Le Dhamma de la Forêt


Des paroles bien dites

par Ajahn Jayasaro

Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Pour bien parler et communiquer efficacement, nous devons d'abord savoir exactement quelle est notre intention et quelles sont les circonstances du moment. Ensuite, pendant la conversation, nous devons nous assurer d’être toujours vrais et conscients de l'effet que peuvent produire nos paroles ainsi que de la manière dont nous les prononçons.

Intention

Mieux vaut nous abstenir de parler si nous avons conscience d'être animés par l’intention de tromper, de manipuler, de déprécier, ou d’évacuer notre agressivité ou notre douleur. Créer un espace entre les pollutions qui surgissent de l'esprit et leur expression verbale est un réel exploit sur la voie spirituelle. Une parole juste est le fruit d’un souhait sincère de partager, d'informer, d'offrir un soutien, de réconforter, d'encourager, de rappeler gentiment et, le cas échéant, d’exhorter. Mettā, le souhait chaleureux de bien-être pour soi et les autres, est le meilleur fondement pour une parole juste. En outre, nos paroles seront harmonieuses lorsque nous déciderons d'écouter avec attention et respect tous ceux à qui nous parlons et que nous essayerons de les comprendre.

Circonstances

Nous devons nous demander si le moment et le lieu sont bien choisis pour avoir cette conversation. Nous prenons en considération, par exemple, le temps disponible, s'il vaut mieux parler en privé ou en présence d'autrui, et si notre état d’esprit est propice à la parole juste. Nous cherchons à savoir si la personne est, elle aussi, dans le bon état d'esprit pour écouter ce que nous avons à dire. Le choix du moment est crucial dans de nombreuses situations. Parler d’un sujet sensible sur un ton impatient, avant de connaître tous les faits, risque de saper la confiance que l’autre a en notre bonne foi et en notre bonne volonté, et de compromettre la communication entre nous à l’avenir. Inversement, le fait de reporter sans cesse une conversation délicate par crainte de ce qui pourrait en résulter peut aggraver une situation déjà difficile, voire l’amener à un point de non-retour.

Véracité

Nous devons nous entraîner à parler du fond du cœur, à dire la vérité telle que nous la voyons, tout en restant ouverts à la possibilité que nous ayons mal compris quelque chose. Nous n'exagérons pas les choses pour nous donner de l’importance ou pour faire rire l’auditoire. Nous n'omettons rien de ce que l'autre personne a le droit de savoir, même si c’est un peu gênant. Nous pouvons préférer garder certaines choses pour nous, mais nous ne trompons pas délibérément les autres afin de protéger notre vie privée. Nous aspirons à être dignes de confiance et fiables.

Impact

Nous surveillons l’impact de nos paroles pour nous assurer qu'il correspond à notre intention. Par exemple, si notre intention est d'informer, nous expliquons-nous clairement ? Si nous souhaitons encourager, nos paroles ont-elles réellement cet effet?

Le plus important est de savoir si nos paroles sont bénéfiques ou non à l'auditeur. Dans ce contexte, cela signifie soit qu’elles affaiblissent ou diminuent l’état mental négatif de la personne, soit qu’elles renforcent son état mental positif.

Manière de parler

Nous devons essayer de parler avec politesse et délicatesse, en restant sensibles aux opinions, croyances, désirs et peurs de l'autre. Même si nous sommes provoqués, nous nous abstenons de mots grossiers ou malveillants visant à blesser, et nous ne répondons pas aux insultes. Nous nous efforçons de parler clairement, de manière pertinente, en évitant l'utilisation d’un jargon incompréhensible pour d’autres. Nous écoutons patiemment et nous demeurons calmes mais fermes si nous sommes interrompus. Nous sommes conscients de notre langage corporel et du ton de notre voix. Nous montrons du respect pour les paroles de l'autre et nous essayons sincèrement de le comprendre. Nous n'adoptons pas la position de : « J’ai raison, tu as tort » ou « Je suis une bonne personne et pas toi » ou encore « Je suis intelligent, tu es stupide ». Nous sommes conscients que, dans les conversations les plus fructueuses, il n’y a ni gagnant ni perdant. Notre objectif est de parler comme si notre interlocuteur était notre meilleur ami.



Tandis que nous considérons ces aspects de la parole juste en nous, il faut être conscient des mêmes choses chez notre interlocuteur :

Son intention

Nous nous souvenons que nous ne pouvons pas lire dans les pensées. Nous ne pouvons jamais être absolument sûrs de l'intention de l'autre. Néanmoins, nous y réfléchissons: « Semble-t-il sincère ? Attend-il quelque chose de moi ? Essaie-t-il de me flatter ou de m’intimider ? » Ce faisant, nous veillons à ne pas laisser nos préjugés favorables ou défavorables envers la personne influencer notre interprétation de ses paroles.

Les circonstances

Si l'autre personne a choisi l'heure et le lieu de la conversation, nous nous demandons si ce choix nous convient aussi. S’il ne nous convient pas et que les circonstances le permettent, nous l’exprimons et suggérons une alternative.

La véracité de ses paroles

Parfois, les gens disent des choses que nous croyons fausses. Pour autant, nous ne devons pas conclure aussitôt qu'ils mentent. Il est possible que nos propres informations soient fausses, ou que la personne pense vraiment que ce qu’elle dit est vrai, ou même qu’elle ait tout simplement oublié des choses qu’elle a dites et faites dans le passé. Ce n'est qu'en gardant ces possibilités à l'esprit que nous remettons en cause ses paroles, et seulement si nous jugeons que ce sera utile.

Son intention

Nous sommes attentifs aux paroles de l'autre personne et considérons (a) si elles sont pertinentes dans cette conversation et (b) si elles donnent naissance à des états mentaux sains ou malsains.

Si ses paroles s’orientent vers des sujets non pertinents ou malsains, nous ramenons poliment la conversation à l’objet de notre échange. Nous pouvons dire quelque chose comme : «Si tu es d’accord, je pense que nous pourrions continuer à parler de…» Si la personne commence à dénigrer quelqu’un d’autre, nous n’ajoutons pas de commentaires négatifs. Nous ne nous joignons pas non plus à elle pour nous moquer des autres. Nous n'approuvons pas les expressions de colère, de mépris ou de manque de respect envers des personnes qui ont des convictions politiques ou religieuses différentes. Si la conversation tourne en rond et n'atteint manifestement aucun de ses objectifs, nous pouvons suggérer d'y mettre un terme, du moins pour le moment.

Sa manière d’être

Nous essayons d’être conscients de l'effet que produit sur nous l'apparence de la personne, son langage corporel et le ton de sa voix. Nous nous souvenons que la manière d’être d’une personne, aussi charmante, assurée et éloquente soit-elle, ne garantit pas que ses paroles sont vraies ou utiles. Nous nous rappelons qu’une manière d’être nerveuse et des difficultés d’expression ne sont pas la preuve que les paroles de notre interlocuteur sont sans valeur ou sans importance. Si la manière d’être de la personne semble agressive ou irrespectueuse, nous devons savoir exactement où se situent nos limites. Si la manière d’être de la personne dépasse ce que nous considérons comme acceptable, nous pouvons lui faire savoir que nous nous sentons mal à l'aise et nous mettons fin à la conversation. Mais nous veillons également à ne pas laisser notre aversion pour la manière dont quelqu'un s'exprime nous conduire à rejeter des paroles qui peuvent être vraies et bénéfiques.