Le Dhamma de la Forêt


Méditation sur le souffle condensée


Upasika Kee Nanayon



Traduction de Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Beaucoup de gens sont gênés de parler de leurs propres défauts mais n’ont aucune gêne à parler des défauts des autres. Ceux qui sont prêts à admettre leurs problèmes – ces pollutions mentales qui obscurcissent leur esprit – de manière simple et directe, sont très peu nombreux. En conséquence, la maladie des pollutions mentales est tue, gardée secrète, de sorte que nous ne réalisons pas à quel point elle est grave et étendue. Nous en souffrons tous et pourtant personne ne veut en parler ouvertement. Personne n’essaie vraiment de diagnostiquer ses propres pollutions mentales…

Nous devons trouver une stratégie intelligente si nous voulons éradiquer cette maladie et nous devons pouvoir aborder le sujet ouvertement, reconnaître nos défauts, depuis le plus évident jusqu’au plus subtil, en les disséquant jusque dans leurs plus petits détails. Ce n’est qu’alors que nous bénéficierons de notre pratique. Si nous nous observons de manière superficielle, nous penserons peut-être que nous sommes très bien tels que nous sommes, que nous savons déjà tout ce que nous avons besoin de savoir. Mais quand les pollutions mentales se déchaînent sous forme de colère ou d’incompréhension, nous prétendons que tout va bien… et c’est ainsi que les pollutions mentales deviennent une maladie cachée, difficile à saisir, difficile à diagnostiquer…

Nous devons être forts pour repousser les pollutions mentales, les désirs et toutes les formes d’ignorance de la réalité. Nous devons éprouver notre force face à eux et les assujettir. Si nous pouvons les assujettir, nous pouvons les dominer. Sinon, ce sont eux qui nous domineront, qui nous mettront à la tâche, nous mèneront par le bout du nez, nous créeront des désirs et nous épuiseront de toutes sortes de manières.

Alors, sommes-nous encore des bêtes de somme ? Sommes-nous des bêtes de somme parce que les pollutions mentales nous dominent ? Ont-elles mis un anneau autour de nos naseaux ? Quand nous en arrivons au point où nous n’en pouvons plus, nous devons nous arrêter ; nous arrêter et observer les pollutions mentales pour voir comment elles apparaissent, ce qu’elles veulent, de quoi elles se nourrissent, ce qu’elles aiment. Faites-en votre passe-temps favori : regardez les pollutions mentales et affamez-les, comme une personne qui se libère d’une accoutumance… Voyez si les pollutions mentales en sont perturbées. Sont-elles affamées au point de saliver ? Alors, ne les laissez pas manger. Quoi qu’il arrive, ne les laissez pas prendre cette drogue qu’elles désirent tant. Après tout, il y a beaucoup d’autres choses à manger. C’est ainsi que vous devez être dur avec elles, dur avec ce « moi ». « Tu as faim ? Eh bien, continue à avoir faim ! Tu vas mourir ? Très bien ! Tu peux mourir ! » Si vous parvenez à maintenir cette attitude, vous serez capable de vous libérer de toutes sortes d’accoutumances, toutes sortes de pollutions mentales, parce que vous n’êtes pas esclave du désir, vous ne nourrissez pas le désir qui se délecte des choses matérielles. Il est temps que vous arrêtiez, temps que vous cessiez de nourrir ces tendances. Si elles flétrissent et meurent, laissez-les mourir ! Après tout, pourquoi voudriez-vous qu’elles restent bien grasses et bien nourries ?

Quoi qu’il en soit, vous devez maintenir la pression sur vos désirs et vos pollutions mentales jusqu’à ce qu’ils s’épuisent et disparaissent. Ne les laissez pas redresser la tête, gardez-les sous votre emprise. Telle est la pratique claire et directe que vous devez suivre. Si vous êtes persévérant, si vous menez une lutte constante jusqu’à ce que toutes les pollutions aient disparu, ce sera la plus belle des victoires ; aucune victoire ne peut se comparer à la victoire sur les désirs et les pollutions de notre esprit et de notre cœur.

