Le Dhamma de la Forêt


Une bonne dose de Dhamma

pour un méditant malade


Upasika Kee Nanayon


Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/



Extrait de Pure and Simple



La maladie, au sens habituel du terme, peut nous atteindre tous, un jour ou l’autre. Mais il existe une autre sorte de « maladie » qui, elle, nous permet de continuer à fonctionner dans la vie et n’est donc pas reconnue comme telle : il s’agit de ce que l’on considère, dans le monde, comme la condition humaine normale. En effet, si on y regarde de près, on voit que le corps, dans son état « normal », est malade par nature puisque les phénomènes physiques et mentaux qui le composent se détériorent sans cesse au fil du temps – simplement on en a rarement conscience.

Quand ils ont encore la santé pour faire ceci et cela, les gens se laissent emporter par leurs pensées et leurs soucis, mais tout cela est vain. Ces préoccupations sont bien futiles comparées à celles des personnes couchées dans leur lit de malade. En fait, les malades ont de la chance parce qu’ils ont l’occasion de ne rien faire d’autre qu’observer la douleur et la souffrance. Leur esprit n’est pas encombré par les préoccupations, il ne vagabonde pas ailleurs. Les malades peuvent observer la douleur à tout moment… mais aussi lâcher la douleur à tout moment.

Observez la différence. Quand vous êtes pris par vos activités et que vous méditez de temps en temps, le soi-disant « vide » de votre esprit n’est qu’un jeu, il n’a rien à voir avec la véritable vacuité. Par contre, observer l’impermanence, la souffrance et le non-soi tels qu’ils apparaissent précisément en vous tandis que vous êtes ici, malade et alité, peut vous être très bénéfique. Veillez simplement à une chose : ne croyez pas que ce qui a mal, c’est vous. Dans les événements physiques et mentaux que vous ressentez, voyez seulement des phénomènes naturels qui passent, qui passent... Ils ne sont pas vous. Ils ne vous appartiennent pas vraiment. Vous n’avez pas de réel pouvoir sur eux. Regardez bien tout ce qui vous agite : avez-vous le moindre pouvoir sur tout cela ? Non. Et c’est vrai pour tout le monde, vous savez.

Quelle que soit la maladie qui habite le corps, elle n’est pas importante. Ce qui est important, c’est la maladie qui habite l’esprit. En temps normal, nous ne nous intéressons guère au fait que des maladies habitent notre esprit – je veux parler de la maladie des kilesa, du désir et de l’attachement. Nous ne nous intéressons qu’à nos maladies physiques, craignant les horribles choses qui peuvent arriver au corps. Mais, quels que soient nos efforts pour les écarter avec nos peurs, quand l’heure arrive, les médicaments qui traiteront le corps ne lui accorderont qu’un répit temporaire. Parmi les personnes qui ont vécu autrefois, même celles qui n’ont pas subi de grave maladie nous ont quittés. Elles ont toutes dû finir par se séparer de leur corps.

Quand on réfléchit de cette manière, continuellement, on arrive à voir, en soi, la vérité de l’impermanence, de la souffrance et de l’impersonnalité. Ensuite, on perd progressivement sa vision illusoire des choses et on s’en détache de plus en plus facilement.

Essayez de lâcher prise et regardez : qui est là ? Etes-vous ce qui a mal ou bien cette douleur relève-t-elle simplement du Dhamma ? Vous devez examiner cela très attentivement pour voir que ce n’est pas vraiment un « moi » qui a mal. La maladie n’est pas « votre » maladie ; c’est une maladie du corps, une maladie du physique. Au final, le corps physique et les attributs mentaux sont obligés de changer, de souffrir de ce changement et d’être impersonnels dans le changement et la souffrance. Mais vous devez vous concentrer sur vos ressentis, les observer et les étudier de près pour les voir avec lucidité. Rendez cette compréhension parfaitement claire et c’est là que vous serez libéré de toute douleur et de toute tension. C’est précisément là que vous mettrez fin à toute forme de souffrance. Quant aux agrégats, ils continueront à apparaître, vieillir, tomber malades et mourir selon leur propre histoire. Quand les causes et les conditions qui les sous-tendent seront épuisées, ils mourront et partiront dans un cercueil.

Il arrive que des personnes, très fières de leur bonne santé, meurent soudainement, de manière imprévisible, sans savoir ce qui leur arrive. Leur esprit est complètement inconscient de ce qui se passe. C’est un sort bien pire que celui du malade alité qui a l’occasion d’observer la douleur et de développer le détachement. N’ayez donc pas peur de la douleur ! Si elle doit être présente, laissez-la être présente mais ne laissez pas l’esprit souffrir avec elle. Ensuite, observez bien : en cet instant, l’esprit est-il vide de toute notion de « moi » et de « mien » ?

Continuez toujours à regarder à l’intérieur pour que les choses soient vraiment claires et cela suffira. Vous n’avez pas besoin de savoir autre chose. Quand on peut guérir la maladie ou que la douleur s’atténue, c’est normal ; quand elle ne s’atténue pas, c’est normal aussi. L’important est que le cœur soit simplement vide de « moi » et de « mien » ; alors, il n’y aura aucune douleur en lui. Quant à la douleur des agrégats, ne lui accordez pas la moindre pensée.

Considérez donc que vous avez de la chance d’être malade et couché dans un lit. Vous avez l’occasion de pratiquer la méditation de la vision pénétrante à chaque instant. Peu importe que le lit soit ici, à l’hôpital, ou chez vous. Ne laissez pas l’esprit penser que vous êtes ici ou là. Laissez-le être dans la vacuité, vide de toute idée, de toute parole. Vous n’avez aucun besoin de penser au lieu où vous vous trouvez.

