La Méditation sur les Trente-deux Parties du Corps

Bhante Henepola Gunaratana


Retranscrit par Emmanuel Mancuso et traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/



Ces pages sont le fruit de la transcription et de la traduction d'enseignements donnés par Bhante Gunaratana lors d'une retraite au Centre Kanshoji, en mai 2007.

La forme orale, avec ses imperfections et ses répétitions, a été maintenue pour que le texte bénéficie de son authenticité d’origine, et pour que la générosité, la bonté et l’humour de Bhante Gunaratana transparaissent autant que possible à travers ces lignes.

Puisse le fruit de ce travail bénéficier à tous ceux qui le liront.

Les traducteurs

(cet enseignement est le sixième de la série,

lire les autres enseignements: ICI )

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Bonjour à tous. Je voudrais continuer à explorer la méditation sur le corps telle que l’a enseignée le Bouddha. Etant donné que le sujet est inépuisable, je ne fais qu’en donner un petit aperçu dans chacun de ces entretiens. Nous avons déjà abordé quelques éléments de base à propos des Quatre Fondements de l’Attention ; aujourd’hui je voudrais parler de la contemplation des trente-deux parties du corps.

Quand on essaie de parler des parties du corps, beaucoup de gens se demandent comment il est possible de méditer là-dessus. Faut-il être anatomiste, biologiste, pathologiste, chimiste ou physiologiste ? En réalité, être un spécialiste dans le domaine du corps ne va pas nous aider à développer la vision pénétrante. Si ces professions pouvaient nous aider à développer la vision pénétrante, c’est tout ce que nous aurions besoin d’apprendre. Ces choses-là s’étudient à l’université, elles sont l’objet de diplômes — mais je ne crois pas que les universités enseignent l’attention consciente. Même si un spécialiste peut subdiviser et analyser minutieusement le corps, il n’y sera pas pour autant très attentif, du moins pas à la manière enseignée par le Bouddha. Sans avoir la moindre connaissance universitaire de ce genre, on peut pratiquer l’attention au corps de manière très spéciale. Quand on apprend cette méditation, que l’on soit jeune ou vieux, en bonne ou en mauvaise santé, on devient capable de comprendre son corps exactement tel qu’il est.

Vous savez, c’est parce que nous ne comprenons pas notre corps comme nous le devrions que le moindre changement nous perturbe terriblement. C’est pour nous permettre de garder un état d’esprit sain et équilibré à cet égard que le Bouddha a proposé ce thème de méditation où le corps se voit divisé en trente-deux parties. Ces trente-deux parties appartiennent à deux éléments : vingt d’entre elles relèvent de l’élément terre et douze de l’élément eau.

Quand on est ordonné moine ou nonne, la première chose que l’on nous enseigne est de concentrer notre esprit sur cinq de ces parties. En pāli on les appelle tacapancaka, c’est-à-dire « la peau comme cinquième ». Il s’agit donc des cinq premières parties mentionnées dans cet ordre par le Bouddha : les cheveux, les poils, les ongles, les dents et la peau. Ces cinq parties sont très importantes car elles sont ce que nous voyons des gens dès que nous les rencontrons. Nous voyons leurs cheveux, certains poils de leur corps comme les cils et les sourcils, leurs dents s’ils parlent ou sourient, et leur peau. Et ce sont les cinq choses qui nous trompent !…

Les cheveux sont très, très importants. Je n’ai pas besoin de vous dire à quel point ! Les moines et les nonnes ont la tête rasée mais, pour la plupart des gens, les cheveux sont extrêmement importants ; ils sont quasiment vénérés et on passe beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à en prendre le plus grand soin. Dans cette méditation, nous devons donc simplement réfléchir à tout l’intérêt et à toute l’attention que nous portons à nos cheveux. Ceux qui ont de beaux cheveux sains en sont très fiers mais quand ils vont chez le coiffeur, quelle est la première chose que celui-ci leur fait ? Il les lave ! Même les cheveux les plus beaux, quand on s’en approche, ont une odeur. Une coiffeuse m’a dit un jour qu’elle commençait toujours par vaporiser un produit sur la tête de ses clients pour éliminer l’odeur de leurs cheveux.

