Le Dhamma de la Forêt





LE NOBLE OCTUPLE SENTIER

Joseph Goldstein

Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


    

Les 4 Nobles Vérités
1. La souffrance existe : il faut la comprendre.
2. La souffrance a une cause : il faut la voir clairement.
3. La souffrance peut cesser si on met fin à cette cause.
4. Il y a une voie qui mène à la cessation de la souffrance :
                                                le Noble Octuple Sentier





Enseignements donnés à l’Insight Meditation Society en 1984, au début d’une retraite d’un mois.


Nous venons pratiquer la méditation intensive parce que nous avons un but en tête. Il y a un but, une raison de faire cela. Bien que ce but puisse être exprimé de plusieurs manières, je crois que, pour chacun, il implique une purification de l’esprit. « Purifier l’esprit » signifie d’abord affaiblir les pollutions qui l’obscurcissent puis le libérer complètement : libérer l’esprit du désir de se saisir des choses, du besoin de s’accrocher, de s’attacher ; libérer l’esprit de la haine, de la colère, de l’aversion ; et libérer l’esprit de l’ignorance, de la méconnaissance de la réalité des choses.

L’une des immenses conséquences de l’Éveil du Bouddha est qu’il a pu voir et exprimer très clairement la voie qui mène à ce but, à cette purification. Ainsi, au lieu d’explorer l’esprit au hasard en espérant tomber sur la libération des pollutions mentales et de la souffrance qu’elles engendrent, nous avons une voie qui mène très directement à ce but.

Ce qui est intéressant sur cette voie de pratique qui nous permet de réaliser notre objectif, la purification de l’esprit, c’est qu’elle aborde tous les aspects de notre vie. Souvent les gens viennent à une retraite avec l’idée que la pratique de la méditation ou du Dhamma est quelque chose de différent de ce qu’ils font le reste de leur vie. Nous venons ici, nous faisons quelque chose de spécial, nous nous donnons beaucoup de mal, et puis nous retournons à notre vie dans le monde et celle-ci semble coupée de notre engagement dans la pratique. Ce qui devient très clair, lorsque l’on étudie la voie proposée et expliquée par le Bouddha, c’est que nous ne pouvons pas diviser notre vie ainsi. Quand on s’engage à trouver la Vérité, c’est un engagement total – ce doit être un engagement total – de sorte que nous devons intégrer nos efforts dans tous les aspects de notre vie, dans toutes nos activités.

Dans le tout premier enseignement que le Bouddha a donné, il s’est adressé aux cinq ascètes avec lesquels il avait pratiqué jusque-là et il leur a proposé exactement la même voie d’entraînement que celle que nous entreprenons ici. Il l’a divisée en trois sections. C’est un entraînement en trois parties, nécessaires et inséparables, trois domaines d’entraînement qui se soutiennent mutuellement. Le premier est le domaine de la vertu ou moralité ; le second est le domaine de la concentration ; et le troisième, le domaine de la sagesse.

Quand nous commençons à avancer sur cette voie qui permet de libérer l’esprit de l’avidité, de l’aversion et de l’ignorance, nous devons comprendre ces trois aspects de notre vie et travailler à leur développement.


Le développement de la vertu

1. La Parole Juste

Le premier aspect de la vertu en tant qu’action est lié à la Parole Juste. Ce n’est pas par hasard que le Bouddha a spécifiquement distingué la parole parmi toutes les activités dans lesquelles nous sommes engagés au quotidien. La parole est extrêmement importante, c’est une énergie très puissante et, à moins que nous nous y intéressions pour comprendre comment nous l’utilisons et les conséquences qu’elle peut avoir, nous risquons, sans le savoir, de saper tous les efforts que nous faisons pour méditer.

1) La parole vraie. La Parole Juste, dans son essence, est liée à notre engagement fondamental à être honnêtes, à dire la vérité. Il n’est pas bien difficile de comprendre que, si nous voulons marcher sur la voie de la vérité – c’est le sens du mot « Dhamma » –, nous devons nous aligner sur la vérité dans tous les aspects de notre vie. Sinon, si nous pratiquons l’honnêteté dans un domaine et la tromperie dans un autre, nous allons être énormément affaiblis. Nous devons donc faire très attention à ce que nous disons.

Normalement, dans la vie, il est clair que nous passons énormément de temps et d’énergie à parler. Même en retraite, où on ne parle que très peu, nous avons des occasions d’être très attentifs à nos paroles. Je vais vous raconter une petite histoire à ce sujet. À la fin d’une retraite, alors que nous étions en petits groupes pour parler de la Parole Juste, une personne a dit : « Lorsqu’on me demande combien de temps je médite par jour, je m’aperçois que j’ajoute toujours quinze minutes, je ne sais pas pourquoi ! » Et quand il a dit cela, il a ri comme s’il venait juste de s’en apercevoir. Comme par hasard, plusieurs personnes dans la pièce se sont senties concernées par cette tendance à une légère exagération ! J’ai aussi une anecdote sur moi-même. Lors d’un entretien avec mon maître, après que je lui aie raconté ce que je croyais vivre dans ma méditation, il m’a répondu : « C’est impossible ». J’ai été choqué de m’apercevoir qu’il avait raison, que mon esprit avait essayé de se conformer à ce que je pensais devoir vivre, à ce moment-là, en méditation. L’esprit emploie toutes sortes de ruses pour renforcer le sentiment de « moi ». Nous dévions ainsi de la pure vérité, même dans notre pratique, en disant ce que nous croyons qu’il devrait se passer. Nous le faisons aussi dans notre façon de nous présenter aux autres, de présenter l’image de la personne que nous aimerions être. Nous créons ce personnage et nous le renforçons par nos paroles. Ce sont là des déviations – aussi légères et involontaires soient-elles – de la pure vérité, des déviations de la simplicité de la réalité.

Cependant, au fil de la pratique, l’esprit devient de plus en plus sensible à toutes les façons dont nous nous éloignons de la vérité. Alors, nous affinons et nous approfondissons notre engagement à être honnêtes.

Être attentifs à la Parole Juste est un aspect fondamental du travail que nous entreprenons avec la méditation, avec l’entraînement de l’esprit. Sommes-nous capables d’être honnêtes, d’être totalement honnêtes ? Pouvons-nous éviter d’utiliser la parole pour renforcer l’image de nous-mêmes, le sentiment de « moi » ? L’engagement à la parole vraie est une tâche sans fin.

2) La parole futile. Un autre aspect de la Parole Juste, de l’honnêteté, consiste à ne pas se lancer dans des conversations inutiles. Dans notre quotidien, nous passons beaucoup de temps à bavarder, à disperser inutilement notre énergie en disant du mal des autres, en parlant sans rimes ni raison. Nous devons, au contraire, essayer de conserver cette énergie, de la canaliser pour développer toujours plus de présence consciente et de sensibilité et apprendre ainsi à nous abstenir de paroles inutiles et de commérages.

Au tout début de ma pratique, alors que j’étais dans les Peace Corps, en Thaïlande, et que je commençais à entendre parler des préceptes, je me suis beaucoup enthousiasmé pour la Parole Juste et j’ai pris la résolution de ne pas parler de tierces personnes pendant une certaine période de temps. Je parlerais à la personne en face de moi mais pas à propos de quelque d’autre. J’ai été stupéfait de constater que 90% de la conversation était éliminée. Quand je ne parlais pas des autres, je n’avais pas grand-chose à dire ! Et c’était merveilleux parce que, d’une part, l’esprit est devenu très calme, très silencieux, mais aussi parce que la tendance à juger a commencé à se déconditionner – vous savez, tout ce processus de pensées pleines de jugements dont vous avez probablement pris conscience dans vos méditations ! C’est une tendance très répandue et profondément ancrée en nous par le conditionnement, et nous la renforçons continuellement quand nous ne sommes pas attentifs à ce que nous disons. Quand nous parlons des autres, même s’il n’y a pas d’intention méchante, nous renforçons cette tendance au jugement, à la comparaison. Quand nous nous en abstenons, ce conditionnement de l’esprit s’affaiblit : nous commençons à moins juger les autres mais aussi à moins nous juger nous-mêmes. Nous voyons ainsi le lien entre la manifestation de la parole et l’état de l’esprit. Ce lien existe bel et bien.

3) La parole qui divise. Il y a encore un aspect très fort dans la vertu de la Parole Juste : ne pas utiliser les mots pour diviser les gens mais, au contraire, pour les rapprocher. Mettre la parole au service de la paix.

La parole a un pouvoir immense. Nous devons donc y prendre garde et l’utiliser avec beaucoup de finesse et d’attention. Nous aussi devons apprendre à utiliser l’énergie de la parole avec sensibilité. C’est le premier aspect de la vertu ou moralité.


2. L’Action Juste

Le second aspect de la vertu, c’est l’Action Juste. Cela signifie ne pas tuer, ne pas voler et ne pas avoir de relations sexuelles inappropriées.

- Ne pas tuer : En termes positifs, cela signifie renforcer nos liens avec toutes les formes de vie, voir que toute vie est interconnectée. Nous pouvons ainsi développer un immense respect pour la vie qui habite chaque être.

Les gens utilisent toutes sortes d’arguments très rationnels pour tuer – et je ne dis pas qu’il n’y ait jamais la moindre circonstance où on ne devrait pas le faire. Mais nous pouvons devenir conscients, extrêmement conscients, de notre relation à toutes les autres formes de vie. Imaginez simplement la différence de vie sur cette planète si les gens suivaient juste un seul précepte, une seule partie de ce précepte : ne pas tuer d’autres personnes. Voyez combien de souffrance terrible il y a sur cette terre parce que les gens ne sont pas conscients de l’importance d’harmoniser leurs vies.

Ne pas tuer, développer le sentiment de connexion avec toutes les formes de vie, de révérence pour la vie de tous les êtres.

- Ne pas voler : Cela signifie ne pas prendre ce qui ne nous a pas été donné. Je vais vous confesser une autre de mes faiblesses. Un jour, jaloux de voir que tout le monde avait un petit mot accroché au tableau d’affichage et pas moi, j’ai piqué un mot destiné à Michèle – je la connaissais, je savais qu’elle ne m’en voudrait pas. Mais quand je me suis assis en méditation, je n’ai pas cessé d’y penser : « Est-ce du vol ? Est-ce une mauvaise action ? Est-ce une transgression des préceptes ? » J’ai été stupéfait de constater que, lorsque l’esprit devient plus sensible, les réverbérations des moindres écarts de conduite sont terribles. Même après avoir avoué ma faute à Michèle et qu’elle m’ait pardonné en riant, je me suis senti très mal. C’est alors que j’ai apprécié cette nouvelle occasion de voir combien il est important d’honorer l’intégrité, l’honnêteté et de s’en tenir à ce que nous savons être l’Action Juste.

Notre esprit est souvent trop encombré pour réaliser l’impact du manque d’honnêteté mais ce qui est particulièrement intéressant, dans une retraite, quand l’esprit est ouvert et sensible, c’est de voir que la moindre déviation d’une parfaite intégrité a un impact très puissant dans l’esprit. Nous apprenons qu’il est bon de prendre soin de notre esprit en étant honnêtes et de développer cette intégrité.

- S’abstenir de relations sexuelles inappropriées : Ce troisième aspect de l’Action Juste est également très important à considérer. Les relations sexuelles font partie de notre vie dans le monde. Elles n’ont pas à être tenues à l’écart de notre pratique ou du Dhamma.

Il y a un aspect harmonieux dans les relations sexuelles mais aussi un aspect disharmonieux. Ce que l’on appelle « relations inappropriées » se réfère généralement à l’adultère. Quand on est engagé envers une personne, avoir une relation sexuelle avec quelqu’un d’autre n’est pas correct, pas honnête. Cela crée d’immenses souffrances pour soi comme pour les autres. Nous sommes tous familiers de ce genre de situations, soit dans notre propre vie soit dans celle d’autres personnes parce que, dans notre culture, nous ne sommes pas très attentifs dans ce domaine. Mais, quand on réalise le potentiel de souffrance que de telles relations peuvent causer, on commence à étudier de près cet aspect de notre vie avec beaucoup d’honnêteté pour éviter de rationnaliser des actions qui ne sont pas justes, pas honnêtes. Ce n’est vraiment pas une bonne chose à faire parce que c’est une action basée sur l’avidité, sur le désir et qui cause de la souffrance aux autres. Nous devons donc considérer cette question avec beaucoup d’attention.

Nous retrouvons là la question de l’honnêteté que nous avons vue dans la Parole Juste parce que, quand nous ne nous comportons pas bien, nous devons nous cacher et nous nous enferrons dans un tissu de mensonges qui s’ajoute à la souffrance de la situation. Quand nous comprenons que nos actions non seulement affectent d’autres personnes mais affectent aussi la qualité de notre esprit, de notre conscience, nous trouvons en nous la motivation pour être attentifs, pour nous aligner sur ce qui est vrai et honnête.


3. Les Moyens Justes de gagner sa vie 

Là encore, il faut savoir que le travail que nous faisons dans la vie n’est pas coupé de notre pratique du Dhamma, de la voie de purification. Il y a deux aspects aux moyens justes de gagner sa vie. L’un est assez évident : ne pas avoir un métier qui nuit à d’autres êtres. Par exemple, vendre des armes ou avoir un métier qui oblige à tuer, à tricher ou à tromper. Nous devons donc considérer sérieusement ce que nous faisons et voir si cela fait directement du mal à certaines personnes.

Le second aspect est lié à notre attitude au travail. On peut avoir une activité qui ne cause aucun mal mais quelle attitude avons-nous ? Avons-nous le sentiment de rendre service ? Utilisons-nous l’énergie dépensée au travail comme un moyen de servir les autres ? Quel que soit le métier que nous faisons, nous pouvons l’associer mentalement à la notion de service. On peut servir en remplissant des formulaires dans une compagnie d’assurances, en travaillant dans une épicerie ou dans une station-service. Si nous apportons de la sagesse à notre activité, nous pouvons la vivre comme un service et pas seulement comme un moyen de toucher sa paye à la fin du mois – même si c’est important aussi. Notre travail peut vraiment faire partie de notre pratique en nous reliant aux autres par le cœur. Pour cela, tout ce que nous avons à faire, c’est nous souvenir d’envisager les choses sous cet angle, rester en éveil dans notre travail plutôt que fonctionner en mode automatique.

Quand le Bouddha a parlé de l’importance de la vertu, il a mentionné deux aspects : prendre soin de soi-même et prendre soin des autres. Quand nous cultivons ce champ d’entraînement, ce domaine de la vertu, nous prenons soin de nous-mêmes mais aussi des autres.