En réalité, les agrégats ne sont pas là où « vous » êtes. Ils sont vides de toute « personne » qui les habiterait. Ils sont vides de tout « moi » ou « mien ». Quand l’esprit est ainsi, il n’a besoin de rien du tout. Il n’a pas besoin d’être ici, d’aller là ou ailleurs. C’est la fin absolue de toute douleur et de toute souffrance.

Quand l’esprit ne se laisse pas absorber par le goût du plaisir ou de la douleur, il est libre en lui-même et par lui-même, conformément à sa nature. J’aimerais que vous observiez de près le comportement de cet esprit, alors qu’il est vide, conformément à sa nature, qu’il n’est pas en train de concocter des désirs, en train de rechercher le plaisir ni de repousser la douleur. Voyez : quand l’esprit est vide, conformément à sa nature, il n’a aucun sens de la propriété, il ne se désigne par aucun mot. Même si des pensées surviennent, il voit qu’elles sont sans substance, vides de soi. Il y a simplement une sensation qui ne fait que passer. Une sensation qui ne fait que passer et c’est tout.

Vous devez donc observer les phénomènes qui apparaissent et disparaissent – autrement dit, vous devez observer le présent continuellement. Dès lors, l’esprit sera vide dans la mesure où il ne donnera pas de sens aux événements, il ne collera pas de mots sur eux quand ils apparaîtront puis disparaîtront. Quant au fait d’apparaître et de disparaître, c’est une caractéristique des agrégats que vous devez considérer comme faisant partie de leur nature ; mais l’esprit, lui, ne s’y engage pas, ne s’en saisit pas. Voilà ce qui peut vous aider.

Vous ne pouvez pas empêcher le plaisir et la douleur, vous ne pouvez pas empêcher l’esprit de mettre des mots sur les choses et de fabriquer des pensées, mais vous pouvez utiliser cela autrement. Si l’esprit met les mots « j’ai mal » sur une sensation douloureuse, vous devez étudier soigneusement ces mots jusqu’à voir qu’ils ne sont pas corrects. S’ils étaient corrects, ils exprimeraient le fait que la douleur n’est pas moi, qu’elle est vide. De même, si vous vous dites « je souffre », c’est une pensée erronée. Vous devez aborder la pensée différemment, voir que la pensée est impermanente, insatisfaisante et qu’elle ne vous appartient pas.

Alors, quoi qu’il arrive, examinez de près ce que vous avez sous les yeux et puis lâchez. Assurez-vous simplement de ne pas vous attacher aux pensées et aux ressentis et l’esprit restera vide, conformément à sa nature. Même si la douleur est grande ou si l’esprit développe une humeur négative, regardez toujours en vous, restez en contact avec la sensation de l’esprit lui-même, et aucune pensée ne vous tracassera. Quand vous aurez ressenti la vacuité de l’esprit, si une perturbation ou un sentiment d’irritation vous agite, vous saurez que ce qui l’a occasionné n’a aucune réalité absolue et la compréhension juste prendra aussitôt le dessus, écartant automatiquement les pensées erronées.

Pour rester sans cesse connecté à ce fondement de la compréhension juste, vous devez commencer par exercer un certain contrôle sur l’esprit en concentrant votre attention pour contempler le phénomène de la douleur et de la souffrance. Maintenez ce contrôle jusqu’à ce que l’esprit reste de lui-même dans la claire vacuité du cœur. Si vous pouvez y arriver jusqu’au bout, la disparition ultime de la souffrance se produira juste là où l’esprit est vide.

Mais, pour cela, vous devez pratiquer continuellement. A chaque fois que la douleur se manifeste, qu’elle soit forte ou légère, ne mettez pas de mots dessus, ne lui attribuez aucune signification particulière. Même si le plaisir apparaît, ne pensez pas qu’il s’agit de « votre » plaisir. Laissez-le simplement passer et, à chaque instant, l’esprit sera libéré, vide de toute saisie, de tout attachement à un sentiment de « moi ». Vous devez appliquer toute votre attention et votre énergie à cela.

Vous devez vous considérer chanceux d’être couché ici, malade et libre de contempler la douleur, car vous avez l’occasion de pleinement développer la Voie, de voir la vérité profonde des choses et de lâcher prise. Nul n’a de meilleure occasion que vous en ce moment. Il y a des gens qui courent dans tous les sens pour gérer leurs affaires et, même s’ils prétendent que leur esprit reste libre, vous êtes bien mieux loti qu’eux. Une personne alitée a l’occasion de développer une vision profonde des choses, avec chaque inspiration et chaque expiration. En pratiquant les enseignements du Bouddha jusqu’à obtenir une connaissance claire de la véritable nature des choses, en elles-mêmes et par elles-mêmes, vous montrez que vous n’avez pas gâché votre naissance en tant qu’être humain.

La véritable nature des choses, au niveau extérieur, se réfère aux phénomènes du présent, aux changements des cinq agrégats. Vous pouvez déchiffrer leur mode de fonctionnement et, une fois que vous l’avez compris, en être désenchanté jusqu’à perdre toute attirance envers eux et les laisser aller. Quand l’esprit est dans cet état, le niveau suivant consiste à l’examiner avec précision pour voir qu’il est vide et poursuivre ainsi jusqu’à voir la vacuité ultime. Cette vacuité pénètre clairement au plus profond de votre véritable nature, là où il n’y a pas de fabrication de pensées, pas d’apparitions et ni de disparitions, pas de changement du tout.

