Le Dhamma de la Forêt


Proposition de pratique pour le Vassa 2019 :


Remplacer « je » par « il y a »



Le Bouddha a enseigné la voie qui mène à la libération de la souffrance. Pendant quarante ans il a donné de nombreux discours allant toujours dans ce sens mais partant d’angles différents. Il a notamment déclaré :

« En comprenant correctement la notion de ‘je’, le méditant met fin à la souffrance. L’éradication du ‘je’ est la pleine réalisation du nibbanā ici et maintenant. »

Il a donné un conseil dans ce même sens à son fils Rahula lorsque celui-ci est devenu moine :

« Vois toute chose avec une sagesse parfaite : ceci n’est pas à moi, pas moi, pas personnel. »

Voilà une indication très précise pour notre pratique. Une pensée négative arrive : « Cette pensée n’est pas à moi, pas moi, pas personnelle ». Une sensation douloureuse apparaît : « Pas à moi, pas moi, pas personnelle. »

Joseph Goldstein, enseignant de méditation Vipassana, raconte comment il a travaillé pour éviter de s’identifier à cet ensemble corps-esprit que le Bouddha appelle « les cinq agrégats d’attachement » (voir texte d’Adrianne Ross) :

« J’ai trouvé, un jour, la liste de ce qu’un grand maître de méditation birman – Ledi Sayadaw – considérait comme « vision erronée ». Sur cette liste il y avait : Je suis heureux. Je suis triste. Je suis en colère. Je suis en pleine forme. J’ai peur. Je m’ennuie… etc. etc. J’en suis resté stupéfait. Après tout, il s’agit là de notre façon la plus simple et la plus ordinaire de ressentir les choses et de les communiquer aux autres. En fait, les émotions ou les états d’esprit exprimés n’étaient pas en eux-mêmes un problème ; la vision erronée soulignée par Ledi Sayadaw venait du ‘je’. L’esprit récupère les ressentis physiques et mentaux et prétend qu’ils sont ‘moi’ ou qu’ils m’appartiennent. […] En réalité il ne s’agit que de la prise de conscience de ressentis, la fonction du cinquième agrégat, la conscience sensorielle. »

Il y a plusieurs exercices qui peuvent nous faire sentir, ne serait-ce que brièvement, l’absence de « moi ». Faire l’expérience d’anattā, le fameux non-soi qui peut paraître tellement ésotérique, est en réalité à notre portée à chaque instant. La première chose que nous devons comprendre est que le « moi » n’est pas quelque chose ou quelqu’un dans notre tête dont nous devons nous débarrasser. Notre pratique consiste à voir qu’il n’existe tout simplement pas. Que la notion de « moi » est un angle de vision développé pour faciliter la communication. Malheureusement, ce mode de fonctionnement est devenu un « réglage par défaut » comme le dit très justement Joseph Goldstein.

Voici donc un exercice très simple qu’il propose et que nous pouvons pratiquer intérieurement à tout moment de la journée. Il comprend deux étapes :

1 -  Remplacer « je » par « il y a » et observer ce que provoque le changement de perspective.

2 -  Pénétrer dans la sensation physique du ressenti et permettre à « ce qui est » d’être.

Prenons un exemple :

Autre exemple : « J’ai mal ». Cette affirmation chargée de tension du fait de la résistance à ce qui est, devient : « Il y a une sensation désagréable ». On pénètre dans le ressenti, on a conscience du mouvement rapide et changeant de la sensation, on reste avec elle jusqu’à ce qu’elle disparaisse. On constate ainsi, par l’expérience directe, qu’il n’y a jamais eu un « je » qui avait mal mais des sensations qui, une fois apparues, se transforment et finissent par disparaître. C’est ainsi que l’on apprend peu à peu à lâcher la résistance à ce qui est.

Au niveau de l’assise méditative, nous pouvons :

Cet exercice tout simple a des conséquences qui peuvent être très profondes :

  1. Il permet de nous extraire de la tension permanente qu’exerce sur nous le sentiment d’être un « je » (dans la mesure où il faut beaucoup d’énergie pour maintenir cette illusion).

  2. Nous prenons du recul par rapport à ce que nous vivons en cessant de nous identifier à tous nos ressentis physiques et mentaux.

  3. Nos pensées, nos paroles et nos actes naissent d’un contact avec la réalité telle qu’elle est, et non pas de l’amas de conditionnements qui constitue le « moi ».

  4. En poursuivant en méditation l’observation du changement incessant des sensations nées du corps et de l’esprit de façon soutenue, nous finissons par remettre en question la présence d’un « moi » permanent dans cet ensemble corps-esprit.

Souvenons-nous de cette anecdote où un disciple désespéré demande à son maître de l’aider à pacifier son esprit. Le maître lui dit : « Apporte-moi ton esprit et je le pacifierai ».

Après de longues méditations, le disciple revient et dit : « Je ne trouve pas mon esprit ». Autrement dit, il n’avait rien trouvé d’assez stable et fixe qui puisse être présenté comme étant clairement et définitivement « son esprit ».

« Tu vois, répond le maître, je l’ai déjà pacifié. »

Alors le disciple s’éveille à cette réalité : il n’y a rien que nous puissions appeler « mon esprit », juste des manifestations physiques et mentales extrêmement rapides et toujours limitées, toujours changeantes, toujours conditionnées.



De nombreux autres exercices existent pour travailler dans le sens de la libération de l’illusion du « moi » – notamment à travers l’exploration de tous les enseignements du Bouddha sur les cinq agrégats – mais si nous pouvons appliquer celui-ci aussi souvent que possible pendant les trois mois du Vassa 2019, nous aurons certainement fait un grand pas en avant sur cette voie.

Autres propositions de pratique faites les années précédentes :

- http://dhammadelaforet.org/sommaire/divers/pratique/pratique.html

- http://dhammadelaforet.org/sommaire/divers/pratique/pratique_vassa17.html

- http://dhammadelaforet.org/sommaire/divers/pratique/vassa_2018.html