La Claire Compréhension - Sampajañña

 Bhante Henepola Gunaratana


Retranscrit par Emmanuel Mancuso et traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/




Ces pages sont le fruit de la transcription et de la traduction d'enseignements donnés par Bhante Gunaratana lors d'une retraite au Centre Kanshoji, en mai 2007.

La forme orale, avec ses imperfections et ses répétitions, a été maintenue pour que le texte bénéficie de son authenticité d’origine, et pour que la générosité, la bonté et l’humour de Bhante Gunaratana transparaissent autant que possible à travers ces lignes.

Puisse le fruit de ce travail bénéficier à tous ceux qui le liront.

Les traducteurs

(cet enseignement est le cinquième de la série,

lire les autres enseignements: ICI )

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Chers amis, cet après-midi j’aimerais parler de la Claire Compréhension ou sampajañña en pāli. La Claire Compréhension est une partie essentielle de la méditation de la tranquillité (samathā, la concentration) mais aussi de la méditation de la vision pénétrante (vipassanā).

Quand nous pratiquons la concentration, nous commençons par l’attention. Le Bouddha a mentionné quatre éléments de la méditation de la concentration :

-  les principes moraux : l’observation de principes éthiques 

-  le contentement : se satisfaire de ce que l’on a 

-  la claire compréhension des choses 

-  la pratique de l’amitié bienveillante.

J’utilise certains termes qui sont généralement traduits différemment. Par exemple, je traduis mettā par « amitié bienveillante » et non « amour bienveillant » ou « bienveillance ». Pourquoi utiliser le mot « amitié » ? Comme je vous l’ai dit, j’aime rester au plus près des paroles originelles du Bouddha. Or le mot pāli mettā a pour origine un autre mot pāli : mitta et mitta signifie « ami ». Souvent le Bouddha a conseillé à ses disciples : « Associez-vous à des amis excellents » en employant le mot kalyānamitta, « excellent ami ». Donc mitta signifie simplement « ami » et mettā est la nature de mitta. Nous devons donc développer les qualités et la nature d’un ami.

Il existe un autre mot pāli, karunā, qui exprime la gentillesse envers autrui, la compassion. On trouve de nombreux passages dans les textes où le Bouddha parle de karunā dans ce sens-là. Donc traduire mettā par « amour bienveillant » ou « bienveillance », c’est le rendre presque synonyme de karunā. Comme le Bouddha a utilisé deux mots différents, nous devons garder deux sens séparés et dire « amitié » pour mettā et « compassion » pour karunā. Je pense que les premiers traducteurs du mot « mettā » n’ont pas tenu compte de sa racine en pāli.

Donc, quand nous pratiquons la méditation de la tranquillité, l’une des exigences premières est la pratique de l’amitié bienveillante. De même quand nous pratiquons la méditation de l’attention, l’une des exigences premières est la pratique de mettā. Dans la méditation de l’attention, nous avons ces quatre facteurs de la Claire Compréhension et quand nous pratiquons la méditation de la tranquillité, nous avons aussi cette Claire Compréhension. Les exigences de base pour développer samathā et vipassanā sont donc les mêmes. Nous devons à présent bien comprendre ce qu’est la Claire Compréhension.

Le mot pāli sampajañña, que je traduis par « Claire Compréhension », a également été traduit et expliqué de différentes manières par différentes personnes. Si vous avez lu les Quatre Fondements de l’Attention* vous avez peut-être rencontré ce terme. Après avoir entendu mon explication, je vous propose de relire les explications données par les autres commentateurs et de voir la différence entre ce que je dis et ce qu’ils ont dit.

La Claire Compréhension comprend quatre éléments : il y a la claire compréhension du but, du domaine, de l’adéquation et de la non-ignorance.

1. La Claire Compréhension du But

Il faut que nous comprenions clairement le but de notre pratique. Au début de cette retraite, je vous ai dit qu’il y avait cinq buts très précis en vue desquels on pratique la méditation. Permettez-moi de les répéter ici :

-  pour purifier l’esprit

-  pour surmonter le chagrin et les larmes

-  pour surmonter la souffrance et la déception

-  pour suivre le Noble Octuple Sentier

-  pour atteindre la Libération.

