Le Dhamma de la Forêt


Comme un cours d’eau dormant

Ajahn Chah


Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Chapitre 20 du recueil des enseignements d’Ajahn Chah

intitulé Méditation et Sagesse.



Enseignement donné à Wat Tum Saeng Pet pendant la retraite des pluies de 1981.


Je vous demande, à présent, d’être très attentif, de ne pas laisser votre esprit vagabonder ailleurs. Essayez de vous percevoir comme si vous étiez assis sur une montagne ou quelque part dans une forêt, tout seul. Qu’avez-vous là, tandis que vous êtes assis ? Il y a le corps et l’esprit – c’est tout, rien que ces deux choses-là. Tout ce qui est contenu à l’intérieur de cette forme humaine assise ici, c’est ce que l’on appelle « le corps ». Quant à « l’esprit », c’est ce qui est conscient et qui pense à cet instant précis. On les appelle aussi nāma et rūpa. Nāma, c’est ce qui n’a pas de rūpa, c’est-à-dire de forme. Toutes les pensées et les sensations – ou encore les quatre khandha de la sensation, la perception, la volition et la conscience sensorielle – sont nāma, sans forme. Quand les yeux voient une forme, cette forme est appelée rūpa, tandis que la conscience de la forme est nāma. Ensemble ils forment nāma et rūpa ou, tout simplement, le corps et l’esprit.

Comprenez que ce qui est assis ici en ce moment, ce ne sont que le corps et l’esprit. Nous confondons ces deux choses et pourtant, si vous voulez la paix, vous devez les connaître pour ce qu’elles sont réellement. Tel qu’il est actuellement, l’esprit n’est pas encore entraîné ; il est sale, opaque – ce n’est pas encore le pur esprit. Nous devons continuer à l’entraîner au moyen de la méditation.

Certains croient que méditer signifie s’asseoir jambes croisées mais, en réalité, toutes les positions sont de bons véhicules pour la pratique de la méditation. On peut méditer debout, assis, en marche ou allongé et pratiquer ainsi à tout moment. Samādhi signifie littéralement « l’esprit fermement établi ». Pour développer le samādhi, il ne s’agit pas d’étouffer l’esprit ! Certaines personnes essaient de trouver la tranquillité en s’asseyant dans le silence et en faisant en sorte que rien ne vienne les déranger – mais cela revient à être mort !

La pratique de samādhi a pour but de développer la sagesse et la compréhension. Samādhi, c’est l’esprit stable, concentré sur un point unique. Sur quel point est-il fixé ? Sur le point d’équilibre. C’est là qu’il se fixe. Mais les gens pratiquent la méditation en essayant de faire taire leur esprit. Ils disent : « J’essaie de m’asseoir en méditation mais mon esprit refuse de se calmer une seule minute. Il ne cesse de partir dans tous les sens. Comment puis-je l’arrêter ? » Il ne s’agit pas de l’arrêter. Il faut qu’il y ait du mouvement pour que la compréhension puisse surgir.

Les gens se plaignent : « Mon esprit s’échappe et je le ramène ; il repart et je le ramène encore. » Ils passent leur temps, assis là, à courir derrière leur esprit. Ils croient que leur esprit court dans tous les sens mais, en réalité ce n’est qu’une impression. Regardez cette salle, par exemple. Certains diront : « Oh ! Comme elle est grande ! » alors qu’en fait elle n’est pas grande du tout. Si elle vous paraît grande, c’est à cause de votre perception. En fait, cette salle a simplement la taille qu’elle a, elle n’est ni grande ni petite. Mais voilà ! Les gens passent leur temps à courir derrière leurs impressions.

