin. Que chacun de nous travaille simplement avec son propre objet de méditation de façon à atteindre un état d’unification transcendante de l’esprit comme évoqué plus haut. Ensuite, en toute sincérité et sans préjugés, comparons ce que nous avons vécu avec ce qui a été formulé dans les différents écrits bouddhiques. Notre connaissance sera alors paccattam, c’est-à-dire qu’elle sera le fruit de notre propre expérience. Voilà ce que j’aimerais voir.



Quelques mots encore

Tous les phénomènes transcendants ont leurs racines dans les phénomènes mondains. Les 37 ailes vers l’Eveil (bodhi-pakkhiya-dhamma), qui sont toutes considérées comme transcendantes, doivent d’abord commencer par des phénomènes physiques et mentaux, autrement dit, par ce corps et cet esprit.

Les visions, les signes et la connaissance résultant des jhāna sont des obstacles pour ceux qui n’ont qu’un seul œil (ceux qui se limitent à pratiquer les jhāna) mais peuvent donner naissance à la vision pénétrante chez ceux qui ont deux yeux (ceux qui développent la sagesse en parallèle au calme mental).

Toutes les épées, toutes les haches, ont deux bords, l’un tranchant, l’autre lisse, et chaque bord a son utilité. Mais une personne qui confond les deux, non seulement n’arrivera à rien avec son épée ou sa hache mais risquera aussi de se blesser ou d’échouer dans la tâche qu’elle s’était fixée. La vision pénétrante et les obstacles à la vision pénétrante proviennent de la même et unique base. Quand les gens sans discernement considèrent les choses de manière incorrecte, ils font apparaître les obstacles à la connaissance. Mais s’ils considèrent les choses de manière juste, en utilisant l’approche correcte, les mêmes choses seront à l’origine d’une véritable vision pénétrante.

C’est alors que les phénomènes du monde – quand ils sont clairement vus pour ce qu’ils sont et que nous en discernons la cause, quand nous voyons leurs limites et nous nous en détachons, quand nous ne nous laissons plus duper par eux – se transforment en Dhamma. Mais quand nous nous laissons entraîner par eux et que nous refusons de nous en détacher, c’est une autre histoire !

Vous savez, le monde ne va pas rester éternellement tel qu’il est. Il se peut que le monde des Brahma dégénère en monde des deva, que le monde des deva devienne celui des humains et que celui des humains passe un cran en dessous. Tout comme les liquides tendent à glisser toujours plus bas, il est facile pour l’esprit humain de glisser toujours plus bas – autrement dit, vers le mal.

La pratique de la méditation est une révolution du « moi ». Il faut être capable de mettre sa propre vie en jeu. Ceux qui n’ont pas ce type d’engagement ne peuvent s’attendre qu’à devenir esclaves des autres – des pollutions mentales – à travers les temps.



Glossaire des mots en pāli

Abhiññā : Pouvoirs intuitifs qui naissent de la pratique de la concentration.

Asava : Poison mental ; fermentation ; pollution dont le rôle est d’entraîner le flot des renaissances. Ces poisons mentaux sont au nombre de quatre : la sensualité, le devenir, les opinions et le manque d’attention.

Bhavanga : Etat de l’esprit au repos dans lequel refont surface les préoccupations sous-jacentes. Il détermine l’état d’être de l’esprit et l’état dans lequel il revient entre chaque réponse aux stimuli extérieurs.

Bodhi-pakkhiya-dhamma : « Les ailes de l’Eveil » ; principes qui mènent à l’Eveil. Il y en a 37 en tout. Ils constituent le résumé, fait par le Bouddha lui-même, des points essentiels de son enseignement : les quatre fondements de l’attention, les quatre efforts justes, les quatre bases du succès spirituel, les cinq forces, les cinq facultés, les sept facteurs d’Eveil et le Noble Octuple Sentier.

Brahma : Habitant des paradis avec forme et sans forme.

Deva : Habitant des paradis où règne la volupté des sens.

Dhamma : Phénomènes ; les choses telles qu’elles sont ; l’ordre naturel des choses. Par extension, on emploie aussi le mot « Dhamma » en référence à la doctrine du Bouddha qui enseigne ces choses-là.

Jhāna : Absorption méditative dans une sensation unique ou un unique thème de contemplation.

Kamma : Actes intentionnels qui engendrent le devenir et la renaissance.

Khandha : Composé, agrégat, tas ; les facteurs composant la personnalité et l’expérience sensorielle en général. Au nombre de cinq : les phénomènes physiques, les sensations, les mémoires, les pensées ou formations mentales et la conscience sensorielle.

Nīvarana : Obstacle à la concentration. Au nombre de cinq : désir sensoriel, méchanceté, paresse, agitation et doute.

Sabhāva dhamma : Condition naturelle, phénomène. Les qualités et événements tels qu’ils sont vécus directement en eux-mêmes.

Samādhi : Concentration. Le fait de fixer son esprit sur un unique objet ou sujet.

Sankhārā : Phénomène conditionné ; fabrication mentale ; pensée. Ce terme recouvre toute chose, physique ou mentale, conditionnée par des causes et des circonstances, ainsi que les forces et les processus qui la conditionnent.

Satipatthāna : Fondement de l’attention ; cadre de référence. Se rapporte à la contemplation du corps, des sensations, de l’esprit et des objets de l’esprit tels qu’ils sont en eux-mêmes.

Ti-ratana : Le Triple Joyau, c’est-à-dire le Bouddha, le Dhamma (l’enseignement du Bouddha, la pratique et la réalisation de la Libération vers lesquelles il tend) et le Sangha (les disciples du Bouddha qui ont obtenu au moins un aperçu de cette Libération). Prendre refuge dans le Triple Joyau signifie les prendre pour guides dans sa quête de bonheur et éveiller leurs qualités dans sa vie et dans son cœur.

Vipassanā : Claire vision pénétrante des choses telles qu’elles sont réellement. Voir les choses à la lumières des trois caractéristiques de l’existence : l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi.