Le Dhamma de la Forêt


Tout laisser derrière soi 

Bhikkhu Sīlarano

 

Traduction de Hervé Panchaud

http://www.dhammadelaforet.org/

 


Extrait de “Mae Chee Kaew, Her Journey to Spiritual Awakening and Enlightment

 
 

Les principes de base sont comme la perche fourchue
qui soutient le tronc du bananier,
et qui permet au lourd régime de bananes
de parvenir à maturation au bon moment
sans tomber au sol prématurément.

 

 

C’est par un clair matin d’Asalha Puja[1], à la pleine lune de juillet, à l’âge de trente-six ans, que Mae Kaew s’agenouilla devant les moines et les nonnes du Wat Nong Nong et, sans regret, laissa derrière elle tout se qui incarnait son ancienne vie, tout ce qu’elle croyait être elle. En prenant part à cet ancien rituel, empreint de grâce et de simplicité, elle déclara vouloir devenir mae chee, c’est-à-dire nonne bouddhiste pleinement ordonnée.

Mae Kaew arriva tôt le matin au monastère pour commencer son initiation. Elle salua les nonnes avec un sourire nerveux, s’assit respectueusement sur le côté, et se joignit à elles pour un repas frugal. Le souhait tant attendu de Mae Kaew de vivre une vie de pure équanimité et de détachement se réalisait enfin. Une à une, toutes les traces distinctives de son ancienne identité lui furent retirées. Elle se retrouva ensuite accroupie près du puits, nerveuse, l’estomac noué par l’appréhension, le cou tendu en avant, tandis que Mae Chee Dang, la nonne supérieure, s’activait avec de mauvais ciseaux à couper les mèches de longs cheveux noirs jusqu’à ce qu’il ne reste plus sur sa tête qu’un chaume dru et inégal. Mae Kaew fixait, sans émotion, ses cheveux qui s’amoncelaient autour de ses pieds et méditait sur la nature illusoire du corps humain : ces cheveux ne sont pas moi, ils ne sont pas miens. La chevelure fait partie, comme le reste du corps, de la nature, c’est une partie de l’univers physique naturel. Ces cheveux appartiennent au monde et pas à moi. Ils ne sont, en aucune manière, essentiels à ce que je suis réellement.
Avec un rasoir effilé, affûté par un usage régulier, Mae Chee Dang rasa méthodiquement les épis noirs qui restaient, révélant la peau luisante du cuir chevelu et l’arrondi du crâne. Mae Kaew fit courir la paume de sa main sur la surface douce de son crâne, un sourire aux lèvres, apaisée.
Les autres nonnes s’activèrent autour d’elle pour lui faire endosser la traditionnelle robe blanche des mae chee : une jupe enveloppante tombant droit jusqu’à mi-mollet, un chemisier à manches longues boutonné au cou et une pièce de tissu que l’on fait passer sous le bras droit et que l’on drape ensuite soigneusement sur l’épaule gauche en signe de respect.
 
Mae Kaew se prosterna trois fois devant Ajahn Khamphan, l’abbé qui présidait à son ordination. Joignant ensemble entre ses paumes, une bougie, un bâtonnet d’encens et une fleur de lotus, elle prit le Bouddha pour refuge : Buddhaṁ saranaṁ gacchāmi Elle prit le Dhamma, l’essence suprême de l’Enseignement du Bouddha, pour refuge : Dhammaṁ saranaṁ gacchāmi… Et elle prit le Sangha, la communauté des moines et des nonnes éveillés, pour refuge : Sanghaṁ saranaṁ gacchāmi… Puis, après avoir déclaré sa ferme et profonde volonté de suivre les règles, elle récita, devant l’assemblée, les préceptes de base des mae chee. Elle fit le vœu de s’abstenir de nuire aux créatures vivantes, de s’abstenir de prendre ce qui n’a pas été donné, de s’abstenir de toute activité sexuelle, de s’abstenir de prononcer des propos mensongers, de s’abstenir de prendre des drogues et des boissons intoxicantes, de s’abstenir de manger après midi, de s’abstenir de participer à toutes formes de distractions, d’employer des cosmétiques, de se servir d’un lit ou d’un siège haut et confortable.
Quand Mae Kaew eut fini de réciter les préceptes, Ajahn Khamphan la fixa du regard et lui demanda d’écouter avec attention tandis qu’il lui expliquerait chaque précepte en détail.
 

Pour tous les bouddhistes, prendre le Bouddha, le Dhamma et le Sangha pour refuges est la première et la plus élémentaire des démarches sur la voie du Bouddha qui mène à la libération.

-          Le Bouddha est l’idéal de la perfection spirituelle, il est le maître qui enseigne le chemin véritable pour atteindre cette perfection. En prenant le Bouddha pour refuge, vous prenez cet idéal pour maître. Vous vous engagez aussi à ne pas suivre des idéaux spirituels erronés.