Tels sont les buts de la méditation. En conséquence, à chaque fois que nous pratiquons la méditation, nous devons nous poser les questions suivantes : cela m’aide-t-il à purifier mon esprit ? Cela m’aide-t-il à surmonter mon chagrin et mes larmes ? Cela m’aide-t-il à surmonter ma souffrance et ma déception ? Cela m’aide-t-il à suivre le Noble Octuple Sentier ? Et cela m’aide-t-il à me libérer du cycle du samsāra ? Voilà les questions que nous devons nous poser à chaque fois que nous nous lançons dans une quelconque pratique méditative.

Les gens disent beaucoup de choses à propos du « but ». Ils disent que quand on va faire des courses, on a un but ; quand on va de sa chambre à la cuisine, on a un but ; quand on va de chez soi au travail, on a un but. C’est en donnant ce sens au mot « but » que les gens expliquent la Claire Compréhension du But. Mais, mes amis, ceci n’a rien à voir avec les buts de la méditation. Imaginons qu’au beau milieu de la nuit, vous ayez tellement faim que vous ne puissiez plus dormir. Vous vous tournez et vous retournez dans votre lit tant vous avez envie de manger quelque chose. Finalement vous vous glissez hors du lit et marchez sur la pointe des pieds jusqu’à la cuisine. Là, vous ouvrez le frigo et vous trouvez quelque chose à manger. (C’est ainsi que l’on devient un « frigétarien » : quelqu’un qui pille le frigo au milieu de la nuit !) Eh bien, à ce moment-là, votre but n’était pas la méditation ; vous vouliez simplement manger quelque chose !

Quand le Bouddha parle d’un « but » en tant qu’élément de Claire Compréhension, il s’agit immanquablement d’une chose liée à l’entraînement de l’esprit et de l’attention. La Claire Compréhension du But est toujours destinée à purifier notre esprit, à surmonter le chagrin et les larmes, à surmonter la souffrance et la déception, à suivre le Noble Octuple Sentier et à nous libérer de la souffrance. Nous devons donc tout le temps garder ces objectifs bien en tête.

2. La Claire Compréhension du Domaine

Le second élément de la Claire Compréhension est le « domaine », le champ d’action, le cadre de notre méditation. Mes amis, quel est notre domaine ? Le Bouddha en a parlé très clairement : notre champ d’action n’est rien d’autre que les quatre fondements de l’attention. Nous revenons donc sans cesse à notre corps, à nos sensations, à nos états de conscience et aux différents phénomènes mentaux qui nous habitent. Tel est notre domaine, notre champ d’action. Pour les méditants, c’est tout ce qu’il y a.

Que signifie revenir sans cesse à notre corps, à nos sensations, à notre conscience et aux phénomènes mentaux ? Cela signifie que nous revenons à nos propres cinq agrégats. Il est vrai que l’agrégat de la perception n’est pas mentionné dans les quatre fondements de l’attention mais il est implicitement inclus. Donc, mes amis, dans notre pratique de la méditation, nous devons toujours comprendre comment ces cinq agrégats interviennent. Quand on parle d’une personne, on doit toujours avoir à l’esprit que l’on parle de ces cinq agrégats. Le mot pāli pour désigner un être vivant est satta ou satto. Le Bouddha a donné de ce mot une définition très importante : « Satta, un être vivant, est une entité liée aux cinq agrégats par l’avidité et l’ignorance ».