Quand vous verrez correctement la nature des choses extérieures jusqu’à ce que tout soit bien clair pour vous, l’esprit lâchera prise. Il lâchera. Dès lors, vous verrez automatiquement clairement la nature de ce qui est en vous. Là, tout est vide : pas de cycle de naissance et de mort, absolument rien n’est fabriqué – c’est l’extrême vide de la vacuité, sans paroles, sans étiquettes, sans saisie ni attachement. Tout ce que je souhaite, c’est que vous voyiez cela clairement dans votre propre esprit.

Le vide ordinaire de l’esprit est utile à un certain niveau mais ce n’est pas tout. La véritable vacuité reste vide jusqu’à ce qu’elle atteigne la nature réelle des choses à l’intérieur. Voilà qui vaut vraiment la peine d’être débusqué, qui vaut vraiment la peine d’être découvert.

C’est une chose que vous devez constater par vous-même. Il n’y a pas de mots pour la décrire mais nous pouvons en parler pour vous guider parce qu’il est possible qu’au final, vous lâchiez tout dans ce que l’on appelle « la disparition sans laisser de traces ». Si vous continuez à développer la vision intérieure chaque jour, à chaque instant, comme cela, l’instant de disparition de l’esprit sans laisser de trace se produira tout seul. L’esprit « saura », de lui-même. Alors ne le laissez pas se fourvoyer dans des préoccupations de plaisir ou de douleur. Concentrez-vous sur l’approfondissement de l’esprit en lui-même et par lui-même, sans répit.

Voyez-vous comme tout cela est différent du temps où vous alliez et veniez, fort et en bonne santé, pensant à une chose et une autre ? Voilà pourquoi il n’y a pas de mal à accueillir la douleur. Le problème est seulement dans notre stupidité, quand nous mettons des mots sur les choses et que nous leur donnons du sens. En général, les gens ont tendance à réfléchir à la nature éphémère de la vie quand quelqu’un d’autre tombe malade ou meurt, mais ils réfléchissent rarement à la nature éphémère de leur propre vie. Ou bien ils y réfléchissent un moment puis s’empressent d’oublier en se jetant à corps perdu dans d’autres préoccupations. Ils ne laissent pas ces vérités les pénétrer pour réfléchir à l’impermanence qui se manifeste continuellement en eux. Le fait qu’ils puissent encore faire ceci et cela, penser à ceci et cela, dire ceci et cela, leur fait perdre toute perspective.

Quand on pratique la méditation de la vision pénétrante, on ne le fait pas pendant un mois ou deux, à l’occasion d’une retraite, par exemple. C’est sans comparaison avec ce que vous faites en ce moment car ici, vous pouvez pratiquer chaque jour, toute la journée et toute la nuit, sauf quand vous dormez. Et quand la douleur est forte, c’est très bon pour votre méditation car l’occasion vous est ainsi donnée de savoir, une fois pour toutes, en quoi consiste l’impermanence, en quoi consistent la douleur et la souffrance, en quoi consiste votre incapacité à contrôler les choses.

Vous devez découvrir cela ici même, face à vous-même, alors n’essayez pas d’éviter la douleur. Pratiquez la vision profonde pour voir la véritable nature de la douleur en tant que Dhamma, et ensuite, laissez-la passer, encore et encore. Si vous pratiquez ainsi, vous ne pourrez pas vous tromper. C’est la voie qui mène à la libération de la souffrance.

C’est une chose qu’il faut faire avant de mourir, vous savez ; il ne s’agit pas d’attendre le moment de la mort ! Il faut tout simplement pratiquer en continu, tourner sans cesse le regard vers l’intérieur. Quand la maladie faiblit, vous le constatez en vous-même ; quand elle redouble, vous le sentez en vous-même. Si vous développez le regard intérieur de cette façon, l’esprit dépassera ses limites et sa vision erronée des choses. Autrement dit, les désirs et les kilesa n’oseront plus harceler l’esprit comme ils le faisaient auparavant.

Maintenant que vous avez l’occasion de pratiquer le Dhamma, vous devez vous investir entièrement dans cette tâche, y consacrer toute votre attention, toute votre énergie. Faites en sorte que cette vie soit la dernière ; ne laissez rien qui puisse renaître. Si vous reprenez naissance, les choses redeviendront exactement comme elles sont maintenant : les mêmes vieux problèmes vous assailliront, encore et encore. Avec la naissance viendront le vieillissement, la maladie et la mort. Conformément aux kilesa qui habiteront votre esprit, vous connaîtrez les bonnes et les mauvaises conséquences des actes que vous ne cesserez d’accomplir en série. C’est un cycle de souffrance. La meilleure chose à faire est donc de vous libérer de la naissance. Ne vous permettez plus de désirer quoi que ce soit car tout désir relève inévitablement de ce qui est impermanent, insatisfaisant et impersonnel.

Désirer est simplement une manifestation des kilesa. Vous devez vous libérer de ces choses à l’endroit même où elles apparaissent. Le désir qui n’est qu’une soif de sensations, le désir de devenir quelqu’un ou quelque chose, le désir de ne plus exister – il s’agit là, présents dans le cœur, des germes d’une future naissance. Alors, concentrez-vous sur ce qui est en vous et observez bien là où il faut regarder, pour voir que, même si le désir engendre une forme de naissance lors d’un contact sensoriel, vous pouvez être pleinement présent au niveau de l’esprit, au niveau de la conscience, et permettre à « ce qui sait » de s’abandonner lui-même. C’est un regard qu’il faut travailler sans relâche jusqu’à le maîtriser parfaitement.