Méditer pour trouver la paix... Il faut d’abord comprendre ce qu’est la paix, sinon vous ne pourrez jamais la trouver. Supposons, par exemple, que vous soyez venu au monastère aujourd’hui avec un stylo très précieux dans la poche de votre veste. A un certain moment vous vous en êtes servi puis vous l’avez rangé ailleurs – par exemple dans la poche de votre pantalon. Et voilà que vous touchez la poche de votre veste et vous sentez qu’il n’y est plus… alors, vous paniquez ! Vous paniquez du fait de votre compréhension erronée de la situation. Résultat : vous en souffrez. Tout en allant et venant, vous ne cessez de penser au stylo que vous croyez avoir perdu. Votre compréhension erronée fait que vous souffrez. Une compréhension erronée des choses engendre de la souffrance. « C’est tellement dommage ! Je venais juste d’acheter ce stylo et voilà que je l’ai perdu. »

Et tout à coup, vous vous souvenez : « Mais bien sûr ! Quand j’ai retiré ma veste, je l’ai mis dans la poche de mon pantalon. » A peine vous rappelez-vous cela que vous vous sentez déjà mieux – alors même que vous n’avez pas encore vu votre stylo. Vous me suivez ? Vous êtes déjà heureux, vous cessez de vous inquiéter pour votre stylo. Tout en continuant à marcher, vous passez la main sur la poche de votre pantalon et vous le sentez. Pendant tout ce temps, votre esprit vous a trompé. Maintenant vous voyez le stylo et toutes vos inquiétudes s’apaisent. Cette forme de paix surgit quand on voit la cause du problème, samudaya – la cause de la souffrance. Dès que vous vous rappelez avoir mis le stylo dans votre poche de pantalon, nirodhā apparaît : la cessation de la souffrance.

Il faut donc méditer pour trouver la paix. Ce que les gens appellent généralement « paix » est simplement l’apaisement de l’esprit, pas l’apaisement des pollutions mentales. Les pollutions mentales sont mises de côté temporairement, comme de l’herbe que l’on couvrirait d’un rocher. Si vous retirez le rocher trois ou quatre jours plus tard, très vite l’herbe recommencera à pousser. Elle n’avait pas disparu, elle avait seulement été enfouie. C’est exactement la même chose en samādhi : l’esprit se calme mais pas les pollutions mentales. Le samādhi apporte une certaine forme de paix mais, comme le rocher qui couvre l’herbe, cette paix est temporaire. Pour trouver la véritable paix, il faut développer la sagesse. La paix qu’apporte la sagesse, c’est comme poser le rocher et le laisser là. Si vous ne le retirez plus, l’herbe ne pourra jamais repousser. C’est la véritable paix, la fin des pollutions mentales.

Nous parlons de la sagesse (paññā) et du calme (samādhi) comme s’il s’agissait de deux choses séparées mais il faut savoir que, fondamentalement, ils ne font qu’un. La sagesse est l’aspect dynamique du samādhi et le samādhi, l’aspect passif de la sagesse. Ils ont la même origine mais prennent des directions différentes, assument des fonctions différentes. C’est comme la mangue qui est là. Une petite mangue verte grandit et grossit jusqu’à maturation. Il s’agit de la même mangue, pas de plusieurs fruits différents : la petite mangue verte, la mangue plus grosse et finalement la grosse mangue mûre ne sont qu’un seul et même fruit dont l’état a changé. Dans la pratique du Dhamma, on appelle un certain état samādhi et un autre état paññā mais, en réalité, sīla, samādhi et paññā ne font qu’un, tout comme la mangue.

Dans tous les cas, quel que soit l’aspect que vous considérez, vous devez toujours aborder votre pratique à partir de l’esprit. Savez-vous ce qu’est l’esprit ? Ce qu'il est, où il est : nul ne le sait. Tout ce que nous savons, c’est que nous avons envie d’aller ici ou là, d’avoir ceci ou cela, que nous nous sentons bien ou mal... mais l’esprit lui-même semble impossible à connaître. Qu’est-ce que l’esprit ? L’esprit n’a pas de forme. Nous appelons « esprit » ce qui reçoit des impressions, bonnes ou mauvaises. C’est un peu comme le propriétaire d’une maison : il reste chez lui tandis que des visiteurs viennent le voir. Il est celui qui reçoit les visiteurs. Qui reçoit les impressions sensorielles ? Qui les lâche ? Quelle est cette chose qui perçoit ? C’est ce que nous appelons « l’esprit ». Mais les gens ne le voient pas, alors ils continuent à tourner en rond dans leurs pensées : « Qu’est-ce que l’esprit ? Est-ce le cerveau ? » Ne mélangez pas tout. Qu’est-ce qui reçoit les impressions ? Qui aime certaines impressions et n’en aime pas d’autres ? Qui est-ce ? Y a-t-il quelqu’un qui aime et qui n’aime pas ? Bien sûr, mais nous ne le voyons pas. Nous partons du principe qu’il s’agit d’un « moi » mais, en réalité, ce n’est qu’un nāma-dhamma.