Nous prenons soin de nous-mêmes dans le sens où nous nous abstenons de faire des choses qui sont karmiquement négatives, ce qui signifie que nous nous abstenons de faire des choses qui vont nous causer de la souffrance à l’avenir, nous ne plantons pas ces graines de souffrance future. On peut comparer cela au fait de prendre une nourriture qui ne nous convient pas. Quand on sait qu’un certain aliment nous rend malade, à cause d’expériences passées, y a-t-il le moindre sens à aller en manger encore ? Non. Même si on aime le goût de cet aliment, même s’il y a un moment de plaisir en le mangeant, nous savons comment cela va se terminer. Généralement, nous avons assez de sagesse pour dire : « Non, je ne vais pas en manger. Ce n’est pas bon pour moi ». C’est exactement la même chose avec la compréhension de la moralité : quand nous nous enferrons dans la malhonnêteté, quand nous tuons ou volons, quand nous avons des relations adultères, nous faisons des choses dont nous savons pertinemment qu’elles vont finir par nous causer de la souffrance, alors nous nous en abstenons et, ce faisant, nous prenons soin de nous-mêmes.

Quand nous prenons soin de nous-mêmes, nous commençons à nous sentir bien, en bonne santé, plus forts. Cela signifie que nous avons libéré l’esprit de toute forme de remords ou de regret. Voilà encore un aspect auquel nous sommes particulièrement sensibles en retraite. Tandis que l’esprit commence à s’ouvrir et que nous sommes moins distraits, nombre de nos actions passées qui n’étaient peut-être pas très justes ou qui ont fait du mal à d’autres personnes, à d’autres êtres, remontent à la surface dans ce processus de nettoyage. Nous souffrons de remords, de regrets. Donc notre engagement à la moralité, à la vertu, nous protège de cela. Nous commençons à nous réjouir de la pureté de nos actions au lieu de regretter toutes celles qui étaient négatives.

Et comment notre vertu prend-elle soin des autres ? De deux manières. Nous protégeons les autres parce que le fondement même d’un comportement moral est de ne pas nuire. C’est la clé. Nous agissons d’une façon qui ne fait pas de mal aux autres – et qui ne nous fait pas mal non plus. Ainsi, ce que nous offrons aux gens, quand nous nous établissons dans la moralité, c’est la possibilité de faire confiance, de ne pas avoir peur de l’autre. À travers notre façon de vivre, nous disons : « Vous pouvez me faire confiance. Je ne vais pas vous mentir, je ne vais rien vous prendre, je ne vais pas vous faire de mal ». Ainsi, les gens savent qu’ils n’ont pas à avoir peur de nous. Voilà un beau cadeau que nous pouvons faire aux autres, un cadeau incomparable. Et tout cela revient à notre propre engagement à agir de manière vertueuse.

Quand il n’y a ni remords ni regrets dans l’esprit, il se remplit de joie. Quand nous pensons aux bonnes choses que nous avons faites, il y a un merveilleux sentiment de légèreté. Cela ne veut pas dire que nous n’avons jamais rien fait de nuisible dans le passé. Il est bien évident que cela nous est arrivé à tous, plus d’une fois. Mais la force de la moralité, de la vertu, se manifeste dès l’instant où nous nous engageons à suivre les préceptes. Une fois que nous avons pris cet engagement, on peut dire que nous sommes « établis » dans un comportement vertueux. Donc, même si dans le passé nous avons fait beaucoup de choses qui n’étaient pas extraordinaires, dès que nous entreprenons de vivre en accord avec les principes moraux de base, nous avons en nous cette force, ce niveau de purification.

C’est là qu’est le fondement, le fondement indispensable pour les domaines d’entraînement suivants. Si nous commençons toujours une retraite en prenant les préceptes, c’est précisément parce que, à partir de ce moment-là, nous sommes établis dans la vertu et, par la suite, cela devient une source de force et d’énergie, une libération des remords qui nous permet d’avancer sur la voie.

On ne soulignera jamais assez l’importance de la moralité en tant que fondement de notre pratique parce que, si cette structure est faible et craquelée, tout l’édifice est sapé à la base. C’est donc un domaine de notre vie qui est une partie indispensable de la voie de purification, de libération. Nous devons nous y intéresser de très près et, ce faisant, nous créons en nous-mêmes un sentiment de joie et de bonheur.

Il serait futile d’essayer de pratiquer pour trouver la sagesse sans prendre soin de cet aspect de notre vie. L’exemple donné pour illustrer cela est celui d’un homme assis dans un bateau à rames attaché au quai et qui souhaite aller sur l’autre rive. Il est prêt à faire des efforts pour ramer – et c’est essentiel – mais il est tout aussi essentiel de détacher le bateau ! Sinon, il pourra toujours ramer longtemps sans arriver nulle part. De même, nos efforts dans la pratique méditative doivent être fondés sur la vertu sinon nous n’arriverons à rien. Il est donc extrêmement important de comprendre cet aspect du Noble Octuple Sentier.


Le développement de la concentration

Ce domaine d’entraînement comprend également trois aspects : l’Effort Juste, l’Attention Juste et la Concentration Juste.

1. L’Effort Juste

Dans tous les domaines, l’effort est à l’origine du succès. Le degré auquel nous pouvons vraiment purifier l’esprit est proportionnel au niveau d’effort, au niveau d’énergie, que nous investissons dans notre pratique. La responsabilité de cet entraînement nous incombe donc complètement ; elle ne dépend de personne d’autre.

Dans l’expression « effort juste », il est important de comprendre le sens du mot « juste ». En effet, il est possible de faire un effort « non juste », soit en ne mobilisant pas assez d’énergie, soit en en faisant trop, en forçant, avec le risque de renforcer l’ego. Cela peut devenir un effort nourri par l’ambition.