Etre pleinement présent au niveau de l’esprit et lâcher « ce qui sait » de cette manière, est très bénéfique. On ne peut plus être piégé, on ne se saisit plus de ce que l’on sait ou de ses opinions. Si ce que l’on sait est juste, on le lâche ; si c’est faux, on le lâche aussi. On appelle cela être conscient du lâcher-prise de « ce qui sait » sans créer de confusion. Cela empêche l’esprit de se saisir de tout ce qui peut apparaître en lui. A l’instant où vous êtes conscient de quelque chose, vous l’avez déjà lâché. L’esprit continue à rester vide, vide de formations mentales et de pensées, vide de toutes sortes d’idées fausses qui pourraient l’atteindre. Il voit aussitôt au travers et laisse passer, il est conscient et laisse passer, sans s’attacher à rien. Tout ce qui lui reste, c’est la vacuité…

Petit à petit, vous avez eu l’occasion de voir les fruits de votre pratique, de votre observation suivie d’un lâcher-prise, et même du lâcher-prise de la pensée que « vous » êtes celui qui a mal, que « vous » êtes celui qui va mourir. La douleur et la mort ne concernent que les agrégats, purement et simplement. Quand vous savez cela avec clarté et certitude, quand vous pouvez vous dire : « Ce ne sont pas mes affaires ; il n’y a pas de ‘moi’ là-dedans », il ne reste qu’un esprit vide, et même vide de tout mot pour se qualifier lui-même. Telle est la nature de l’esprit quand il est libre de la confusion qui, autrefois, lui faisait croire ceci ou cela. Cette confusion a disparu à présent. Elle a disparu parce que nous avons médité dessus, nous avons lâché prise. Nous avons placé notre pleine conscience précisément au niveau de l’esprit et lâché sans cesse tout ce qui a pu y apparaître, jusqu’à ce que l’esprit soit vide – clair en lui-même et par lui-même.

Quand on est tourné vers l’intérieur, on voit que la conscience apparaît et disparaît du fait de sa propre nature. Elle n’a pas vraiment d’essence. Voilà ce que l’on découvre quand on regarde ses propriétés élémentaires (viññana-dhatu). Quand elle n’est pas engagée dans des phénomènes physiques et mentaux, elle est simplement consciente d’elle-même – consciente, pure et simple. C’est ce que l’on appelle l’esprit pur et simple ou la qualité de conscience pure et simple, en elle-même et par elle-même, qui lâche prise d’elle-même. Quand on vous dit d’être conscient et de lâcher prise de ce qui est conscient, cela signifie être présent à la conscience qui sent les choses puis lâche prise d’elle-même.

En ce qui concerne l’agrégat de la conscience sensorielle (viññana-khandha), c’est une forme de conscience qui cause des problèmes. La confusion qui ne cesse d’aggraver les choses se trouve dans cette forme de conscience qui veut s’attacher à un sentiment de « moi ». Même si elle peut lâcher la douleur physique ou les événements physiques et mentaux en général, elle est toujours attachée à un sentiment de moi. Donc, quand on vous dit d’être conscient du lâcher-prise de ce qui est conscient, cela signifie lâcher cette sorte de conscience jusqu’au point où la conscience n’a plus de mot pour se qualifier elle-même. C’est alors qu’elle est vide. Si vous comprenez cela ou si vous pouvez renforcer le cœur et l’esprit par cet angle-là, il ne restera rien. La douleur, la souffrance, les tensions, toutes vos préoccupations n’auront plus aucun sens. Il n’y aura plus aucun jugement en termes de bon, de mauvais ou de quoi que ce soit ; les dualités ne vous atteindront plus. Si vous êtes conscient de cette manière – avec cette conscience qui ne se saisit de rien – toute possibilité de fabrication mentale sera évitée.

Ces dualités qui façonnent le bon et le mauvais n’ont vraiment aucune réalité. Elles apparaissent et c’est tout ; elles disparaissent et c’est tout. Nous en venons donc maintenant à connaître comment les dualités façonnent l’esprit ou la conscience en spirales, en des cycles sans fin. Quand, au niveau même de la conscience, vous êtes conscient de ce qui est conscient lâchant prise de lui-même, les dualités n’ont plus de sens. Il n’y a plus de saisie de mots comme bon et mauvais, plaisir et douleur, vrai et faux, etc. On laisse tout aller, tout le temps.

Quand ce qui est conscient lâche ce dont il est conscient, il n’a pas de mot pour se décrire lui-même, pas de « je sais » ou de « je vois ». Mais c’est une connaissance profonde, qui nécessite un effort pour être vue avec clarté et justesse. Il faut continuer à observer avec perspicacité. La perspicacité de votre regard : voilà qui est très important car c’est la seule chose qui puisse mener à l’Eveil. Votre connaissance doit être fine, ingénieuse. Veillez à avoir finesse et ingéniosité, sans quoi votre connaissance de la véritable nature des choses, au niveau extérieur comme intérieur, ne sera pas vraiment claire. Elle se bloquera aux niveaux élémentaires de la vacuité, mettra des mots dessus et s’en saisira, pour n’aboutir qu’à compliquer les choses. Ce type de vacuité n’est pas comparable avec l’autre : ce qui est conscient s’abandonnant lui-même au niveau de la conscience, purement et simplement. Assurez-vous que cette conscience soit sans cesse présente. Si vous dérapez un moment, revenez-y. Vous verrez que, quand vous ne vous saisissez pas de mots et de sens, les pensées de bon et de mauvais s’arrêtent tout simplement. Elles disparaissent. Le Bouddha nous dit de voir que le monde est vide – eh bien, à ce moment-là, c’est effectivement ainsi que nous le voyons.