Disons donc que vous lavez vos cheveux, vous les gardez bien propres, vous en prenez grand soin et puis vous rentrez à la maison, vous vous servez un bol de soupe et voilà qu’un de ces merveilleux cheveux tombe dans la soupe. Que faites-vous ? Vous jetez le bol de soupe ! Quand ce cheveu était sur votre tête, vous l’aimiez, vous le respectiez mais une fois dans la soupe, vous le détestez ! Par contre, si vous pratiquez l’attention, peu importe que le cheveu soit sur votre tête ou dans la soupe parce que c’est votre cheveu et que vous savez qu’il est propre puisque vous venez de le laver. Alors si ce beau cheveu bien lavé et propre tombe dans votre soupe, pourquoi la jeter ? Si vous ne voulez pas manger le cheveu, vous le jetez et vous mangez la soupe. Vous ne tomberez pas malade car ce cheveu était très propre.

Ces façons différentes que nous avons de traiter un cheveu quand il est sur notre tête et quand il est dans un bol de soupe sont tout à fait étranges. Voyez-vous combien cette attitude est superficielle, artificielle et combien toutes les émotions investies sont inutiles ? Etre attentif à ses cheveux, c’est savoir que les cheveux changent tout le temps, qu’ils vieillissent, qu’ils deviennent gris et qu’ils tombent.

J’ai une histoire de cheveux à vous raconter ! Il y avait une fois un roi appelé Makadeva dont le barbier venait chaque jour raser la barbe, couper les cheveux, etc. Un jour le roi lui dit : « Barbier, si jamais tu vois un cheveu gris sur ma tête, préviens-moi ! » Au bout de quelques années, le jour vint où le barbier trouva un cheveu gris sur la tête royale. Il eut peur car il ne savait pas comment le roi réagirait quand il lui apprendrait la nouvelle. Il s’inclina donc devant le roi et, les mains jointes devant la poitrine, il lui dit : « Votre Majesté, j’ai vu un cheveu gris. » Le roi lui ordonna alors : « Arrache-le ! Arrache-le ! » Et l’homme se dit que le roi ne voulait pas voir de cheveux gris sur sa tête.

Contrairement à aujourd’hui, à cette époque-là les rois n’avait pas de teinture pour les cheveux donc tout ce qu’ils pouvaient faire pour ne pas avoir de cheveux gris était de les arracher au fur et à mesure qu’ils poussaient. Le barbier arracha donc le cheveu gris et le mit dans la main tendue du roi. Le roi dit alors : « Appelez mon premier ministre et demandez-lui de réunir le Cabinet ! »

« Tout cela pour un cheveu, se dit le barbier. C’est ridicule. » Mais il fit ce que le roi lui avait demandé : il informa le premier ministre et le premier ministre convoqua le Cabinet, lequel appela le vice-roi. Quand tout le monde fut réuni, le roi déclara : « J’ai reçu un message divin. Un deva est venu me l’apporter. » Tout le monde se demandait : « De quel message peut-il bien s’agir ? » lorsque le roi ajouta : « J’ai trouvé un cheveu gris sur ma tête. » Les hommes se dirent : « Et alors ? Où est le problème ? » Et le roi dit : « Le problème est que je vais renoncer au trône. Mon vice-roi deviendra roi et vous prendrez soin du royaume. Quant à moi, je renonce au trône parce que ce message m’annonce qu’une chose importante va se produire dans ma vie. » Il n’était pas perturbé. La vue du cheveu gris ne l’avait pas perturbé mais lui avait rafraîchi la mémoire : « Ceci est un rappel de la réalité de la vie. »

Alors, quand nous pratiquons l’attention aux parties du corps, nous sommes sans cesse rappelés à la réalité de ce qui nous arrive — notamment, nous voyons que nos cheveux ne sont pas permanents. Vous savez, quelqu’un de réellement mûr sur le plan du développement spirituel, qui comprend la réalité des choses, ne sera jamais perturbé par des cheveux blancs ni même par la calvitie. On peut faire son possible pour prendre soin de ses cheveux, les laver et les garder sains mais tout en sachant et en comprenant profondément que les cheveux sont impermanents.