Il est important aussi de comprendre le sens du mot « effort » car on pourrait mal l’interpréter et en faire une cause de stress. Dans la pratique, faire un effort, c’est être prêt à regarder pour voir ce qui se passe dans l’instant. Il faut le faire avec bonne volonté parce que, si on le fait en se forçant, on n’arrive pas à grand-chose et on crée toutes sortes de tensions.

Nous faisons deux sortes d’efforts, physiquement et mentalement, et les deux ont leur importance, comme les deux roues d’un char. L’effort physique consiste à s’asseoir dans la posture de méditation et à y rester. C’est pourquoi il n’est pas recommandé, surtout au début, de méditer en position allongée. Dès qu’il n’y a plus d’effort physique à faire, l’esprit perd sa clarté. L’effort physique que nous faisons crée de l’énergie, de sorte que le simple fait de tenir la posture assise immobile est déjà faire un effort juste. Ensuite, quand nous marchons, nous faisons encore un effort pour nous déplacer, pour faire avancer le corps, et cela aussi crée de l’énergie.

Quant à l’effort mental, c’est l’effort nécessaire pour diriger l’esprit vers son objet d’observation. C’est un effort parce que l’esprit a tendance à partir dans toutes les directions. Nous devons donc éveiller de l’énergie, nous devons vouloir voir ce qui se passe. Cet effort de ramener l’esprit vers son objet crée de l’énergie en nous. C’est comme les exercices physiques que nous faisons – le jogging ou la course à pied. Certaines fois nous n’en avons pas envie ou nous sommes fatigués, mais nous faisons l’effort de le faire et l’exercice lui-même nous rend plus forts, de sorte que la fois suivante, c’est plus facile et nous pouvons pousser un peu plus loin. L’effort dans la pratique est exactement pareil. Il crée de l’énergie, il nous rend plus forts. Donc, même quand nous sommes fatigués, que c’est difficile ou que nous n’en avons pas envie, éveiller cette bonne volonté, cet intérêt, nous aide vraiment à continuer à approfondir tout le processus.

Nous faisons trois types d’efforts. Le premier, nous l’avons déjà fait, c’est « l’effort de se lancer ». Pour venir ici, vous avez dû faire pas mal d’efforts pour vous libérer et commencer la pratique. C’est un effort qu’il ne faut pas sous-estimer car il est indispensable pour lancer le processus.

L’effort que nous devons faire ensuite est « l’effort qui libère », celui qui nous permet de dépasser les difficultés. En effet, une fois lancés sur cette voie, nous rencontrons très vite toutes sortes de difficultés. Les obstacles1 dont le Bouddha a parlé commencent à se manifester, les douleurs arrivent… Ce sont des difficultés très « sensibles », très réelles et il faut faire un effort pour travailler avec elles, pour les comprendre, pour les dépasser. Nous devons éveiller en nous l’énergie, l’envie d’y faire face, de ne pas les éviter, de ne pas fuir. Cela demande parfois beaucoup d’efforts. Mais nous faisons cet effort, nous trouvons cette énergie en nous et nous découvrons que nous pouvons faire face à ces obstacles. Ils sont là, sur la voie, pour chacun de nous, mais il est possible de les traverser.

Et puis arrive un moment où tout devient facile et on prend une vitesse de croisière mais, à ce moment-là, il y a un autre type d’effort à faire, « l’effort progressif ». Il s’agit d’infuser continuellement de l’énergie à notre pratique. Nous ne nous contentons pas de la vitesse de croisière qui peut devenir très agréable – on prend le rythme d’une assise et une marche, une assise et une marche – mais ce n’est pas suffisant. Si nous voulons vraiment pénétrer au cœur de la réalité, atteindre le niveau le plus profond de compréhension, nous devons infuser toujours plus d’énergie dans le processus pour que l’élan soit de plus en plus fort. Il faudra peut-être limiter le temps de sommeil. Il faudra être de plus en plus attentif aux minuscules détails du quotidien : comment on se relève après la posture assise, comment on s’assoit, tous les petits mouvements que l’on fait, être conscient depuis l’instant où l’on se réveille le matin (ouvrir les yeux, poser les pieds par terre, etc.). Il faut qu’il y ait cette réelle envie de « voir » ce qui se passe. Surtout ne pas se contenter du stade où l’on se trouve. L’autosatisfaction est l’un des grands dangers dans la pratique. On se dit qu’on a déjà fait pas mal d’efforts et il est très facile à l’esprit de dire : « J’en ai assez fait pour aujourd’hui. J’ai médité pendant 7 heures, j’ai marché pendant 5 heures… »

Ce dernier type d’effort, cet « effort progressif » est une qualité d’esprit quasiment héroïque, qui refuse de se satisfaire d’une demi-mesure, qui continue à chercher, à observer, à analyser et arrive ainsi à repousser les limites toujours plus loin.

J’insiste à nouveau sur le fait qu’il ne s’agit pas de se forcer. Dès qu’on est dans la force, on va à l’encontre du but visé. L’effort doit être équilibré, être le fruit d’un réel intérêt.