La vacuité, c’est quand l’esprit ne donne pas de sens aux choses, ne fabrique rien, ne s’attache pas. C’est ainsi qu’il est vide. Une fois que vous avez un ressenti juste de ce qu’est l’esprit vide, vous ne vous laissez plus jamais emporter par quoi que ce soit. Mais si vous ne vous concentrez pas vraiment dessus de cette manière, vous n’aurez qu’une notion superficielle de la vacuité puis vous vous retrouverez distrait par ceci et cela, et vous gâcherez la vacuité. Cette sorte de vacuité est de la confusion mentale. On est prisonnier de la confusion parce que l’on n’a pas analysé les choses jusqu’à leur niveau le plus profond. On se contente de jouer avec la notion de vacuité. Pour atteindre les niveaux plus profonds, il est nécessaire de se concentrer à l’intérieur et de persévérer dans cette investigation jusqu’à voir, avec une clarté absolue, la véritable nature des choses dans le présent qui apparaît et disparaît juste sous nos yeux. Un esprit comme celui-ci ne s’emporte pas, ne se saisit pas des mots, ne donne pas d’importance exagérée aux choses.

Si vous percevez correctement cette sorte de vacuité, il n’y a plus de problèmes, plus de mots pour qualifier cette masse de phénomènes physiques et mentaux. Quand l’heure viendra pour tout cela de disparaître, il n’y aura aucune raison de s’affoler, aucune raison de s’attrister, car c’est ainsi que les choses se passent naturellement. Ce n’est que si nous nous en saisissons que nous souffrons.

Le Dhamma est juste là, dans notre corps et notre esprit ; simplement, nous ne le voyons pas ou bien nous ne le voyons pas de manière juste : nous nous en saisissons et nous nous faisons souffrir. Si nous considérons les choses sous l’angle de l’attention et du discernement, qu’est-ce qui peut nous faire souffrir ? Pourquoi craindre la douleur et la mort ? Et si nous en avons peur, qu’y gagnons-nous ? Les phénomènes physiques et mentaux doivent suivre leur nature, or ils sont impermanents par nature, insatisfaisants par nature, impossibles à maîtriser par nature. Alors pourquoi nous en mêler en nous en saisissant et en prétendant que leur douleur et leur souffrance sont notre douleur et notre souffrance ? Si nous comprenons que c’est cette saisie qui nous fait souffrir, encore et encore, à chaque respiration, tout ce qu’il nous reste à faire, c’est lâcher prise et nous verrons comment survient la libération de la souffrance, juste sous nos yeux.

Alors, continuez à regarder à l’intérieur pour être toujours conscient, comme je l’ai expliqué, juste au niveau de l’esprit. Mais n’allez pas y ajouter le mot « esprit » ou quoi que ce soit. Laissez les choses être comme elles sont, en elles-mêmes et par elles-mêmes, pures et simples. C’est suffisant. Inutile de leur mettre des mots ou de leur donner du sens… et ce sera la fin de toute souffrance.

Quand les choses disparaissent définitivement, elles disparaissent juste au niveau de la propriété élémentaire de la conscience libre de la confusion qui porte les germes d’une nouvelle naissance. C’est là que tout s’arrête : plus de renaissance, plus de mort, d’aucune sorte.

La méditation est une chose que l’on doit pratiquer par soi-même. Une compréhension claire et correcte des choses, grâce à votre propre attention et à votre propre discernement : voilà votre outil, bien aiguisé, entre vos mains. Si l’esprit est entraîné à être aiguisé par l’attention et le discernement pour s’observer lui-même, les kilesa, le désir et l’attachement seront progressivement débroussaillés et nettoyés. Vous pouvez déjà le constater : suite à votre pratique, n’êtes-vous pas déjà libéré jusqu’à un certain point ? L’esprit n’a pas besoin de s’inquiéter de quoi que ce soit, n’a pas à s’engager dans autre chose. Lâchez tout ce qui est extérieur et continuez à lâcher jusqu’à ce que l’esprit s’abandonne lui-même. Quand on pratique ainsi, comment ne pas voir l’immense valeur du Dhamma ?

Je souhaite pour vous que l’esprit se vide de tout attachement, de tout sentiment de « moi » ; qu’il évolue assez pour qu’il vous soit parfaitement clair et évident que l’esprit n’est que Dhamma. Puisse ceci vous apparaître, simplement tel que c’est, instant après instant.

***

Quand l’esprit a déjà atteint un certain fondement de vacuité, il est très utile d’écouter le Dhamma. C’est comme un tonique énergisant. Quand nous sommes malades, il y a inévitablement une douleur qui nous perturbe mais, si nous n’y prêtons pas attention, cela devient simplement le problème du corps et l’esprit n’est absolument pas impliqué. Prenez-en conscience tandis que vous m’écoutez : l’esprit a lâché la douleur pour écouter les mots, abandonnant la douleur à elle-même. L’esprit est alors vide…

Une fois que l’esprit percevra honnêtement la vérité selon laquelle tout ce qui est composé est impermanent, il aura lâché ses attachements. Ici, le problème est que nous ne l’avons pas vraiment vu ou que nous n’y avons pas réfléchi en profondeur. Par contre, sitôt que nous le faisons, l’esprit est toujours prêt à rayonner. La compréhension claire rend aussitôt l’esprit radieux. Alors, maintenez une attention soutenue. Même si vous n’avez pas beaucoup de connaissances dans ce domaine, soyez simplement conscient de l’esprit qui maintient un équilibre à son niveau élémentaire de neutralité et de vacuité. A ce moment-là, il ne pourra pas s’inquiéter pour les douleurs du corps et vous ne serez pas obligé de vous y attacher.