C’est pourquoi il est recommandé de commencer la pratique en calmant l’esprit. Mettez toute votre attention dans l’esprit. Quand il est attentif, il est en paix. Certaines personnes n’ont pas envie d’être attentives, elles veulent seulement avoir la paix, comme une espèce de rideau noir, de sorte qu’elles n’apprennent jamais rien. Si nous n’éveillons pas « ce qui sait » en nous, sur quoi reposera notre pratique ?

S’il n’y a pas de long, il n’y a pas de court ; s’il n’y a pas de bien, il n’y a pas de mal. De nos jours, les gens passent leur temps à étudier, à rechercher le bien et le mal, mais ils ne savent rien de ce qui est au-delà du bien et du mal. Ils ne connaissent que le bon et le mauvais : « Je ne vais prendre que ce qu’il y a de bon, je ne veux rien savoir de ce qui est mauvais. Pourquoi m’en préoccuper ? » Si vous essayez de ne prendre que ce qui est bon, très vite cela se transformera en mauvais. Le bon mène au mauvais. Les gens étudient le court et le long mais ce qui n’est ni court ni long, ils n’en savent rien du tout.

Ce couteau a une lame, une monture et un manche. Pouvez-vous ne soulever que la lame ? Pouvez-vous ne soulever que la monture ou que le manche ? Les trois font partie du même couteau : quand vous soulevez le couteau, vous les soulevez tous les trois en même temps.

Exactement de la même manière, si vous prenez ce qui est bon, le mauvais suivra. Si vous prenez le bonheur, le malheur suivra. S’accrocher aux bonnes choses et refuser les mauvaises, c’est pratiquer un Dhamma pour les enfants – c’est comme un jouet. Bien sûr, c’est acceptable jusqu’à un certain point mais, si vous vous emparez du bon, le mauvais suivra. Le bout de cette voie-là est confus. Si vous n’étudiez pas cela, vous n’aboutirez à rien.

Prenez un exemple simple. Disons que vous ayez des enfants et que vous ne vouliez leur donner que de l’amour et ne jamais éprouver d’aversion envers eux. Ceux qui pensent ainsi ne connaissent rien à la nature humaine. Si vous vous accrochez à l’amour, l’aversion s’ensuivra. De même, les gens étudient le Dhamma pour développer la sagesse ; ils étudient le bien et le mal d’aussi près que possible et, une fois qu’ils les ont identifiés, que font-ils ? Ils essaient de s’accrocher au bien et le mal s’ensuit ! Tout cela parce qu’ils n’ont pas étudié ce qui est au-delà du bien et du mal. C’est cela que vous devez étudier.

Je les entends dire : « Je veux devenir comme ceci » ou : « Je veux devenir comme cela », mais jamais ils ne disent : « Je ne vais rien devenir du tout parce qu’il n’y a pas vraiment de ‘je’. » Cela, ils ne l’étudient pas. Tout ce qu’ils veulent, c’est obtenir ce qui est bon et, s’ils l’obtiennent, ils s’y complaisent. Mais, quand les choses vont trop bien, elles commencent à aller mal et c’est ainsi que les gens passent leur temps à être ballottés d’avant en arrière.

Entraînez votre esprit jusqu’à le purifier complètement. Jusqu’où le purifier ? Quand l’esprit est vraiment pur, il est au-dessus du bien et du mal, au-dessus de la pureté elle-même. Il est achevé. C’est là que la pratique s’arrête. Ce n’est que lorsque vous pourrez amener votre esprit au-delà du bonheur et de la souffrance que vous trouverez la paix véritable. C’est cela, la paix véritable. Telle est la matière que la plupart des gens n’étudient jamais, qu’ils ne voient jamais vraiment.

Ne croyez pas qu’entraîner l’esprit consiste seulement à s’asseoir tranquillement. Certaines personnes se plaignent en disant : « Je ne peux pas méditer, je suis trop agité. A chaque fois que je m’assois, je pense à ceci et à cela... Je n’y arrive pas. J’ai trop de mauvais karma. Je ferais mieux d’épuiser mon mauvais karma d’abord et puis je reviendrai essayer de méditer. » Essayez pour voir ! Essayez d’épuiser votre mauvais karma !