2. L’Attention Juste

L’effort entrepris, la bonne volonté qu’il implique, c’est juste l’envie d’être attentif. C’est à cela que sert l’effort. Pas pour aller chercher quelque chose à l’extérieur de nous, pas pour obtenir quelque chose. On fait simplement l’effort d’être attentif à tout ce qui se présente à chaque instant. Il est facile de voir la différence d’état d’esprit quand on essaie de se saisir de quelque chose qu’on espère voir se produire, et quand on se pose et on s’ouvre pleinement à ce qui est en train de se passer. Dans le premier, il y a saisie et attachement ; dans le second, il y a détente et ouverture.

L’Attention Juste est cette qualité d’esprit qui prend conscience, qui s’ouvre à ce qui est dans l’instant. Elle a une fonction très particulière et une caractéristique qui lui est propre. La fonction de l’attention est de ne pas laisser l’objet disparaître de sa vue : on ne laisse pas l’esprit s’évader de l’observation que l’on a choisi de faire – comme l’observation des sensations liées à la respiration, par exemple. L’esprit reste fermement présent dans son observation de ce qui se passe. Quant à la caractéristique de cette Attention Juste, c’est qu’elle est pénétrante. Non seulement elle ne laisse pas l’objet lui échapper mais elle pénètre également au fond de ce qui est vécu.

On voit ainsi où l’effort juste doit se situer : nous devons être prêts à mobiliser l’énergie nécessaire pour maintenir l’esprit posé sur son objet d’observation et ensuite y pénétrer. L’exemple utilisé pour décrire cette qualité de pénétration est la différence entre un bouchon lancé dans l’eau qui ne fait que flotter à la surface et une pierre lancée dans l’eau qui va couler tout droit. Il est bon de garder cette image de la pierre qui tombe tout droit au fond de l’eau quand vous faites l’effort d’être attentif. Cela peut vous aider à vous rappeler cette qualité de pénétration de l’observation.

Par exemple, quand on observe l’inspiration et l’expiration, la première caractéristique de l’attention est de rester avec la sensation de l’air qui entre et de l’air qui sort, sans laisser cet objet d’attention s’échapper. Ensuite, il s’agit de pénétrer ce qui se passe réellement pendant que l’air entre et sort, de voir comment ces sensations apparaissent et disparaissent avec chaque mouvement de l’air. C’est donc une façon d’observer très active. Si notre observation est mécanique ou superficielle, la pratique ne va pas avancer. Nous n’aurons pas cette vision pénétrante de la véritable nature des choses.

Encore et encore, tâchez d’éveiller toute l’énergie nécessaire pour cultiver ces deux aspects de l’esprit inclus dans l’Attention Juste : la capacité de maintenir en place l’objet d’observation et la capacité de pénétrer jusqu’au plus profond de sa nature réelle.

Dans l’un des grands enseignements du Bouddha où il expose, entre autres, l’ensemble de cette voie octuple – le Discours sur les Quatre Fondements de l’Attention – il dit de l’attention : « Telle est la voie qui permet de purifier les êtres et de libérer l’esprit de la souffrance ». Il dit que c’est en faisant un effort constant et continu pour développer ces quatre fondements de l’attention que tous les facteurs d’Éveil, toutes ces qualités de l’esprit qui doivent être développées et mûries pour atteindre la libération, sont générées et développées. Cela montre à quel point l’attention est importante et puissante. Quand on la développe régulièrement avec persévérance, elle génère dans l’esprit tous les facteurs qui mènent à la libération de la souffrance.

Donc, toute notre énergie, tous nos efforts consistent à être attentifs à ce qui se passe au moment où cela se passe, d’instant en instant.

- L’attention doit être portée au corps, notamment à tous les mouvements que nous faisons au cours de la journée, ce qui signifie qu’il nous est possible de développer cette qualité d’attention à tout moment dans la vie de tous les jours.

- Elle doit aussi être portée aux sensations, et là nous pouvons aller jusqu’à voir où se produit le processus du conditionnement qui crée l’illusion du « moi » et à quel instant apparaissent le désir et l’aversion, c’est-à-dire à l’instant où les sens et les objets des sens entrent en contact.

- L’attention à l’esprit : aux pensées, aux images, aux émotions, aux états d’esprit. Ceci permet de cesser de nous identifier à nos pensées et à nos émotions. C’est aussi cette identification qui crée le sentiment de « moi » : « mes pensées », « ma tristesse », etc. Nous voyons qu’en réalité, les pensées et les émotions n’appartiennent à personne. Elles ne font qu’apparaître et disparaître, exactement comme les sons ou les sensations. Ce sont « des phénomènes vides qui se déroulent », comme disait Munindraji, mon premier maître. Pouvons-nous développer suffisamment l’Attention Juste pour voir que ces processus physiques et mentaux sont exactement cela : des phénomènes vides – vides de « moi » – qui se déroulent.

- L’attention aux dhamma : aux lois qui gouvernent ces processus, aux obstacles sur la voie, aux facteurs qui mènent à l’Éveil, etc.