Par conséquent, maintenez votre conscience de la douleur juste au niveau où elle n’est qu’une simple sensation physique. C’est la douleur du corps, alors ne laissez pas l’esprit souffrir avec lui ! Si vous laissez l’esprit souffrir de la douleur du corps, vous ne ferez qu’aggraver la situation. La première étape consiste donc à protéger l’esprit, à lâcher les choses, puis à se tourner vers l’intérieur pour trouver la partie la plus profonde de votre conscience et rester juste là. Vous n’êtes pas obligé de vous impliquer dans les douleurs extérieures. Même si vous essayez simplement de les supporter, ce sera peut-être trop dur pour vous. Cherchez plutôt l’aspect de l’esprit qui est au plus profond de vous et vous pourrez ensuite mettre tout le reste de côté.

Plus tard, si les douleurs sont supportables, faites l’effort de les observer. L’esprit restera dans son état de neutralité normale, calme du fait de sa vacuité intérieure, et il observera la douleur tandis qu’elle change et disparaît. Mais si la douleur est extrême, retournez vers l’intérieur car, si vous ne pouvez pas la supporter, le désir va intervenir, il va vouloir la repousser pour la remplacer par le bien-être. Ceci ne fera qu’aggraver les choses et créer un horrible chaos dans l’esprit.

Alors, commencez par résoudre le problème qui est sous vos yeux. Si la douleur est soudaine et aigüe, tournez-vous immédiatement vers l’intérieur et concentrez votre attention sur l’esprit. Vous n’avez pas à vous soucier du corps, des douleurs du corps. Ne leur accordez pas le moindre regard. Focalisez plutôt votre attention sur la partie la plus profonde de votre conscience. Allez jusqu’au point où vous percevez l’état d’esprit pur, qui ne souffre pas avec le corps, puis restez à ce niveau, avec clarté, sans discontinuer. Quand l’attention tournée vers l’intérieur est claire et soutenue, quelle que soit la douleur du corps, ce n’est plus qu’une affaire d’événements mentaux et physiques dans laquelle l’esprit n’est pas engagé. Il met tout cela de côté. Il lâche prise.

Quand vous devenez expert en la matière, cette aptitude à diriger l’attention vers l’intérieur est très utile parce que les choses importantes de la vie ne se trouvent pas à l’extérieur. Elles se situent entièrement dans l’esprit. Si nous comprenons cela correctement, nous n’aurons pas besoin de nous tourner vers l’extérieur pour nous saisir de ceci ou de cela. Nous n’aurons pas à nous saisir de quoi que ce soit parce que, si nous le faisons, nous nous créons simplement des souffrances inutiles. Le bien-être de l’esprit réside là où il ne se saisit de rien, où il ne désire rien. C’est là que toute insatisfaction, toute souffrance disparaît : juste au niveau de l’esprit.

Par contre, si nous ne comprenons pas vraiment les choses, l’esprit ne voudra pas lâcher prise. Il s’attachera de toutes ses forces aux choses extérieures parce qu’il y trouvera goût. Ces choses engendrent inévitablement l’insatisfaction et la souffrance mais il est aveuglé par ce qui l’attire.

Nous devons nous concentrer sur le regard intérieur et l’observation, repérer la confusion qui est encore présente dans l’esprit, les concepts erronés et les opinions qui le recouvrent et nous empêchent de voir sa nature intrinsèquement vide et silencieuse. Concentrez-vous sur l’observation de vos opinions ; voyez comme elles engendrent des attachements compliqués, lesquels ensevelissent l’esprit jusqu’à ce qu’il se retrouve dans une situation désastreuse. Voyez comment les événements mentaux – sensations, perceptions et formation de pensées – conditionnent l’esprit, conditionnent la qualité de la conscience, jusqu’à créer la pire des confusions.

Voilà pourquoi il est si important de découvrir ce qui est conscient et qui lâche ce dont il est conscient – autrement dit, ce qui connaît la qualité de conscience pure et simple quand les événements mentaux ne l’ont pas encore pénétrée et conditionnée ou quand elle ne s’est pas échappée pour conditionner les événements mentaux. C’est précisément là que les choses deviennent vraiment intéressantes, en particulier les formations de pensées qui conditionnent la conscience. Elles viennent de l’ignorance, n’est-ce pas ? C’est parce que nous n’avons pas la compréhension juste, parce que notre compréhension est erronée, que nous sommes capables de conditionner les choses.

Je souhaite donc que vous puissiez vous concentrer sur cette ignorance, cette non-compréhension. Si vous pouvez prendre conscience des caractéristiques de la non-compréhension, cela vous permettra de connaître aussi bien les caractéristiques des formations de pensées tandis qu’elles se conditionnent, que le moyen de les faire disparaître. Cela requiert une observation fine et profonde parce que c’est subtil et profond. Mais, quoi qu’il en soit, le fait que nous ayons développé notre attention et notre discernement jusque-là signifie que nous devons et nous pouvons nous pencher sur la question. Sinon, il n’y a aucun moyen de mettre fin à la souffrance ou de nous en libérer.

