Le Dhamma de la Forêt


Qu’est-ce que le nibbana, finalement ?

Ajahn Chah


Traduit par Jeanne Schut
http://www.dhammadelaforet.org/ 


Extrait de Le Dhamma est partout



Quand on pratique la vertu et que l’on crée des mérites, on dit : « Nibbana paccayo hotu » – « Puisse cet acte être une condition pour la réalisation du nibbana. » En tant que condition pour la réalisation du nibbana, faire des offrandes est bien. Suivre les préceptes est bien. Pratiquer la méditation est bien. Écouter les enseignements sur le Dhamma est bien. Puissent ces actions devenir des circonstances propices à la réalisation du nibbana.

Mais qu’est-ce que le nibbana, finalement ? Nibbana signifie aucun attachement. Nibbana signifie ne pas attacher une importance trop grande aux situations. Nibbana signifie lâcher prise. Faire des offrandes, accomplir des actes méritoires, observer les préceptes moraux et méditer sur la bienveillance… Le but de ces pratiques est de nous libérer de nos pollutions mentales et de nos attachements, nous libérer de tout désir – désir d’être ou de devenir quoi que ce soit –, pour libérer l’esprit, de sorte qu’il soit vide d’un excès de préoccupation pour soi, vide du concept de « moi » et « les autres ».

Nibbana paccayo hotu : « Puisse cela devenir une cause pour la réalisation du nibbana ». Pratiquer la générosité, c’est abandonner, lâcher prise. Écouter les enseignements doit nous permettre d’acquérir des connaissances pour abandonner et lâcher prise, pour éradiquer l’attachement à ce qui est bien et à ce qui est mal. Au début, nous méditons pour devenir conscients de ce qui est erroné et de ce qui est mal. Quand nous en sommes conscients, nous abandonnons tout cela et nous pratiquons ce qui est bon. Ensuite, quand vous avez développé la capacité à faire le bien, n’allez pas vous y attacher. Restez dans le juste milieu du bien ou au-dessus – pas en-dessous. Quand nous nous situons en-dessous, le bien nous manipule et nous en devenons esclaves. Quand nous en sommes esclaves, il nous force à créer toutes sortes de façons d’agir et à créer du mauvais kamma1. Il peut nous conduire à faire n’importe quoi et le résultat sera la même souffrance et les mêmes circonstances affligeantes dans lesquelles nous nous trouvions auparavant.

Abandonnez le mal et développez le mérite – abandonnez le négatif et développez le positif. Quand vous développez le mérite, restez au-dessus de lui. Restez au-dessus du mérite et du démérite, au-dessus du bien et du mal. Continuez à pratiquer avec un esprit qui lâche prise, qui laisse aller les choses et se libère. Quoi que vous fassiez, le résultat sera le même : si vous agissez avec un esprit de lâcher-prise, ce sera une cause pour la réalisation du nibbana. Ce que vous faites quand vous êtes libre du désir, libre de pollution mentale, libre de l’attachement, se fond dans la voie, dans la noble vérité, le saccadhamma. Connaître les quatre Nobles Vérités signifie avoir la sagesse de reconnaître tanha2, l’origine de dukkha3.

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Pratiquer la méditation et générer mérite et vertu ne sont pas vraiment des choses bien difficiles à faire, à condition que nous les comprenions bien. Que signifie mal agir ? Qu'est-ce que le mérite ? Le mérite est ce qui est bon et beau, ne nuire ni à soi ni aux autres par la pensée, la parole ou l’action. Si nous nous comportons ainsi, le bonheur est présent. Rien de négatif n'est créé. Voilà ce que signifie le mérite. Voilà ce que signifie bien agir.

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Nous pouvons tous comprendre les principes fondamentaux de la pratique. Par exemple, si nous manquons de sagesse, nos actes de générosité n’engendreront aucun mérite. Sans la compréhension juste, nous pensons qu’être généreux signifie simplement donner. « Quand j’aurai envie de donner, je donnerai. Si j'ai envie de voler quelque chose, je le vole. Ensuite, si je me sens généreux, je ferai une offrande. » C’est comme avoir un tonneau rempli d’eau. Vous en retirez un seau plein puis vous en reversez un seau plein. Vous retirez et vous reversez, encore et encore. Quand allez-vous vider le tonneau ? Peut-il y avoir une fin ? Pensez-vous qu’agir ainsi peut vous aider à atteindre l’Éveil ? Le tonneau finira-t-il par se vider ? Un seau en moins, un seau en plus – en verrez-vous jamais le fond ?

Faire des allers-retours ainsi, c’est vaṭṭa, le cercle sans fin. Si nous parlons de vraiment lâcher prise, d’abandonner le bien comme le mal, il faudra uniquement vider l’eau. Même s’il n’en reste qu’un peu au fond, vous la retirez. Vous n’en ajoutez plus et vous continuez à en retirer. Même si vous n'avez qu'une petite cuillère pour vider l’eau, vous faites ce que vous pouvez et le tonneau finira par être vide. Mais si vous retirez un seau d’eau et vous en reversez un autre, vous retirez et vous reversez – qu’en pensez-vous ? Quand verrez-vous le fond du tonneau ? Le Dhamma n’a rien d’inaccessible. Il est juste ici, dans le tonneau.

Le Bouddha nous a recommandé « d’abandonner toute forme de mal, de pratiquer ce qui est bien et de purifier l’esprit. » Nous abandonnons d’abord les actes répréhensibles, puis commençons à développer le bien. Si nous n’éliminons pas toutes les formes de mauvaises actions, nous ne verrons pas le mérite et nous ne verrons pas ce qui est vrai et juste.

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Nibbana est synonyme de renoncement et de lâcher-prise. Essayer d'obtenir, de s'accrocher, de donner du sens aux choses, ne permet pas de réaliser le nibbana. Le Bouddha voulait que nous regardions ici-même, cet espace vide du lâcher-prise. C’est cela le mérite. C'est l’action juste.

Une fois que nous avons pratiqué correctement, accompli toutes sortes de mérites et développé la vertu, nous devrions sentir que nous avons fait notre part. Nous ne devrions pas pousser plus loin. Nous pratiquons dans le but d'abandonner les pollutions mentales et l’avidité, pas pour créer des pollutions mentales, de l’avidité et de l’attachement. Alors, où allons-nous ? Nous n'allons nulle part. Notre pratique est correcte et vraie.


1 Kamma (en pali) ou karma (en sanskrit) signifie « action ». Dans le contexte bouddhique, tout acte intentionnel du corps, de la parole ou de l’esprit engendre des conséquences proportionnelles à l’intention qui l’a guidé.

2 Tanha signifie littéralement « la soif du désir ». Kamataṇha, bhavataṇha et vibhavataṇha sont les trois grandes catégories de ce type de désir très puissant : le désir sensoriel, le désir d’exister et le désir de ne pas exister.

3 Dukkha : mot qui inclut toutes les formes de souffrance, depuis la plus petite irritation jusqu’à la douleur la plus violente.