Je vais répéter cette définition : une entité qui est liée aux cinq agrégats par l’avidité et l’ignorance est ce que nous appelons un « être vivant ». Connaissez-vous un être vivant qui ne soit pas lié à ses agrégats par l’avidité et l’ignorance ? Nous sommes liés à ces agrégats et nous ne pouvons pas vivre sans ces agrégats. Ces agrégats sont la forme, les sensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience. Je vais vous donner un exemple tout simple : quand je prononce ces mots, chaque petite particule de son qui sort de mes lèvres implique les cinq agrégats. Le croyez-vous ? C’est en faisant usage de l’intention (formation mentale) que je dois penser au son que je souhaite prononcer. Ensuite ma bouche, ma langue, doit fonctionner (l’élément forme ou corps). Ensuite je dois ressentir ce que je dis (sensation), je dois percevoir mentalement ce que je dis (perception) et je dois être pleinement conscient de ce que je dis (conscience). Donc pour chaque minuscule son que je produis, les cinq agrégats sont impliqués. Imaginez-vous combien de millions et de milliards de fois nos cinq agrégats sont sollicités quand nous parlons ?

Autre exemple : je claque des doigts. Combien de temps faut-il ? C’est instantané ! Mais dans ce claquement de doigts si rapide, les cinq agrégats interviennent : les doigts, de même que le son produit, correspondent à l’agrégat du corps ; je ressens le frottement de mes doigts — c’est l’agrégat de la sensation ; avec mes oreilles je perçois le bruit — c’est l’agrégat de la perception ; je le fais intentionnellement — c’est l’agrégat de la formation mentale ; et je suis conscient de ce que je fais — c’est l’agrégat de la conscience.

En conséquence, quand on bouge intentionnellement la main — ou une autre partie du corps — d’une position à une autre, tous les cinq agrégats interviennent. Vous voyez combien cela est subtil et combien les cinq agrégats sont omniprésents dans toutes nos activités. C’est pourquoi un méditant attentif doit utiliser le corps avec la claire compréhension que, à chaque fraction de seconde, ses cinq agrégats sont en mouvement, changent. Voir ce changement permanent dans les cinq agrégats à chaque fraction de seconde est le « domaine » de notre méditation. Cela inclut l’attention au corps et à l’agrégat de la forme ; cela inclut l’attention aux sensations et à l’agrégat de la sensation. Cela inclut les phénomènes mentaux appelés dhamma et l’agrégat des formations mentales. Et cela inclut l’attention à la conscience et à l’agrégat de la conscience.

Tout cela peut paraître compliqué mais quand on y regarde de près avec toute son attention, on voit que c’est extrêmement simple. Le « domaine » du méditant n’est donc rien d’autre que ces cinq agrégats ou les quatre fondements de l’attention.

3. La Claire Compréhension de l’Adéquation

Le troisième aspect de la Claire Compréhension est la claire compréhension de l’adéquation. Nous devons nous demander : « Ces quatre fondements de l’attention et les cinq agrégats sont-ils adéquats, appropriés pour me permettre d’atteindre mon but ? »

La réponse est : « Oui », parce que tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un objet qui nous permette de comprendre l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi. Or tous ces éléments de contemplation étant en constant changement, ils sont parfaitement adaptés, en tant qu’objets de méditation, pour nous permettre d’atteindre notre objectif.

4. La Claire Compréhension de la Non-ignorance

Le dernier aspect de la Claire Compréhension est la compréhension de la non-ignorance. La non-ignorance est une partie de la Claire Compréhension difficile à saisir parce que, de manière générale, les gens croient que dans les cinq agrégats se trouve une entité centrale permanente, qui ne change pas. Avoir une claire compréhension de la non-ignorance consiste à voir comment ces agrégats, comment ces fondements de l’attention fonctionnent ensemble en interdépendance avec plusieurs autres facteurs ; à voir qu’aucun d’eux ne peut exister indépendamment des autres.

