Le Dhamma de la Forêt


La flamme blanche de la Vie


Rêve de J.B. Priestley
raconté dans son livre
L’Homme et le Temps

Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/



Je me tenais au sommet d’une très haute tour, seul, le regard baissé sur des myriades d’oiseaux qui volaient dans une même direction. Toutes les espèces étaient présentes, tous les oiseaux du monde ! Ce vaste fleuve aérien d’oiseaux était un spectacle plein de noblesse.


Mais, d’une manière mystérieuse, il y eut ensuite un changement de vitesse et le temps s’accéléra, de sorte que je vis des générations entières d’oiseaux. Je les regardai briser leur coquille, s’envoler dans la vie, s’accoupler, s’affaiblir, chanceler et mourir. Les ailes ne grandissaient que pour se désagréger, les corps étaient doux et luisants et puis, en un clin d’œil, ils saignaient et se recroquevillaient. Chaque seconde, la mort frappait partout. Quelle était l’utilité de toute cette lutte aveugle pour la vie, de cet ardent essor d’ailes, de ces accouplements rapides, de ces envols, de tout ce gigantesque effort biologique dépourvu de sens ?


Tandis que je tenais mon regard baissé, voyant, presque d’un seul coup d’œil, la désolante petite histoire de la vie de chaque créature, je sentais la nausée monter en moi. Il eut mieux valu qu’aucun d’eux, qu’aucun de nous, ne soit jamais né, que cette lutte cesse pour toujours. Je me tenais toujours seul sur ma tour, désespérément malheureux.


Mais la vitesse changea de nouveau et le temps alla encore plus vite. Il s’accélérait à une telle allure que les oiseaux paraissaient ne plus bouger ; ils formaient comme une immense plaine couverte de plumes. Mais, tout au long de cette plaine, étincelant à travers les corps, passait à présent une sorte de flamme blanche qui tremblait, dansait puis se hâtait. Dès que je l’aperçus, je sus que cette flamme blanche était la vie, la quintessence même de l’être. Alors, dans une explosion d’extase, je réalisai que rien n’avait d’importance, rien ne pourrait jamais avoir d’importance, parce que rien n’était réel hormis ce chatoiement (lambency) d’êtres, frémissant et rapide.


Oiseaux, hommes ou créatures encore sans forme et sans couleur, rien de tout cela ne comptait, sauf dans la mesure où cette flamme de vie les traversait. Elle ne laissait rien à pleurer derrière elle. Ce que j’avais cru être une tragédie se réduisait à un simple vide ou à un jeu d’ombres, car maintenant toute sensation réelle était rattrapée et purifiée par la flamme blanche de la vie et dansait extatiquement avec elle.