Vous pouvez aussi considérer les choses sous un autre angle : concentrez-vous exclusivement sur l’aspect de l’esprit qui est constamment vide. Si des préoccupations apparaissent, soyez simplement conscient des caractéristiques des sensations (impermanence, insatisfaction et impersonnalité) quand les formes entrent en contact avec les yeux, les sons avec les oreilles, etc. Avant que des mots comme « agréable » ou « désagréable » leur soient associés, voyez qu’il s’agit de simples sensations qui vont disparaître. S’il n’y a que de simples sensations qui apparaissent puis disparaissent, il n’y a pas de souffrance.

Soyez attentif au moment où les formes entrent en contact avec les yeux. Les choses qui ne vous intéressent pas n’éveilleront aucun sentiment de « j’aime » ou « je n’aime pas ». Mais si une forme, un son, une odeur, une saveur ou une sensation tactile vous intéresse ou si vous lui accordez du sens, vous remarquerez que, dès que vous lui donnez un sens, l’attachement est déjà présent.

Si vous prenez le temps de regarder ainsi, vous verrez que l’attachement est subtil parce qu’il est présent même dans le simple fait de donner du sens. Si vous regardez de manière superficielle, vous ne verrez pas qu’il s’agit d’attachement ; pourtant, il s’agit bien de cela mais c’est très subtil. Dès qu’il y a sens, il y a attachement. Pour le voir, vous devrez être très attentif et vigilant, parce que, dans le contact au niveau des yeux et des oreilles, que nous considérons tout à fait normal, beaucoup de choses se passent simultanément – de vrais tours de passe-passe – ce qui signifie que nous ne sommes pas conscients de la caractéristique de ce qui a conscience de chaque sensation individuellement. Nous devons être très vigilants si nous voulons être conscients de ces choses. Si nous n’avons pas ce degré de pleine conscience, tout sera empreint d’attachement. L’esprit recevra des messages qui engendreront toutes sortes de conditionnements et de problèmes qui le laisseront dans le chaos le plus total.

Par conséquent, si nous voulons que notre regard intérieur soit pur, nous devons être extrêmement vigilants parce qu’au-dedans, les choses sont subtiles, insaisissables et sensibles. C’est quand l’esprit est vide et neutre que vous devez vraiment l’observer de près et le contrôler pour être pleinement conscient au moment du contact sensoriel : si le contact demeure pur et simple, il disparaît très vite et l’esprit reste vide – neutre et vide. Quand vous saurez cela, vous saurez comment est l’esprit quand il n’est pas conditionné par la force des kilesa, du désir et de l’attachement. Vous pourrez utiliser cette vacuité de l’esprit comme moyen de comparaison et cela vous fera un bien immense.

Vous finirez par voir la vacuité de tous les contacts sensoriels. C’est ce que le Bouddha dit quand il recommande de voir le monde comme étant vide : nous devons observer les sensations à l’état brut, simplement comme des phénomènes qui apparaissent et disparaissent ; ainsi, quand la conscience se limite à recevoir des contacts sensoriels sans rien y ajouter, nous découvrons sa véritable nature. Si vous parvenez à voir cela, l’étape suivante de la pratique ne sera pas difficile du tout parce que vous aurez établi cette neutralité dès le départ. Recevoir un contact sensoriel n’aura plus rien de compliqué ; l’esprit ne se saisira plus des choses, ne ressentira plus ni attirance ni aversion. Il sera simplement paisible et pleinement conscient de tout, en lui-même, à tout moment. Si vous parvenez à ce stade, vous constatez combien il est bénéfique de ne pas compliquer les choses, de ne pas les laisser devenir des problèmes sous l’effet des kilesa, du désir et de l’attachement. Le simple fait d’avoir ce regard libère déjà de beaucoup de problèmes.

Ensuite, quand vous regarderez encore plus profondément pour voir la nature de tous les phénomènes connus au travers des contacts sensoriels, vous verrez qu’il n’y a que de simples sensations et absolument rien en elles qui mérite que l’on s’y attache. Même si le monde regorge d’objets, si vous regardez avec les yeux de la véritable attention et du véritable discernement, vous verrez nécessairement la vacuité. Vous le savez, les yeux voient beaucoup de formes, les oreilles entendent beaucoup de sons, mais l’esprit peut cesser de leur donner du sens en voyant que les objets n’ont aucun sens en eux-mêmes ni par eux-mêmes.

La seule chose qui compte, c’est l’esprit. Tous les problèmes viennent de l’esprit qui s’échappe pour donner du sens aux choses ; cela engendre aussitôt l’attachement qui va créer toutes sortes de tensions et de souffrances. Vous devez donc observer les choses de près jusqu’à les voir dans leur extrême profondeur, aussi bien au-dehors qu’au-dedans, jusqu’à voir au travers de l’impermanence, de l’insatisfaction et de l’impersonnalité. Voyez les choses telles qu’elles sont, en elles-mêmes et par elles-mêmes, conformément à leur nature propre, avant de leur donner du sens et de vous y attacher. Alors, il n’y aura plus de problèmes. L’esprit sera vide, clair et lumineux, sans que vous n’ayez rien à faire.

En conséquence, comme l’esprit est généralement habité par le virus de l’ignorance ou du désir qui engendre toutes sortes de problèmes, nous ne pouvons pas nous permettre d’être négligents. Au début, vous devez bien observer tout ce qui se présente pour voir l’apparition du désir à l’instant du contact sensoriel. Par exemple, quand une sensation de douleur apparaît, si vous ne l’interprétez pas comme « votre » douleur, le désir n’interviendra quasiment pas. Par contre, si vous l’interprétez ainsi, vous aurez le désir de repousser la douleur ou de la remplacer par le bien-être.

