Le Dhamma de la Forêt



 Paroles de Sagesse d’Ajahn Dune (6)

Extraits de Gifts he left behind

Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/





Garder l’esprit au-dessus de tout

Tous ceux qui sont venus rendre hommage à Luang Pu disaient la même chose : même âgé de presque cent ans, son teint était clair et sa santé solide. Ceux d’entre nous qui ont toujours vécu près de lui ont rarement vu son visage s’assombrir, paraître fatigué ou se crisper de mécontentement ou de douleur. Son état normal était d’être paisible et joyeux en toutes circonstances. Il était rarement malade et on le trouvait toujours de bonne humeur, jamais perturbé par les situations ni touché par les louanges ou les critiques.

Un jour, au milieu d’un groupe de moines méditants avancés qui parlaient et se demandaient comment caractériser l’état normal de ceux qui vivent au-delà de la souffrance, Luang Pu a déclaré : « Là où il n’y a aucun souci ni aucun attachement. Voilà où demeure l’esprit de ceux qui pratiquent. »



À la recherche de nouveaux maîtres

Aujourd’hui, les gens qui pratiquent le Dhamma sont de deux types. Les premiers sont ceux qui, après avoir appris les principes de la pratique ou reçu les conseils d’un maître s’engagent sur la voie et la suivent avec détermination au maximum de leurs capacités. Les autres sont ceux qui, malgré les bons conseils de leur maître et une bonne technique de méditation, ne s’engagent pas sincèrement. D’une part, leur pratique est nonchalante et, d’autre part, ils ont plaisir à chercher d’autres maîtres dans d’autres lieux. Chaque fois qu’ils entendent dire qu’il y a un bon centre de méditation, ils y vont. Les méditants de ce type sont nombreux.

Un jour, Luang Pu a donné ce conseil à ses disciples :

« Quand on va dans beaucoup de lieux différents et que l’on étudie avec beaucoup de maîtres différents, la pratique ne progresse pas car c’est comme si on recommençait à zéro à chaque fois. On ne parvient pas à asseoir des principes sûrs et il arrive que l’on soit dans le doute et la consternation. L’esprit n’a aucune stabilité. La pratique dégénère et n’avance pas. »



Saisir la connaissance ou la mettre de côté ?

Les étudiants et les pratiquants du Dhamma sont de deux sortes. Les premiers étudient et pratiquent vraiment pour atteindre la libération de la souffrance. Les seconds étudient et pratiquent pour se vanter de leurs succès et passer leur temps à argumenter ; ils croient que mémoriser beaucoup de textes ou pouvoir citer de nombreux maîtres est une marque de leur importance. À de nombreuses occasions, quand des gens de cette sorte venaient voir Luang Pu, au lieu de lui demander conseil sur la façon de pratiquer, ils étalaient leurs connaissances et leurs opinions pour qu’il les entende dans le détail. Pourtant, il restait toujours assis à les écouter. En fait, quand ils avaient fini de parler, il ajoutait un commentaire aux leurs :

« Ceux qui sont obsédés par les Écritures et les maîtres ne parviendront pas à se libérer de la souffrance. Pourtant, il est vrai que ceux qui veulent se libérer de la souffrance doivent nécessairement s’appuyer sur les Écritures et sur les maîtres. »



Quand l’esprit refuse de se calmer

Dans la pratique de la concentration, il est certain que chacun progresse à un rythme différent. Certains obtiennent des résultats très rapidement, d’autres lentement. Il y en a même qui semblent ne jamais goûter à la saveur de la tranquillité de l’esprit. Pourtant, ils ne doivent pas se décourager. Le simple fait de fournir un effort au niveau du cœur est, en soi, une forme de mérite et de talent supérieure aux offrandes ou à l’observation des préceptes. Nombre des disciples de Luang Pu lui disaient : « J’essaie de pratiquer la concentration depuis longtemps mais mon esprit ne s’apaise jamais. Il ne cesse de s’évader vers l’extérieur. Y a-t-il une autre manière de pratiquer qui pourrait me convenir ? »

Luang Pu recommandait parfois cette autre méthode :

« Quand l’esprit n’est pas calme, vous pouvez au moins faire en sorte qu’il ne s’éloigne pas trop. Utilisez votre attention pour la tourner uniquement vers le corps. Observez-le et voyez qu’il est constamment changeant, source d’insatisfaction et qu’il n’est pas ‘vous’. Développez ce regard qui perçoit le corps comme déplaisant et sans aucune substance réelle, personnelle. Quand l’esprit voit les choses clairement ainsi, apparaît un sentiment de consternation, de désillusion et de détachement. Voilà une autre façon de trancher les agrégats d’attachement. »



Le réel fondement du Dhamma

Il y a une question que les méditants adorent se poser entre eux : « Que vois-tu quand tu t’assois en méditation ? Qu’est-ce qui t’apparaît quand tu médites ? » Ou bien ils se plaignent d’avoir médité pendant longtemps sans que rien ne leur soit apparu. Ou encore, ils racontent qu’ils ont toujours la même vision qui se présente à eux. De ce fait, certaines personnes se méprennent sur la pratique et pensent que, lorsqu’on médite, on parvient à voir ce que l’on veut voir.