Nous voyons ainsi combien la pratique est riche. Elle inclut tous les aspects de notre expérience au niveau du corps comme de l’esprit. Ce développement de l’Attention Juste est la pierre angulaire de la pratique. C’est là que nous devons investir notre effort, notre bonne volonté, notre intention, notre motivation.


3. La Concentration Juste

Un esprit concentré est un esprit stable. La caractéristique de la concentration est la stabilité et la capacité à fixer l’attention sur un point unique. L’image est celle d’une bougie dans un lieu sans vent où la flamme brûle sans vaciller. Cette imperturbabilité est la qualité de la Concentration Juste.

La concentration peut se développer de deux manières : soit en concentrant l’attention sur un objet unique, soit en maintenant l’esprit fermement en place lorsqu’il observe des objets qui changent.

Cela m’a beaucoup aidé de réaliser que la concentration est le fruit d’un effort d’attention. Il n’y a aucune raison pour que l’esprit bataille pour réussir à se concentrer, aucune raison de se juger si la concentration est plus ou moins bonne. Si nous sommes prêts à être attentifs à chaque instant, la stabilité de concentration naîtra spontanément de cette bonne volonté et se développera. Il s’agit donc de maintenir un effort très focalisé pour être attentifs à ce qui se passe pour nous à tout instant.


Le développement de la sagesse

Les deux derniers facteurs de l’Octuple Sentier sont les facteurs de la sagesse : la Pensée Juste et la Compréhension Juste. Ils s’appuient sur l’établissement dans la vertu et sur le développement des facteurs de la concentration. La sagesse se développe naturellement dans l’esprit quand elle est fondée sur les six premiers facteurs.

1. La Pensée Juste

On l’appelle aussi intention juste ou attitude juste.

1) Cela signifie développer un esprit libre de tout désir, de toute avidité. Exprimé autrement, c’est l’esprit qui cultive des qualités de renoncement et de générosité ; l’esprit qui ne se saisit de rien, qui ne s’attache pas aux objets mais qui lâche prise. Nous pratiquons cette attitude mais il faut savoir qu’elle est spontanément générée par l’Attention Juste. Grâce à l’attention, nous devenons capables de lâcher, de renoncer, d’être généreux – la générosité étant une expression du renoncement : nous ne nous attachons pas aux choses pour nous-mêmes et, dès lors, nous pouvons donner, offrir.

2) L’esprit est libre de désir, de saisie mais aussi libre de négativité, d’aversion et de jugement. Exprimé positivement, cela signifie que l’esprit est empli de gentillesse et de bonté pour soi et pour les autres. Bien que nous pratiquions une méditation particulière pour le développement de l’amour inconditionnel, la méditation Metta, la bienveillance est aussi un aspect de l’attention. L’attention, c’est être conscient de ce que l’on vit à chaque instant sans se saisir de rien, sans juger. Donc, dans chaque moment d’Attention Juste, il y a cette attitude bienveillante envers l’expérience que l’on vit, dans le sens où l’on est ouvert, réceptif et tendre.

3) Le troisième aspect de l’attitude juste, est un esprit libre de toute cruauté, qui est empli de compassion. Là encore, c’est le fruit de l’Attention Juste. Par exemple, quand nous sommes assis en méditation et que nous ressentons une douleur violente, pouvons-nous avoir de la compassion plutôt que de l’aversion envers cette douleur ? Pouvons-nous ouvrir notre esprit pour réellement faire l’expérience de cette sensation douloureuse ? Il faut une attitude de compassion pour le faire.

C’est donc en fait dans l’effort d’être attentif que nous générons la Pensée Juste, c’est-à-dire un esprit libre de désir puisque nous ne nous saisissons de rien, nous ne nous attachons à rien, un esprit libre d’aversion car nous ne condamnons pas, et un esprit plein de compassion parce que nous sommes ouverts à la souffrance que nous ressentons de temps à autre. Nous développons un esprit de compassion à partir de l’attention, d’une présence consciente. Nous cultivons ainsi en nous-mêmes la sagesse.


2. La Compréhension Juste

Ce dernier aspect de l’Octuple Sentier se divise aussi en plusieurs parties.

1) La loi du karma. Il s’agit de comprendre l’une des lois les plus fondamentales qui gouvernent notre vie, comprendre que notre vie ne se déroule pas au hasard mais selon certaines lois, l’une des plus essentielles étant la loi du karma. La Compréhension Juste permet de commencer à se connecter au fonctionnement de cette loi du karma. Cela signifie que nous comprenons que toute action entraîne certaines conséquences, que nos actions n’arrivent pas dans un espace vide. Quand on jette une pierre dans une pièce d’eau, on voit apparaître des ondes qui s’éloignent jusqu’à la rive puis qui reviennent vers le centre.

On a dit que comprendre la loi du karma est « la lumière du monde » parce que, quand nous la comprenons vraiment, nous commençons à assumer totalement nos actes. Nous réalisons que nos actes ont un impact, non seulement sur les autres mais aussi sur nous. Ils produisent des ondes vers l’extérieur qui reviennent ensuite vers nous.