Et pourtant, le désir ne nous a jamais rien apporté de vrai ni de fiable ! Le plaisir que nous obtenons de nos désirs assouvis ne dure pas. Il nous séduit puis se transforme. La douleur nous trompe puis se transforme. Tous ces changements s’additionnent et compliquent l’esprit, c’est pourquoi il demeure dans l’ignorance. Il a été conditionné de tant de façons, qu’il est dans la confusion, égaré, obscurci et brûlant sous les cendres.

Toutes sortes de choses couvent sous les cendres… C’est pourquoi le principe de « ce qui est conscient lâchant prise de lui-même » est un outil majeur. Quoi qu’il vous arrive, cet outil peut vous aider à passer outre. Il prend soin de tout. S’il vous échappe, revenez-y simplement. Voyez par vous-même jusqu’où il pourra vous mener, à quel point il peut maintenir votre esprit dans un état de neutralité et de vacuité.

Il se peut que vous découvriez cela petit à petit. Dans les moments où l’esprit n’est pas trop engagé dans des pensées, quand il est à un niveau de « normalité », c’est-à-dire vide ou paisible, observez-le bien et analysez-le. Ne le laissez pas dans un état d’indifférence inconsciente sinon il perdra son équilibre. Si vous êtes dans un état d’inconscience, dès qu’un contact sensoriel a lieu, il entraîne inévitablement attachement ou désir. Vous devez vous concentrer sur l’observation des changements, sur le comportement de l’esprit à chaque instant. Dès que votre attention faiblit, revenez immédiatement à l’état de « normalité ». Il est inévitable que notre attention flanche de temps en temps. Cela nous arrive à tous parce que le poison de l’ignorance – le plus puissant de tous les kilesa – est encore présent dans l’esprit.

C’est la raison pour laquelle nous devons travailler à développer notre attention, notre investigation et notre concentration pour qu’elles deviennent toujours plus claires. Permettez à votre esprit de mûrir continuellement en attention et en discernement. Quand il est assez mûr pour vous permettre d’avoir une compréhension fine des choses, vous pouvez faire disparaître les kilesa à l’instant même où ils se présentent. Dès que vous commencez à ressentir une attirance ou une répulsion, vous pouvez la dépasser avant qu’elle ne dégénère ; tout est beaucoup plus facile. Par contre, si vous la laissez suivre son cours habituel, elle conditionnera l’esprit, l’irritera, le salira et l’agitera au point que cela transparaîtra dans vos paroles et dans vos actes. Vous vous retrouverez alors dans une situation terrible : en enfer, dans cette vie-même.

La pratique du Dhamma exige de l’ingéniosité et de la modération au niveau de l’esprit. Les kilesa sont toujours prêts à nous flatter, à rechercher nos faveurs. Si notre attention n’est pas pleine et entière, si nous ne savons pas comment surveiller minutieusement l’esprit, nous ne serons pas à la hauteur car leurs pièges sont nombreux. Mais si nous veillons bien sur l’esprit, ces kilesa auront peur de nous, de notre attention et de notre discernement. Ils seront mis en déroute par la pleine conscience.

Voyez quand l’esprit est vide, pleinement conscient, sans aucun attachement : les kilesa se font tout petits comme s’ils n’étaient pas là du tout. Pourtant, à peine notre attention se relâche-t-elle qu’ils resurgissent aussitôt, comme sous l’effet d’un ressort. Mais si vous êtes capables de les reconnaître dès qu’ils apparaissent, ils disparaissent immédiatement. C’est une aptitude très appréciable car, si nous laissons les kilesa se multiplier jusqu’à créer des problèmes, il sera beaucoup plus difficile de les faire disparaître. Il faut donc endurer et ne pas abandonner la lutte.

Quoi qu’il advienne, commencez par accueillir la situation, la supporter – pas pour la subir mais pour l’examiner, pour voir à quoi elle ressemble, comment elle change, comment elle disparaît. Nous supportons de façon à voir au travers des leurres. Nous observons la façon dont les choses apparaissent, durent puis disparaissent d’elles-mêmes. Si elles disparaissent pendant que nous les étudions et que nous voyons clairement leur manège, nous pouvons en finir avec elles pour de bon. L’esprit restera dans un état de liberté et d’indépendance, entièrement vide en lui-même.

Apprendre à voir au travers des choses dès qu’elles apparaissent, c’est comme avoir des petits éveils instantanés. La présence consciente devient de plus en plus lumineuse, toujours plus forte et plus vaste.

Alors, travaillez-y, développez ces instants de vision pénétrante et, quand tout se mettra en place correctement, le moment viendra où les kilesa seront tous tranchés d’un seul coup et à jamais. Quand cela se produit, c’est le nibbana. Il n’y a plus de naissance. Tant que vous n’aurez pas atteint ce stade, continuez à affûter vos outils – votre attention et votre discernement. S’ils sont mal aiguisés, ils ne pourront rien trancher. Ceci dit, quel que soit leur état actuel, coupez sans cesse tout ce que vous pourrez, petit à petit.

J’aimerais que vous continuiez à utiliser l’esprit pour examiner et comprendre tout ce qui s’y passe jusqu’au moment où tout sera absolument clair. Alors, vous pourrez tout lâcher en comprenant que rien, dans les cinq agrégats ou dans les phénomènes physiques et mentaux, n’est vous ni à vous. Continuez à essayer de lâcher prise et ce sera suffisant. A tout moment, tandis que l’on s’occupe de vous, ici, à l’hôpital, faites ce qu’il faut pour soulager votre maladie mais assurez-vous qu’il y ait, séparément, cette pleine conscience particulière de l’esprit qui s’abandonne purement et simplement. Cela mettra aussitôt fin à vos problèmes.