Ce que nous devons étudier, ce sont les « empêchements ». Quand nous nous asseyons pour méditer, l’esprit s’empresse de s’échapper. Nous le suivons, essayons de le ramener à l’instant présent, reprenons l’observation... et il s’échappe à nouveau ! Voilà ce que vous devez étudier ! La plupart des gens refusent de tirer leçon de la nature – comme les écoliers qui refusent de faire leurs devoirs. Ils ne veulent pas voir comment l’esprit change. Comment voulez-vous développer la sagesse ainsi ? C’est avec ces changements que nous devons vivre. Quand nous constatons que l’esprit est ainsi, sans cesse changeant, quand nous prenons conscience que c’est sa nature, nous le comprenons.

Imaginons que vous ayez un singe apprivoisé chez vous. Les singes ne restent pas longtemps inactifs, ils aiment sauter partout en s’accrochant à tout ce qu’ils trouvent ; c’est dans leur nature. Et puis vous venez au monastère et vous y voyez un singe. Celui-ci n’est pas plus calme que le vôtre, il saute partout lui aussi, mais cela ne vous dérange pas, n’est-ce pas ? Pourquoi ? Parce que vous avez déjà élevé un singe et vous savez comment ils sont. Il suffit de connaître un seul singe et, quel que soit le lieu où vous soyez, quel que soit le nombre de singes que vous voyiez, ils ne vous dérangeront pas parce que vous êtes quelqu’un qui comprend les singes.

Si vous comprenez les singes vous ne deviendrez pas singe vous-même. Par contre si vous ne les comprenez pas, vous pouvez devenir singe ! Vous saisissez ? Quand vous voyez le singe attraper ceci ou cela, vous criez : « Eh, toi ! Arrête ! » Vous vous mettez en colère : « Cette sale bête ! » Là, vous êtes quelqu’un qui ne connaît pas les singes. Celui qui les connaît voit que le singe qu’il a chez lui et celui du monastère sont pareils. Pourquoi se fâcher contre eux ? Il vous suffit de savoir comment se comportent les singes et ensuite vous pouvez être en paix.

La paix est ainsi. Il faut être conscient des sensations. Certaines sont agréables, d’autres désagréables mais c’est secondaire, c’est leur affaire – tout comme pour les singes. Nous devons comprendre les sensations et savoir les lâcher. Les sensations sont incertaines. Elles sont impermanentes, insatisfaisantes et n’ont rien de personnel. Tout ce que nous percevons est ainsi. Quand les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit reçoivent des sensations, sachons les reconnaître tout comme nous reconnaissons la nature des singes. Ainsi nous pourrons être en paix.

Il faut qu’il y ait des sensations. Sans elles vous ne pourriez pas développer la sagesse. Pour le chercheur sérieux, plus il y a de sensations, mieux c’est. Mais beaucoup de méditants essaient de les éviter, refusent de les affronter – comme le vilain garçon qui ne veut pas aller à l’école ou refuse d’écouter son professeur ! Les sensations sont un enseignement. Quand nous sommes clairement conscients de la nature des sensations, nous pratiquons le Dhamma. Ressentir la paix, au cœur même des sensations, c’est comme comprendre le singe du monastère. Quand vous avez compris comment agissent les singes, ils ne vous dérangent plus. Il en va de même pour la pratique du Dhamma. Le Dhamma n’est pas loin de nous : il est ici même, avec nous. Le Dhamma n’est pas une histoire d’anges dans les airs ou quoi que ce soit de ce genre. Il s’agit de nous, de ce que nous faisons à cet instant précis. Observez-vous ! Voyez comment vous passez du bonheur à la tristesse, du plaisir à la douleur, de l’amour à la haine. C’est cela, le Dhamma – le voyez-vous ? Il faut déchiffrer ce que vous vivez.

Avant de lâcher les sensations, il faut en être pleinement conscient. Quand vous aurez vu que les sensations sont impermanentes, elles ne vous dérangeront plus. Dès qu’une sensation apparaît, dites-vous : « Hum, rien de sûr là-dedans. » Quand votre humeur change : « Hum, impermanence. » Vous pouvez être en paix avec ces phénomènes, tout comme lorsque vous voyez le singe et qu’il ne vous dérange pas. Si vous connaissez la vraie nature des sensations, vous comprenez le Dhamma. A ce moment-là, vous pouvez lâcher les sensations, sachant clairement qu’elles sont toutes – absolument toutes – incertaines.