Certaines personnes disent que je parle beaucoup des cheveux mais il en va de même pour toutes les autres parties du corps. Il est dit que l’on pratique l’attention au trente-deux parties du corps pour développer un rejet ou une répugnance par rapport au corps mais c’est absolument faux. Il s’agit là d’une mauvaise interprétation de la vérité. Le corps n’a rien de répugnant et rien de beau, nous devons simplement le regarder de manière très réaliste. Il est vrai que cette méditation sur les parties du corps est parfois recommandée aux personnes tourmentées par des désirs sensoriels et sexuels — mais cela ne fonctionne pas toujours.

Une célèbre histoire à ce propos concerne un élève du Vénérable Sāriputta. Sāriputta était l’un des deux plus grands disciples du Bouddha. Il était très sage et c’est lui qui expliquait en détail le Dhamma que le Bouddha enseignait succinctement. Sāriputta avait un élève qui souffrait des affres du désir sexuel. Il lui conseilla cette contemplation du corps comme objet de méditation, en se disant que cela lui permettrait de dépasser son obsession et qu’il pourrait ensuite continuer à méditer normalement. Cet élève s’assit sous un arbre et médita sur les trente-deux parties du corps mais, au lieu de diminuer son désir sexuel, cela l’augmenta — peut-être a-t-il contemplé un autre corps que le sien, je n’en sais rien ! Quoi qu’il en soit, son désir augmenta. Il alla donc voir le Vénérable Sāriputta et se plaint que la méditation ne produisait aucun effet. Le Vénérable Sāriputta dit : « Non, c’est un excellent sujet pour toi ; il va te permettre de te libérer de tes obsessions. Retourne méditer dessus ! Tu y arriveras ! » Mais la seconde fois ne fonctionna pas et la troisième non plus. Finalement, le Vénérable Sāriputta l’amena au Bouddha. Le Bouddha regarda le jeune moine et ce simple coup d’œil lui suffit pour savoir quoi faire de lui. Au lieu de lui demander de méditer sur les trente-deux parties du corps, il lui tendit une fleur de lotus.

Nous voici donc avec un moine plein de désir sexuel qui n’arrive pas à en libérer son esprit en se concentrant sur les trente-deux parties du corps et le Bouddha lui donne une fleur de lotus — une fleur de lotus particulièrement fraîche, belle, parfumée et à peine éclose ! (Quand elles entendent cette histoire, certaines personnes se demandent comment le Bouddha a pu avoir cette fleur de lotus à portée de main ; quelqu’un a même suggéré que le Bouddha l’avait fait apparaître ! Mais, mes amis, le Bouddha n’avait pas besoin de faire apparaître des fleurs parce que chaque jour des fidèles venaient lui en apporter. Il était tous les jours entouré des plus belles fleurs de lotus !) Il en prit donc une et la tendit au jeune moine en disant : « Prends cette fleur et va t’asseoir au bord de la petite mare là-bas. Tu planteras la fleur dans le sable, à l’extérieur de la mare et puis tu concentreras ton esprit dessus. Médite sur la beauté de la fleur, vois comme elle est fraîche, comme elle est parfumée, comme elle est attirante. Concentre ton esprit dessus et médite. »

A ce moment-là plusieurs enfants s’approchèrent et, trouvant des lotus dans la mare, ils les cueillirent et les plantèrent aussi sur la rive, de sorte que le moine se trouva avec plus d’un lotus à contempler. Il concentra son esprit, médita en contemplant les fleurs. Il faisait très chaud ce jour-là et, tandis qu’il regardait la fleur en méditant, sous ses yeux les pétales commencèrent à se flétrir, puis ils fanèrent, moururent et tombèrent au sol. C’est ainsi que le moine comprit l’impermanence de la fleur et il eut une vision pénétrante de la réalité : aussi jeune, belle, parfumée et fraîche que l’ait été cette fleur, elle était désormais fanée.