Prenons la conscience, par exemple. Elle ne peut pas exister sans l’esprit et les états d’esprit ; elle n’apparaît pas indépendamment mais toujours en fonction d’un autre facteur. Nous avons différents types de conscience : nous disons qu’il y a la conscience visuelle, la conscience auditive, la conscience olfactive, la conscience gustative, la conscience tactile et la conscience mentale. On leur donne ces noms parce que ces différentes consciences dépendent de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût, du toucher et du mental. Mais les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et le mental ne génèrent pas eux-mêmes une conscience sans un objet extérieur qui leur corresponde. Ainsi, pour qu’il y ait conscience visuelle, il doit y avoir un objet visuel. Pour qu’il y ait conscience auditive, il doit y avoir un son. De même la conscience olfactive implique l’existence d’une odeur extérieure ; la conscience gustative dépend de l’existence d’un goût ; et la conscience tactile apparaît quand il y a un objet physique tangible. Ces trois éléments — l’organe des sens, l’objet extérieur et la perception sensorielle — doivent intervenir simultanément pour que la conscience apparaisse. Mais la conscience existe-t-elle dans l’œil ? Existe-t-elle dans l’objet visuel ? Non, la conscience n’existe ni dans les objets visuels ni dans notre œil.

Par contre, il y a une conscience en nous qui, sans être très active, demeure présente à tout moment, même quand on est sous anesthésie ou soi-disant inconscient. Par exemple, quand quelqu’un s’évanouit et perd la notion de ce qui l’entoure, même à ce moment-là la conscience est présente. De même, quand on dort très profondément, la conscience est là. Cette conscience est en sommeil, inactive, passive, profondément enfouie dans notre esprit. Les maîtres de l’Abhidhamma utilisent un terme particulier pour la désigner : la conscience bhavanga. C’est une conscience qui reste en sommeil jusqu’au moment où un contact se produit au niveau des yeux, des oreilles, du nez, de la langue, du corps ou de l’esprit. A ce moment-là cet état de conscience passif devient actif et nous devenons ce que l’on appelle « conscients ». Il est important de souligner que cette conscience bhavanga, cet état de conscience très passif, n’est pas du tout statique ; elle change aussi à chaque fraction de seconde.

De tels concepts sont parfois très difficiles à saisir, je vais donc vous donner un exemple pour illustrer celui-ci. Je crois que, de nos jours, tout le monde est familiarisé avec les ordinateurs, n’est-ce pas ? Eh bien, si vous éteignez votre ordinateur, que vous le débranchez et que dix jours plus tard vous le rebranchez et l’allumez, vous constaterez que l’horloge affiche l’heure exacte. Pourquoi ? Parce que, pendant tout ce temps, il s’est passé quelque chose dans l’ordinateur. Cela ne se voyait pas sur l’écran — ni image ni écran de veille, rien du tout ! Tout était complètement éteint. A voir l’écran on aurait pu croire que l’ordinateur était mort. Et voilà que dix jours plus tard l’horloge fonctionne parfaitement !

De la même manière, notre conscience, bien que non active, fonctionne à l’intérieur mais d’une manière passive, inactive et, quand une situation se présente, elle se met en marche et nous disons alors que nous sommes conscients. Donc la conscience est toujours là et elle nous donne toujours l’heure exacte ! Quand vous perdez connaissance et que vous revenez à vous, si quelqu’un vous demande comment vous vous appelez, vous vous souviendrez de votre nom et vous pourrez même répondre à toutes sortes d’autres questions, comme votre numéro d’identité, etc. Tout cela parce qu’une forme de conscience dormante fonctionne à l’intérieur, la conscience bhavanga, comme on l’appelle dans l’Abhidhamma. Mais attention, il ne s’agit pas d’une entité permanente, éternelle et immuable. Si elle était permanente, rien ne pourrait jamais se produire en vous.

La Claire Compréhension de la Non-ignorance signifie donc simplement prendre pleinement conscience qu’il n’y a rien de statique dans notre corps et notre esprit. Ainsi nous comprenons très, très clairement qu’il s’agit là de la nature même de notre esprit.