Ce que nous appelons ici « incertitude », c’est le Bouddha. Le Bouddha est le Dhamma. Le Dhamma est caractérisé par l’incertitude. Quiconque perçoit l’incertitude des choses, perçoit leur réalité immuable. Tel est le Dhamma et tel est le Bouddha. Si vous voyez le Dhamma, vous voyez le Bouddha ; si vous voyez le Bouddha, vous voyez le Dhamma. Si vous êtes conscient d’anicca, l’incertitude, vous saurez lâcher prise et ne plus vous accrocher à rien.

Vous dites : « Ne cassez pas mon verre ! » Pouvez-vous empêcher que se casse un objet dont la nature est d’être cassable ? S’il ne se casse pas aujourd’hui, il se cassera plus tard. Si vous ne le cassez pas vous-même, quelqu’un d’autre le fera, et si personne ne le fait, alors ce sera peut-être une poule qui le cassera ! Le Bouddha nous apprend à accepter ces choses-là. Il a pénétré la vérité des choses, il a vu que, fondamentalement, ce verre est déjà cassé. Dans le verre intact, il voyait le verre cassé. A chaque fois que vous utilisez ce verre, vous devriez considérer qu’il est déjà cassé car un jour viendra, inévitablement, où il se brisera. Utilisez le verre, prenez-en soin jusqu’au jour où il vous glissera des doigts et se cassera. Ce ne sera pas un problème. Pourquoi ? Parce que vous aurez compris et accepté sa nature « cassable » avant qu’il ne se casse.

Mais, en général, les gens disent : « J’aime tant ce verre, pourvu qu’il ne se casse jamais. » Plus tard, si le chien le casse : « Je vais tuer cette sale bête ! » et vous êtes furieux contre le chien pour avoir brisé votre verre. Si c’est l’un de vos enfants qui le casse, vous lui en voudrez tout autant. Pourquoi ? Parce que vous vous êtes enfermé dans un barrage et l’eau ne peut pas s'écouler. Vous avez érigé un barrage sans vanne, alors il ne lui reste plus qu’à déborder, n’est-ce pas ? Quand vous construisez un barrage, vous devez prévoir une vanne. Ainsi, quand l’eau monte trop, elle peut se déverser en toute sécurité. Il faut absolument avoir une valve de sécurité comme cela. La conscience de l’impermanence est la valve de sécurité des Nobles Etres éveillés. Avec cette « valve de sécurité », vous serez en paix.

Debout, en marche, assis ou allongé, pratiquez constamment en utilisant sati, l’attention, pour observer et protéger l’esprit. Tant que vous ne rejetterez pas les enseignements du Bouddha, vous ne souffrirez pas. Dès que vous les rejetterez, vous connaîtrez la souffrance. Dès que vous rejetez ses enseignements sur l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi, la souffrance apparaît. Même si vous ne pouvez pas pratiquer davantage, c’est suffisant : vous ne connaîtrez pas la souffrance ou, si elle se fait sentir, vous saurez l’apaiser facilement et cela créera une cause pour qu'elle ne réapparaisse pas à l’avenir. C’est là que s'arrête notre pratique : au moment où la souffrance cesse d’apparaître. Et pourquoi la souffrance n’apparaît-elle pas ? Parce que nous avons éliminé sa cause, samudaya.

Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin, il suffit de savoir cela et de méditer dessus. Vous devez tous avoir les Cinq Préceptes comme base de votre conduite. Il n’est pas nécessaire d’aller étudier le Tipitaka ; concentrez-vous simplement sur les Cinq Préceptes. Au début, vous commettrez des erreurs mais, quand vous le constaterez, arrêtez-vous, faites marche arrière et recommencez à observer les préceptes. S'il vous arrive de dévier encore et de commettre une autre erreur, reprenez-vous dès que vous en avez conscience. En pratiquant ainsi, votre attention sera présente à tout moment et dans toutes les postures.