Il n’est pas nécessaire d’observer la laideur. Voyez la beauté ! La beauté se fane comme tout ce qui nous arrive. Quand on est jeune, on est beau, fort, en bonne santé, plaisant à regarder — aucun doute là-dessus, c’est vrai pour tout un chacun. Et puis le temps passe et on perd peu à peu toutes ces qualités. Ce n’est un secret pour personne. En fait, c’est une chose que nous taisons à nous-mêmes mais pour les autres, ce n’est pas un secret ! Aujourd’hui encore, quand je me regarde dans le miroir, je me trouve jeune et beau, mais quand je voyage, les gens me demandent : « Vous voyagez seul ? Avez-vous besoin d’aide ? » Et cet homme-là est venu tout spécialement du Canada pour m’accompagner en France ! Moi je me trouve jeune, fort et beau mais il n’a pas l’air de penser la même chose !!

Alors, mes amis, c’est ainsi que nous devons regarder la nature, la vérité : nous vieillissons tous, nous sommes tous impermanents. Quant à utiliser la méditation sur les trente-deux parties du corps pour voir le corps comme quelque chose de laid, de répugnant, de dégoûtant, etc., cela n’engendre que colère et haine envers soi.

Il y a dans le Mahjima Nikaya un sutta intitulé le Kayagatasati Sutta[1], c’est-à-dire “le Discours sur l’Attention au Corps”. Avant de partir pour une retraite de trois mois, le Bouddha a donné cet enseignement et les moines l’ont utilisé pour pratiquer la méditation sur la laideur du corps. (Vous croyez être les seuls à faire des retraites ? Le Bouddha aussi partait en retraite mais il y allait de son plein gré et sans maître !) Donc, pendant les trois mois d’absence du Bouddha, certains des moines qui méditaient sur les trente-deux parties du corps se sont dit : « Ce corps est tellement répugnant ! » Ils avaient l’impression d’avoir une carcasse suspendue autour du cou et ils se disaient : « Comme ce corps est laid ! Je ne veux pas de ce corps ! »

Vivait à ce moment-là un chef de village du nom de Migalendaka. Un moine alla le trouver et lui dit : « Monsieur, rendez-moi service. Je vous donne mon bol, mon rasoir et mes robes. Vous pourrez les vendre et en retirer quelque argent. Mais avant, prenez ce rasoir et coupez-moi la gorge ! » L’homme, abasourdi, demanda : « Mais pourquoi ? » Et le moine répondit : « Je ne veux pas vivre cette vie. Ce corps est si laid, si répugnant, je veux m’en débarrasser. » L’homme hésita un moment puis il réfléchit ainsi : « Il a dit que je pouvais vendre ses robes. Pourquoi pas, après tout ? J’en retirerai un peu d’argent ! » Et il coupa la gorge du moine.

Après s’être fait un peu d’argent en vendant les robes et le reste des possessions du moine, il se dit : « C’est une affaire qui rapporte ! » Alors il alla de kouti[2] en kouti en demandant aux moines : « Voulez-vous atteindre l’Eveil ? » Et, quand ils répondaient par l’affirmative, il leur coupait la gorge. C’est ainsi que de nombreux moines périrent.

Quand le Bouddha rentra, il constata que le nombre des moines avait diminué. Il demanda au Vénérable Ānanda : « Qu’est-il arrivé aux moines ? » Et Ānanda lui raconta ce qui s’était passé. Le Bouddha convoqua tous les moines de toute urgence et leur dit : « Comme vous avez été stupides ! Vous avez compris mon enseignement tout de travers ! » Suite à quoi il donna l’enseignement intitulé « le Discours sur l’Attention à la Respiration » qui se trouve aussi dans le Mahjima Nikaya.

Ces deux histoires permettent de voir les deux réactions extrêmes : d’un côté un moine avait encore plus de désirs sexuels en pratiquant la contemplation du corps et, d’un autre côté, plusieurs moines se sont suicidés par répulsion en pratiquant la même chose. Voilà ce qui se passe quand on comprend le Dhamma de travers. C’est très dangereux ; c’est comme un poison ! Pour illustrer cela, le Bouddha a donné un autre enseignement appelé le Alagaddupama Sutta[3] dans le Mahjima Nikaya. Dans ce discours, le Bouddha parle d’attraper des serpents venimeux : si on ne sait pas comment attraper un serpent venimeux, on risque de se faire mordre et d’être gravement malade ou même de mourir. De la même manière, quand on ne comprend pas correctement le Dhamma, cela peut causer beaucoup de dégâts, non seulement dans cette vie mais aussi dans de nombreuses vies futures, et non seulement pour soi mais aussi pour des milliers d’autres personnes.