Vous savez, c’est une très belle chose de réaliser comment les cinq agrégats fonctionnent simultanément en une fraction de seconde. Quand nous comprenons que c’est précisément leur nature, il nous devient aisé de voir comment les choses changent en permanence dans notre corps et dans notre esprit. Pourquoi est-il si important d’avoir cette claire compréhension ? Parce qu’elle nous permet de voir clairement les agrégats qui nous composent exactement tels qu’ils sont, ce qui nous aide à éliminer notre avidité, notre aversion et notre ignorance. Bien sûr, cela n’arrive pas en un jour. Il faut beaucoup, beaucoup de temps pour entraîner notre esprit à nous observer de très près.

Il y a encore une chose qu’il faut savoir sur la Claire Compréhension : tant que l’esprit n’est pas prêt, il nous est impossible de nous débarrasser de l’avidité, de l’aversion et de l’ignorance. Ce que nous faisons dans la méditation de l’attention, c’est préparer notre esprit à se libérer de l’avidité, de l’aversion et de l’ignorance. Certaines personnes croient que quand elles atteindront l’Eveil, l’avidité, l’aversion et l’ignorance disparaîtront d’elles-mêmes complètement. Mais ce n’est pas en atteignant l’Eveil que l’avidité, l’aversion et l’ignorance disparaissent. C’est en éliminant l’avidité, l’aversion et l’ignorance que l’on atteint l’Eveil — pas l’inverse ! Si vous vous dites : « Quand j’atteindrai l’Eveil, mon avidité, mon aversion et mon ignorance disparaîtront », c’est comme mettre la charrue avant les bœufs. Ce que l’on fait en méditation, c’est que l’on retire les kilesa un par un. Il ne faut pas croire que dès la première retraite, parce que vous vous asseyez sur un coussin pendant six, sept, huit ou neuf jours, vous allez atteindre l’Eveil. Les choses ne se passent pas comme cela. Il faut grandir, mûrir et préparer l’esprit et le corps lentement, progressivement. Prendre le temps.

Le Bouddha a prononcé de très belles paroles à ce sujet (tout ce que je vous dis sont les paroles même du Bouddha). Il a dit : « Celui qui observe les principes moraux n’a pas besoin de souhaiter : ‘Puissé-je être libre de tout remords !’ parce que c’est la nature, la vérité, que lorsque les principes moraux sont bons, parfaits, on est libre de tout remords. » Commencez donc par le commencement et ne vous attendez pas à ce que l’aboutissement arrive dès le départ.

Quand l’esprit est libre de tout remords, il est inutile de souhaiter : « Puissé-je me sentir détendu, calme et paisible ! » parce que c’est la nature, la vérité que lorsque l’esprit est libre de tout remords, on se sent calme, détendu et paisible. Quand on est calme, détendu et paisible, il est inutile de souhaiter : « Puissé-je être plein de joie ! » car le Bouddha a dit que lorsque l’esprit est calme et détendu, on devient tout naturellement plein de joie. Quand on est plein de joie, il est inutile de souhaiter : « Puissé-je être heureux ! » car il est dans la nature de l’esprit joyeux d’être heureux. Et quand on est heureux, on n’a pas besoin de souhaiter : « Puissé-je atteindre la concentration ! » car le Bouddha a dit que quand on est vraiment heureux, la concentration apparaît naturellement. Donc un esprit heureux atteint la concentration.

Mais nous devons nous souvenir que le bonheur n’est pas l’excitation. Ce sont deux états d’esprit complètement, absolument différents. Que fait-on quand on est excité ? On trépigne, on danse, on embrasse quelqu’un ou même son chien ; on rit et on parle, on parle, on parle ; on va même jusqu’à verser des larmes — tout cela pour exprimer son excitation. Quand on pratique la méditation, on ne fait rien de cela. Au contraire, on développe la paix et le calme intérieurs, un état de détente et de joie parfaite. L’esprit est parfaitement heureux et on souhaite préserver ce bonheur. On devient très calme, détendu, et on atteint la concentration.

