Le Dhamma de la Forêt

Phra Piotr Citta Pañño

Itinéraire d'un moine bouddhiste



Piotr




Nous vous proposons ici une série d'entretiens recueillis auprès de Phra Piotr Citta Pañño par son fils, Nicolas.


Piotr Poloczek est né en 1949 à Cieszyn, une ville du sud de la Pologne, à 150 km de Cracovie. Là-bas coule l’Olza, une rivière qui sert aussi de frontière, et la montagne est proche.

A 25 ans, diplômé en bio-chimie, il quitte la Pologne communiste pour rejoindre sa furure épouse qui l’attend en Belgique. Il arrive avec une simple valise, presque en carton, entourée d’une ficelle, et à peine quelques dollars en poche.

Les chemins du couple se séparent finalement au début des années 80, et Piotr emménage à Bruxelles. A l’université, où il travaille comme chercheur, il a souvent l’occasion de croiser la route d’étrangers venus étudier ou travailler dans son département. Des amitiés se tissent, et un été il s’envole pour la Thaïlande où on l’a invité à venir passer ses vacances.

En 1994, Piotr découvre le contraste de l’Asie. Comme des millions d’autres touristes, le voyage le berce et l’intrigue. Il visite quelques temples et s’étonne des moines dans la rue. Il a bien lu un ou deux bouquins sur le bouddhisme et le dalaï-lama, mais en Thaïlande la culture bouddhiste imprègne chaque aspect du quotidien. Il la ressent dans la chair, et y trouve l’occasion de raviver son intérêt pour les grandes questions existentielles de son adolescence : Qui suis-je ? Pourquoi et comment ?

Voulant comprendre la manière dont le bouddhisme pourrait répondre à ses questions, ses amis l’emmènent rencontrer un moine bien connu de la région…

La rencontre avec Ajahn Panna en janvier 1996 est un choc. Les paroles et le regard à la fois sage et pétillant de ce vieil homme d’origine anglaise, qui a passé la majeure partie de sa vie au monastère jusqu’à atteindre un haut niveau de réalisation, font rapidement vaciller les maigres certitudes qu’il pensait avoir pu tirer de sa propre expérience de la vie. S’il y voit le signe de sa bêtise, son esprit scientifique est aussi séduit par la clarté et l’évidence de l’échange, si bien qu’il décide d’expérimenter par lui-même les techniques de méditation.

Stimulé par les premiers résultats de sa propre pratique, la journée au monastère ne tarde pas à se transformer en semaine, puis en voyages annuels de plusieurs mois, jusqu’à prendre la décision finale de consacrer le reste de son existence à progresser sur ce chemin.

 Le 27 mai 2002 (2545 pour le calendrier bouddhiste), Piotr est ordonné moine dans la tradition du bouddhisme Theravada, et plus particulièrement dans celle de la Tradition de la forêt de Thaïlande. Il reçoit le nom pali de Citta Pañño, qui associe les mots cœur et sagesse. Il vit depuis dans un monastère de forêt de l’Isan, province du Nord-Est de la Thaïlande.

Phra Piotr décède le 1er mai 2019. Son corps est incinéré selon les rites bouddhistes Theravada le vendredi 3 mai dans l’après-midi, entouré du Sangha des moines et de nombreuses personnes venues témoigner de l’estime et de la qualité des moments partagés avec lui.



Décès de Phra Piotr (document)


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Au printemps 2006, son fils, Nicolas, part seul en Thaïlande pour rendre visite à son père. Stimulé par son histoire et son talent à la dire en image, il emmène avec lui un micro, un enregistreur et une longue série de questions, découpée en 3 axes : le parcours, le quotidien, le bouddhisme.

Pendant une semaine Nicolas partage la vie des moines, et le soir, il passe avec son père de longues heures dans son kuti ou dans un monastère de montagne à aborder les sujets préparés. Autour, c’est le règne de la nature et des insectes qui inlassablement cisaillent le silence.

Une deuxième session d'enregistrement a lieu à l'été 2018, l'occasion de revenir sur les années passées et d'aborder certains sujets plus enprofondeur, notamment au sujet de la méditation.



Origine de ces enregistrements :

« J'ai toujours pensé que mon père avait un don pour raconter les histoires, et que la sienne avait une saveur particulière. Ordonné moine bouddhiste en 2002 dans la tradition du Theravada*, et plus particulièrement dans celle de la forêt qui prend comme source exclusive les enseignements au plus proche du Bouddha, il offre dans ces interviews audios enregistrées en 2006 et 2018 un récit généreux oùs'entrecroisent histoires de vie, quotidien de moine et quête de sagesse.

On m’a souvent demandé comment je vivais la décision de mon père et les milliers de kilomètres qui nous séparaient. A vrai dire, j’ai toujours eu peu de douleur à ce sujet, car il est plus facile d’accepter ce que l’on comprend, et plus encore quand on en partage le sens et en partie l’expérience. Il y a en moi clairement de la fierté, mais surtout de la confiance et de la motivation à poursuivre ma propre évolution.

Pour celui qui s’y engage pleinement, la vie de moine bouddhiste est aussi exigeante que source d’une grande joie. La méditation amène des transformations profondes et durables qui peuvent surprendre et parfois générer de l’incompréhension, mais il suffit d’un peu d’ouverture et d’en faire soi-même une brève expérience pour percevoir à quel point il s’agit là d’un chemin de libération, capable de donner à notre expérience de la vie la plus haute vibration.

Ces moments où nous discutions devant son « kuti » ou dans la montagne, sous l’inlassable chant des insectes, ont été des moments précieux que je partage ici avec foi et chaleur. Que vous soyez intéressé ou pas par le bouddhisme, j’ai le sentiment qu’ils ont le pouvoir de donner un certain écho à nos questions les plus fondamentales.»


Nicolas Poloczek – mars 2020