-          Le Dhamma est le chemin véritable qui mène à la perfection spirituelles et l’essence de cette vérité parfaite. En prenant le Dhamma pour refuge, vous prenez la vérité pour but. Vous vous engagez aussi à éviter de prendre des chemins fantaisistes et de suivre des enseignements erronés.

-          Le Sangha est l’incarnation de cette vérité essentielle en ceux qui marchent sur la voie pour atteindre la perfection spirituelle. En prenant le Sangha pour refuge, vous prenez la communauté des Eveillés pour guide et pour gardien. Vous vous engagez aussi à éviter la compagnie des insensés et des êtres malfaisants.

En prenant ce Triple Joyau – le Bouddha, le Dhamma et le Sangha – pour refuge vous vous engagez à suivre un idéal spirituel juste, ainsi qu’à vivre avec retenue.
Le Triple Refuge est la base de la libération véritable. Les préceptes créent les conditions et fixent les règles pour aller sur la voie qui mène à la libération. Les appliquer avec diligence libère l’esprit de la culpabilité et du remords, et possède une grande capacité de protection qui vous éloignera du danger.

-          Tout d’abord, vous ne devez jamais tuer une autre créature vivante, peu importe sa taille, ni inciter d’autres à tuer ou opprimer. Chaque être vivant accorde une grande importance à sa vie, vous ne devez donc pas détruire cette importance essentielle en mettant un terme à cette vie que chacun chérit tant. Au lieu de cela, laissez la compassion pour tous les êtres emplir votre cœur.

-          Vous ne devez jamais prendre les biens d’autrui, ni encourager d’autres personnes à le faire. Chacun chérit ses possessions. Même les choses qui paraissent n’avoir que peu de valeur sont néanmoins importantes pour ceux qui les possèdent. Donc rien de ce qui appartient à une autre personne ne doit être avili par le vol. De telles actions avilissent non seulement les possessions, mais aussi le cœur. Alors que le don et l’ouverture soient vos principes directeurs.

-          A partir de maintenant, vous devez aussi vous abstenir de tout acte sexuel et vous consacrer au total célibat. L’énergie sexuelle et les passions qu’elle suscite détruisent la tranquillité du corps et de l’esprit ; elles vont à l’encontre de l’objectif de la vie spirituelle. Laissez l’énergie de l’amour pur et de la dévotion croître à la place.

-          Vous devez vous abstenir de tout mensonge et toujours dire la vérité. Ne jamais être malhonnête ou mensongère dans vos propos et vos actes. Le mensonge sape la confiance et amène les gens à ne plus avoir de respect les uns pour les autres. Laissez la puissance de la vérité libérer votre esprit.

-          Les quatre derniers préceptes représentent les principes spirituels de base qui aident à créer les conditions favorables au calme du corps et à la clarté de l’esprit. Pour ceci, vous ne devez consommer aucune boisson alcoolisée, ni aucune forme de substance intoxicante qui pourrait vous embrouiller l’esprit et empêcher tout bon jugement. Aucun aliment solide ne doit être pris après midi. Vous devez vous abstenir de chanter, de danser et des autres formes de divertissement et de vous parer de bijoux ou de fleurs, et d’employer des parfums et des cosmétiques. Vous devez éviter de dormir sur un lit surélevé pourvu d’un matelas moelleux, ou de vous asseoir sur un siège luxueux garni de coussins.

En observant consciencieusement ces huit préceptes, vous fermez temporairement la porte de la vie domestique et vous ouvrez la fenêtre sur la voie de la libération. Gardez en mémoire que le but réel de l’observance des préceptes est d’incarner leurs principes de base dans tout ce que vous pensez, tout ce que vous dites et tout ce que vous faites. De cette manière, vous entrainez l’esprit à rompre les chaînes qui vous lient au cycle de la naissance et de la mort. Vous devez mettre les préceptes en pratique, non seulement pour vous éloigner du mal mais aussi pour cultiver tout ce qui est bien. Modérer l’esprit, fermer la porte aux comportements dangereux qui mènent à la douleur et à la souffrance, favoriser la pureté de l’esprit et les actions qui mènent à la libération, ces règles de bases fournissent les fondations essentielles de toute pratique bouddhiste. Comme telles, elles constituent le socle de toute discipline monastique. Vous devez toujours vous rappeler que ces règles de base font partie de la voie qui mène à la libération spirituelle. Vous devez donc les suivre avec diligence, avec la dignité et le respect qu’elles méritent.

Ayant ainsi insufflé inspiration et stimulation à la postulante, Ajahn Khamphan récita une bénédiction pour sanctifier l’évènement et confirmer son nouveau statut de mae chee pleinement ordonnée. Ainsi, Mae Chee Kaew vit-elle enfin réalisé son rêve de toujours.
 



[1] Jour de la commémoration du premier discours du Bouddha.