C’est à cause d’un minimum de compréhension de la loi du karma que nous sommes réunis ici. Nous sentons que notre participation à cette retraite fait une différence dans notre développement, dans notre chemin de vie. Nous sentons que chaque moment de présence, de pleine attention, a un certain effet, même si celui-ci n’est pas toujours clair. Plus nous avançons dans la pratique, plus nous voyons le lien entre cause et effet, même d’un instant sur l’autre. Par exemple, nous sommes conscients d’une intention et conscients que cette intention entraîne un mouvement, une action. Nous pouvons aussi en être conscients sur un plan plus général quand nous avons l’occasion de ressentir en nous-mêmes les conséquences de nos actes, comme lorsque nous regrettons une action ou une parole maladroite, parce que notre sensibilité est affinée.

Comprendre que nos actions ont des conséquences est une façon de porter la pratique méditative au centre de notre vie parce que cela nous rend vraiment responsables. Nous devons assumer la responsabilité de nos actes.

2) Vision claire des trois caractéristiques. Le second aspect de la Compréhension Juste est lié aux découvertes que l’on fait quand on pratique la méditation de la vision pénétrante.

- Impermanence : Nous commençons à voir, pas intellectuellement mais intuitivement, que les phénomènes ne cessent d’apparaître et de disparaître à toute vitesse. Nous voyons la vérité de l’impermanence, le fait que tout ce qui est apparu va aussi disparaître. Ce qui est incroyable, c’est que nous le savons déjà à un certain niveau puisqu’il est tellement évident que tout change tout le temps et pourtant, en profondeur, nous sommes déconnectés de cette vérité parce que nous ne vivons pas notre vie en harmonie avec elle. La fin de l’attachement est directement liée à la profonde et réelle compréhension de l’impermanence.

C’est donc à partir de l’attention pénétrante que nous observons chacune des sensations que nous avons. Nous voyons qu’elles sont comme des bulles, elles s’élèvent et puis disparaissent très, très vite. Chaque pensée, chaque son, chaque situation, chaque posture est en mouvement constant. Mais, dans le quotidien, nous refusons de nous abandonner à cette vérité. C’est pour cela que nous bataillons tant, au début de la pratique. Les choses changent tout le temps mais il nous est difficile de simplement nous abandonner à ce mouvement. Il y a beaucoup moins d’efforts à faire dans la pratique quand nous arrivons à nous abandonner au flux incessant du changement. Mais cela implique de nous mettre en harmonie avec la réalité à un niveau très subtil, c’est pourquoi nous devons affiner énormément nos perceptions. C’est comme cela que nous pouvons voir par nous-mêmes, à chaque instant, comment tout apparaît et disparaît.

- Insatisfaction : Une autre révélation de la vision pénétrante concerne dukkha, la souffrance, l’insatisfaction que nous éprouvons dans la vie, pour différentes raisons. Il y a la souffrance de base, comme une douleur physique, par exemple, qui est très évidente, et il y a la souffrance qui naît du fait que tout change tout le temps ; nous avons un sentiment d’instabilité, d’insécurité. Quand on essaie de construire quelque chose de stable sur une réalité qui est sans cesse en mouvement, on est condamné à être frustré. Tant que l’on cherche un bonheur durable et parfaitement satisfaisant dans une situation qui, par nature, va changer, on sera toujours insatisfait. La méditation profonde nous permet de voir cela.

- Impersonnalité : La troisième révélation profonde – qui est un véritable bijou, dans la mesure où elle nous fait comprendre ce que nous sommes réellement et quel est le sens du processus de la vie – c’est la compréhension que ce processus est impersonnel. Nous voyons que ce qui se présente à chaque instant, c’est la prise de conscience d’un objet – visuel, sonore, olfactif, gustatif, tactile ou mental. Quand nous allons au fond des choses, quand nous focalisons notre attention pour voir très précisément, très exactement, ce qui se passe à chaque instant, nous découvrons ce qui se passe réellement, effectivement : il y a la conscience et l’objet de cette conscience. C’est tout. L’instant suivant : conscience et objet de la conscience. Instant suivant : conscience et objet de la conscience. Et cette conscience n’appartient à personne et l’objet n’appartient à personne. Il n’y a pas « une personne » extérieure à qui ceci est en train d’arriver. C’est plutôt le contraire : ce que nous sommes, c’est simplement ce processus de conscience d’un objet, conscience d’un objet, conscience d’un objet…

Et nous voyons toujours cela au moyen de l’attention, de cette qualité de présence à ce qui est, pas en y pensant mais en laissant les choses se révéler d’elles-mêmes. C’est ce qui est là, présent. Tout ce que nous avons à faire, c’est être assez ouverts, assez réceptifs, assez sensibles pour permettre à ces caractéristiques, ces vérités, de se révéler à nous. Il ne s’agit pas d’avoir l’ambition de voir les choses en profondeur, d’essayer d’y arriver par la force, mais d’être en état de réceptivité.

Voilà les composants de la Compréhension Juste : comprendre la loi du karma et commencer à percevoir intuitivement l’impermanence, la souffrance et l’impersonnalité de tous ces processus.

Telle est la voie de la pratique décrite par le Bouddha pour parvenir à l’éradication des impuretés de l’esprit et à la libération totale de la souffrance.


1 Les 5 obstacles mentionnés par le Bouddha sont : désir, aversion, agitation, paresse et doute.