C’est pourquoi je ne traduis pas cette méditation comme tout le monde. Quand les gens traduisent le mot en anglais, ils le traduisent littéralement, sans comprendre le sens sous-jacent profond, l’essence du mot pāli. Le mot pāli patikkūlamanasikāra signifie “réfléchir d’une manière non traditionnelle”. Quand je dis « non traditionnelle » c’est parce que je ne trouve pas de meilleur terme. En fait, patikkūla signifie : « aller à contre-courant ». Anukkūla c’est aller avec le courant et patikkūla aller à contre-courant. Comme anuloma qui signifie « dans le sens du poil » (loma étant les cheveux) et patiloma qui signifie « à rebrousse-poil »[4]. Vous vous souvenez, l’autre jour j’ai mentionné la particule « anu » comme dans anussati qui signifie « aller, couler avec quelque chose ». Donc patikkūla signifie « contre le courant, à contresens ».

Ceci revient à dire que « normalement » nous traitons notre corps comme s’il était permanent et beau. Nous avons en tête cette notion selon laquelle notre corps va toujours rester jeune, en bonne santé, plaisant à regarder, etc. C’est pourquoi le Bouddha dit que c’est la manière « normale » de penser. Tout le monde aimerait rester éternellement jeune, sain et beau. Certaines personnes ont tellement de mal à admettre qu’elles vieillissent qu’elles disent : « Je ne suis pas vieux, je suis recyclé ! » C’est la manière « normale » dans le monde.

Alors cette méditation va « à l’encontre » de cette façon de penser ; elle nous rappelle que nous devons nous accepter tels que nous sommes. Mes amis, si nous nous acceptons tels que nous sommes, nous ne serons pas affreusement déçus quand nous découvrirons la vérité. Donc ma traduction du nom de cette technique de méditation est : « Voir les parties du corps exactement comme elles sont, tout comme un scientifique prendrait n’importe quelle petite partie du corps et l’examinerait sous un puissant microscope. »

Imaginez que vous ayez une petite grosseur quelque part. Vous allez voir un médecin et celui-ci, craignant qu’il ne s’agisse d’un cancer, vous fait une biopsie. Il prélève une minuscule partie de la grosseur et l’envoie à un laboratoire où des spécialistes vont l’examiner méticuleusement pour voir si oui ou non elle contient des cellules cancéreuses. Ces spécialistes n’éprouvent aucun attachement ni aucune répulsion par rapport à ce petit bout de chair. C’est de manière tout à fait impartiale qu’ils veulent observer et analyser cette partie du corps qui a été prélevée pour pouvoir vous dire exactement et tout aussi impartialement, s’il s’agit ou pas d’un cancer. Quoi qu’ils découvrent, ils vous le feront savoir sans état d’âme.

Pour illustrer cette attitude, le Bouddha a proposé une très belle image que l’on retrouve dans la même section du Mahjima Nikaya. Imaginez que vous mettiez plusieurs types de graines dans un sac à deux orifices. (Normalement un sac n’a qu’une ouverture mais celui-ci en a deux.) Il y a peut-être du blé, du millet, du maïs, de l’orge ou bien des lentilles et des pois chiches … toutes sortes de graines ! Alors vous sortez ce sac en plein soleil, vous l’ouvrez et vous demandez à quelqu’un doté d’une bonne vue, de venir regarder le sac. Quand il met sa tête dans le sac et regarde les graines, il peut les identifier chacune exactement telle qu’elle est et il vous dit : « Ceci est de l’orge, cela du blé ; ceci du maïs et cela un pois chiche », etc. Il ne dira pas : « Ceci est de l’orge, je déteste l’orge. Cela est du millet, j’adore le millet. » Sans aucune réaction émotionnelle, il regarde simplement dans le sac et il identifie les graines exactement telles qu’elles sont.