Quand c’est le moment de vous asseoir en méditation, asseyez-vous mais n’oubliez pas que l’on ne médite pas seulement assis. Il faut donner à votre esprit l’occasion de vivre pleinement les choses, permettre à ces choses de se dérouler et percevoir ainsi leur véritable nature. Comment les regarder ? Voyez-les comme étant impermanentes, imparfaites et impersonnelles. Tout est incertain. Si vous vous dites : « Comme cet objet est beau ! Il me le faut absolument », ajoutez aussitôt : « Rien de sûr là-dedans ». Si vous pensez : « Je n’aime pas cela du tout », n’oubliez pas : « Pas sûr ». Est-ce vrai ? Absolument, sans erreur possible ! Et vous verrez : si vous prétendez que les choses sont réelles – « Je vais m’acheter ça, c’est sûr » – vous serez sur la mauvaise voie. Même si quelque chose vous attire beaucoup, souvenez-vous que ce n’est pas certain.

Il y a des plats qui paraissent délicieux mais vous devez vous rappeler, là encore, que ce n’est pas sûr. Cela peut paraître tout à fait sûr, tellement c’est bon, mais vous devez tout de même vous dire : «Pas sûr ! » Si vous voulez vérifier, tentez une expérience : mangez votre plat préféré tous les jours – absolument tous les jours, j’insiste. Bientôt, vous allez vous en lasser et vous direz : « Ce n’est plus aussi bon, à présent. » Et plus tard : « En fait, je préfère tel autre plat. » Mais cela n'est pas sûr non plus !

Certains méditants restent assis « en méditation » jusqu'à être à moitié hébétés, on les croirait morts, ils ne savent même plus où ils sont. Ne tombez pas dans ces extrêmes ! Si vous sentez venir la somnolence, marchez ! Changez de posture ! Développez la sagesse. Si vous êtres vraiment fatigué, reposez-vous mais, sitôt réveillé, reprenez votre pratique. C'est ainsi qu'il faut pratiquer : en utilisant bon sens, sagesse et discernement.

Que votre pratique s'appuie avant tout sur l'observation du corps et de l’esprit. Voyez leur impermanence et tout le reste s'ensuivra. Pensez-y quand vous vous régalez d'un bon plat. Dites-vous : « Pas sûr. » Mettez vite votre réaction au tapis au lieu que ce soit elle qui vous mette au tapis à chaque fois. Quand vous n'aimez pas quelque chose, vous vous contentez d'en souffrir : voilà comment les situations nous mettent K.O. ! Jamais vous n'arriverez à les mettre au tapis de cette manière.

Pratiquez aussi dans toutes les postures : assis, en marchant, debout ou couché. Il vous arrive d’être en colère aussi bien assis que debout, en marchant ou allongé. Il vous arrive aussi de ressentir une envie dans n'importe quelle posture. Alors soyez cohérents et étendez votre pratique à toutes les positions possibles. Et puis, ne faites pas semblant de pratiquer, faites-le vraiment ! Il se peut qu’un problème remonte à la surface pendant que vous êtes assis en méditation et que, avant que vous ayez pu le résoudre, autre chose surgisse. Dites-vous alors : « Pas sûr, pas sûr ». Ainsi vous mettrez ces pensées K.O. avant qu’elles ne vous mettent elles-mêmes au tapis.

Nous en arrivons maintenant au point le plus important. Si vous savez que tout est impermanent, vos pensées vont se détendre petit à petit. Quand on réfléchit à l'incertitude de toutes les choses qui passent, on constate qu'il en va de même pour tout. Dès lors, à chaque fois que quelque chose arrive, on se dit simplement : « Tiens, voilà autre chose ! »

Si votre esprit est paisible, il sera exactement comme un cours d’eau dormant. Avez-vous déjà vu une eau dormante couler ? Ah, voilà ! Vous avez vu un cours d’eau couler et vous savez ce qu’est une eau dormante mais vous n'avez jamais vu une eau dormante couler. C'est précisément là, à ce point où votre pensée ne peut vous conduire, au cœur de la paix, que vous pouvez développer la sagesse. Votre esprit sera comme une eau qui coule et pourtant il sera calme. Immobile et pourtant en mouvement. C'est pourquoi je dis que c'est « un cours d’eau dormant ». C'est là que la sagesse peut s'éveiller.