Ce que l’on appelle normalement « bonheur » n’est donc en réalité qu’une excitation toujours liée à une forme ou une autre de plaisir sensoriel. Pour que vous vous sentiez heureux ou excité, il faut qu’il y ait quelque chose d’extérieur que vous voyiez, entendiez, sentiez, touchiez ou pensiez. Ce bonheur est donc dépendant de ce que vous voyez, de ce que vous entendez, de ce que vous sentez, de ce que vous goûtez, de ce que vous touchez ou de ce que vous pensez. Par contre, le bonheur que vous ressentez dans la méditation ne dépend de rien d’extérieur et ne change pas en fonction des situations. Il se cultive et se développe en vous, à l’intérieur, de sorte que votre esprit et votre corps deviennent vraiment calmes, détendus et paisibles. Il y a un état de clarté, de pureté très puissant et, en prenant conscience de cet état, vous obtenez une excellente concentration.

Quand on compare ces deux formes de bonheur, on réalise que le bonheur « ordinaire » est une forme de bonheur bon marché. Même un enfant peut se le procurer ; il est inutile de s’entraîner spécialement pour cela. Il vient à nous chaque jour : la moindre plaisanterie peut nous exciter ; nous rencontrons quelqu’un que nous aimons bien et nous sommes excités. L’autre forme de bonheur, celle qui naît de la méditation, apparaît naturellement. En nous, quelque chose grandit avec force — quelque chose de calme, de paisible, de relaxant — et, tout naturellement, cela fait surface dans notre esprit conscient. Alors, mes amis, abandonnez le bonheur facile et remplacez-le par ce bonheur qui a une véritable valeur. Le Bouddha a dit : « Abandonnez le bonheur bon marché pour un bonheur plus grand et plus précieux. » Une personne sage choisira le bonheur spirituel profond et laissera derrière elle le bonheur ordinaire des plaisirs sensoriels.

Ainsi dans notre Claire Compréhension, nous ne nous laissons pas piéger par la superficialité. La non-ignorance c’est voir très clairement les conceptions erronées et les abandonner. Cet état de non-ignorance éveille notre vision intérieure, notre sagesse. Ensuite, grâce à la vision intérieure et à la sagesse, on obtient une concentration très puissante, très profonde, que l’on ne voudrait échanger pour rien au monde. Ce n’est qu’alors que l’on réalise la véritable valeur de la vie.

Nous avons tous cette possibilité, cette force en nous et notre méditation nous aide lentement, progressivement, à éveiller ce bonheur profond et puissant, ce bonheur si précieux, et à atteindre la concentration.

Alors souvenez-vous de cela : nous devons comprendre comment les cinq agrégats fonctionnent ensemble, comment nous obtenons la compréhension des éléments de la Claire Compréhension, comment chaque compréhension mène au bonheur et comment, finalement, le bonheur mène à la concentration. Tout cela implique la présence de l’attention, cela implique la présence de mettā et cela implique la présence de la concentration. Nous pratiquons donc tout cela en même temps dans notre entraînement progressif. Notre succès est progressif, l’entraînement est progressif, la discipline est progressive. Le Bouddha a parlé de anupubbasikkhā, anupubbakiriyā, anupubbapatipadā ; anupubba signifie « progressif » : entraînement progressif, pratique progressive et succès progressif.

En conséquence, si vous n’obtenez rien de tangible au bout d’une ou deux méditations, au bout d’une ou deux semaines, ne vous découragez pas ! Chaque seconde passée à méditer vous fait avancer. C’est comme les chaussures : elles s’usent à chaque fois que vous les portez, même si cela ne se remarque pas tout de suite. De la même manière, les kilesa ne partiront pas après une simple méditation ; cela se passera lentement, progressivement mais sûrement. C’est pourquoi je tiens à vous encourager à pratiquer la méditation et à ne pas être déçus si vous avez mal ou si vous êtes agités. Ne vous en faites pas pour cela !

 

 


*  Le Discours sur les Quatre Fondements de l’Attention ou Satipatthāna Sutta. On en trouve différents commentaires et traductions sur le site Internet http://www.accesstoinsight.org/tipitaka/mn/mn.010.nysa.html.