Si le Bouddha vivait à notre époque, il ferait probablement une comparaison avec le travail d’un scientifique. En effet, si on donne à un homme de science un petit morceau d’excrément à examiner, il ne se dit pas : « C’est laid, c’est répugnant, l’odeur est infecte … » Il cherche simplement à connaître la composition de ce morceau précis d’excrément. Son seul but est de trouver la vérité qu’il contient.

Je n’ai pas encore énuméré la liste des trente-deux parties du corps. Je voulais surtout vous expliquer à quoi servait cette méditation. Pour le reste, vous pourrez trouver par vous-mêmes toutes les informations nécessaires. Voici donc les vingt parties du corps qui relèvent de l’élément terre. En fait, à l’origine il n’y en avait que dix-neuf : les cheveux, les poils, les ongles, les dents, la peau, la chair, les vaisseaux, les os, la mœlle, les reins, le cœur, le foie, la plèvre, le pancréas, les poumons, le gros intestin, le petit intestin, la nourriture, les excréments ­— cela fait dix-neuf mais, plus tard, les commentateurs ont ajouté le cerveau ou plus précisément, les substances cervicales. Ils ne savaient pas où le mettre, alors ils l’ont mis après les excréments … ! Et cela fait vingt parties du corps. Quant aux douze parties qui relèvent de l’élément eau, ce sont : la bile, les mucosités, le pus, le sang, la sueur, la lymphe, les larmes, le sérum, la salive, la morve, la synovie et l’urine.

Bien entendu, on peut toujours diviser le corps en milliers de parties si l’on veut, mais ce sont là les parties principales et nous les utilisons pour observer la composition du corps, tout comme un scientifique observe la composition d’un prélèvement d’une partie du corps.

Le but du Bouddha en nous proposant ce sujet de contemplation est de nous permettre de développer une attitude impartiale, équilibrée et réaliste par rapport au corps. Si nous ressentons de l’attachement, nous ne pouvons pas avancer dans notre méditation. Si nous ressentons de l’aversion, nous ne pouvons pas avancer dans notre méditation. En conséquence de quoi, nous devons observer notre corps pour comprendre que chaque partie est impermanente, insatisfaisante et sans la moindre parcelle d’un soi.

Nous savons combien nos cheveux, nos poils, nos ongles, nos dents et notre peau sont impermanents. Ainsi, quand l’impermanence commencera à se profiler, nous ne serons pas surpris, nous ne serons pas perturbés, nous aurons déjà anticipé, sachant que c’est ce qui arrive au corps. Tout en prenant soin de notre corps, nous gardons bien à l’esprit le fait qu’il est impermanent et nous pourrons ainsi éviter le débordement des émotions.

Vous savez, ceci est très vrai : quand les gens vieillissent, ils deviennent parfois très aigris. Ils sont furieux, déçus, émotionnellement déprimés parce qu’ils ne peuvent plus faire ce qu’ils faisaient quand ils étaient jeunes. Si nous nous rappelons régulièrement la nature même de notre vie, quand nous vieillirons, nous ne serons pas déçus, pas aigris, pas furieux, pas déprimés.

Vous savez, le Bouddha était tellement pleinement éveillé ! Il voulait que nous soyons heureux, que nous soyons en paix, que nous soyons réalistes. Il n’a jamais cherché à cacher la vérité. Il voulait que nous connaissions la vérité, que nous acceptions la vérité et que nous avancions sans nous laisser perturber par les émotions. Tel est le but de cette « attention aux trente-deux parties du corps ».

Je crois, mes amis, que c’est tout ce que je peux vous en dire sans commencer à entrer dans les détails. Si je devais entrer dans les détails, il faudrait six semaines juste pour apprendre à méditer sur ces trente-deux parties. Six semaines.


[#1] Kayagatasati Sutta  : http://www.accesstoinsight.org/tipitaka/mn/mn.119.than.html

[#2] Petite cabane de méditation où vivent les moines dans la forêt.

[#3] Alagaddupama Sutta : http://www.accesstoinsight.org/tipitaka/mn/mn.022.nypo.html

[#4] D’après le dictionnaire de Buddhadasa, patikkūla signife « contraire » ou « désagréable » et manasikāra signifie « idée, considération ».