Luang Pu mettait ces personnes en garde: une telle aspiration est erronée car le but de la méditation est de pénétrer dans le réel fondement du Dhamma.

« Le réel fondement du Dhamma est l’esprit ; alors, concentrez-vous sur l’observation de l’esprit. Faites en sorte de comprendre votre propre esprit de tout votre cœur. Quand vous comprenez votre esprit de tout votre cœur, vous touchez, juste là, le réel fondement du Dhamma. »



Un avertissement pour ne pas être négligent

Pour éviter que ses moines et ses novices ne se comportent négligemment, sans attention, Luang Pu avait une manière très directe de les réprimander :

« Les laïcs travaillent dur pour gagner leur vie, traversent de nombreuses difficultés pour obtenir les biens matériels, la nourriture et l’argent dont ils ont besoin pour entretenir leur famille, leurs enfants et leurs petits-enfants. Quel que soit leur degré de fatigue ou d’épuisement, il faut qu’ils continuent à se battre. En même temps, ils veulent gagner du mérite et c’est pour cette raison qu’ils sacrifient une partie de leurs possessions et qu’ils se lèvent tôt le matin pour préparer de la nourriture qu’ils mettront dans nos bols. Avant de la mettre dans nos bols, ils la portent à leur front et font un vœu ; après l’avoir mise dans le bol, ils reculent, s’accroupissent et portent à nouveau leurs mains jointes au front en signe de respect. Ils agissent ainsi parce qu’ils espèrent gagner du mérite en soutenant notre pratique.

« Et quel mérite y a-t-il dans notre pratique que nous puissions leur offrir ? Vous êtes-vous comporté assez bien pour mériter leur nourriture et la manger ? »



Il pouvait être dur, parfois

Ajahn Samret avait été ordonné quand il était encore enfant et il était resté moine jusqu’à presque soixante ans. Il avait enseigné la méditation, était strict dans sa pratique, de bonne réputation et respecté par beaucoup… mais il n’était pas arrivé au bout de la voie. Son état d’esprit s’était détérioré quand il était tombé amoureux de la fille de l’un de ses disciples. Il alla donc prendre congé de Luang Pu pour qu’il l’autorise à quitter la communauté monastique et à se marier.

Tout le monde était sous le choc et avait du mal à le croire car, à le voir pratiquer, on pensait qu’il resterait dans la vie contemplative jusqu’à la fin de ses jours. Si la nouvelle était vraie, ce serait un coup terrible pour tous les méditants. C’est pourquoi les moines plus anciens et ses propres disciples firent tout leur possible pour le dissuader de partir. Quant à Luang Pu, il le fit appeler et essaya de le détourner de ses projets mais sans résultat. Finalement Ajahn Samret lui dit : « Je ne peux pas rester. Chaque fois que je m’assois en méditation, je vois son visage flotter devant moi. »

Luang Pu rétorqua vertement : « C’est parce que tu ne médites pas sur ton esprit comme tu le devrais. Tu médites sur son derrière. Alors, bien sûr que tu vas continuer à voir son derrière. Sors d’ici ! Tu es libre de partir où tu veux. »



Jamais égaré

J’ai vécu avec Luang Pu pendant plus de trente ans, je l’ai servi jusqu’à son dernier jour et j’ai pu constater que sa vie était rigoureusement en harmonie avec le Dhamma et le Vinaya, en harmonie avec la Voie qui mène uniquement à la libération de la souffrance. Il ne s’est jamais égaré dans des pouvoirs magiques, des talismans sacrés ou autres activités douteuses de ce genre, pas le moins du monde. Quand les gens lui demandaient de les bénir en leur soufflant sur la tête, il répliquait : « Pourquoi souffler sur votre tête ? » Quand ils lui demandaient de dessiner un porte-bonheur sur leur voiture, il rétorquait : « Pourquoi dessiner un porte-bonheur ? » Quand on lui demandait quel serait le jour ou le mois favorable pour une certaine activité, il répondait : « Tous les jours sont bons. » Ou bien, s’il mâchait du bétel et que quelqu’un réclamait les restes qu’il avait mâchés, il disait : « Mais pourquoi voudriez-vous cela ? C’est sale. »