C’est pourquoi le Bouddha nous a appris à traquer les pollutions mentales dans toutes nos activités, que nous soyons assis, debout, en train de marcher ou couchés. Si nous ne le faisons pas, ce sont elles qui nous traqueront dans toutes nos activités…

Si vous observez les choses attentivement, vous verrez que les enseignements du Bouddha sont tous parfaitement exacts, aussi bien quand ils nous disent d’examiner la maladie des pollutions mentales que quand ils nous disent de lâcher, de détruire et d’éliminer ces pollutions. Toutes les étapes sont là, nous n’avons donc pas à aller étudier autre part. Tous les points de son enseignement nous montrent la voie ; inutile donc de nous demander comment faire pour examiner ces maladies et les éliminer. Cela devient mystérieux et compliqué seulement si vous étudiez ces enseignements sans faire le lien avec la libération de vos propres pollutions mentales. Les gens n’aiment pas parler de leurs propres pollutions et le résultat en est qu’ils restent complètement ignorants. Ils vieillissent et meurent sans rien savoir de leurs propres pollutions mentales.

Quand nous commençons à pratiquer, quand nous commençons à comprendre comment les pollutions mentales brûlent notre cœur, c’est là que nous en venons, peu à peu, à nous connaître nous-mêmes. Comprendre la souffrance et les pollutions mentales, et apprendre comment y mettre fin, nous donne de l’espace pour respirer…

Apprendre comment éteindre les feux des pollutions mentales, comment les éliminer, signifie que nous avons des outils. Nous pouvons avoir confiance en nous : pas de doutes, pas d’hésitations sur la voie de la pratique, parce que nous sommes sûrs de voir qu’en pratiquant ainsi, en contemplant l’impermanence, la souffrance et le non-soi de cette manière, à tout moment, nous sommes vraiment débarrassés de nos pollutions mentales.

Il en va de même pour la vertu, la concentration et la sagesse. Ce sont nos outils – et nous en avons bien besoin ! Nous avons besoin de la sagesse qui vient avec la vision juste des choses, et de la vertu qui vient avec l’autodiscipline. La vertu est très importante. La vertu et la sagesse sont comme notre main droite et notre main gauche. Si une de nos mains est sale, elle ne peut pas se laver toute seule. Il nous faut les deux mains pour avoir les deux mains lavées et propres. Ainsi, là où il y a vertu, il faut qu’il y ait sagesse ; là où il y a sagesse, il faut qu’il y ait vertu. La sagesse est ce qui vous permet de prendre conscience, tandis que la vertu est ce qui vous permet de lâcher prise, d’abandonner, de détruire vos dépendances. La vertu, ce n’est pas seulement suivre cinq ou huit préceptes, vous savez. Elle doit être à l’œuvre dans les moindres détails. A chaque fois que votre discernement, votre sagesse, vous indique qu’une chose est cause de souffrance, vous devez vous arrêter, vous devez lâcher cette chose.

La vertu peut s’affiner et se préciser. Lâcher prise, abandonner, renoncer, s’abstenir, couper et détruire : tout cela est affaire de vertu. C’est la raison pour laquelle vertu et sagesse doivent aller de pair, exactement comme notre main droite et notre main gauche doivent s’entraider. Elles s’entraident à laver définitivement les pollutions mentales. C’est alors que notre esprit peut devenir centré, clair et lumineux. Les bienfaits de ce travail se manifestent au niveau de l’esprit. Si nous n’avons pas ces outils, c’est comme si nous n’avions ni mains ni pieds : nous ne pourrions arriver à rien. Nous devons utiliser ces outils, vertu et sagesse, pour détruire les pollutions mentales. C’est alors que notre esprit en bénéficiera.

C’est pour cette raison que le Bouddha nous a enseigné à nous entraîner constamment à développer la vertu, la concentration et la sagesse. Nous devons garder la forme en nous entraînant ainsi. Si nous ne maintenons pas l’entraînement comme nous le devrions, nos outils pour éradiquer la souffrance et les pollutions mentales ne seront pas aiguisés, ils ne serviront pas à grand-chose. Ils ne pourront pas se mesurer aux pollutions de l’esprit. Celles-ci ont des pouvoirs monstrueux pour dévaster l’esprit en un clin d’œil. Imaginons une situation où notre esprit est calme et neutre : le plus petit contact sensoriel peut y allumer un véritable incendie instantanément, pour peu que ce contact éveille une grande joie ou un grand mécontentement. Pourquoi ?

Les contacts sensoriels sont le moyen d’évaluer la fermeté ou la faiblesse de notre attention. La plupart du temps, ils sont perturbants. Dès qu’un contact s’établit par les yeux ou les oreilles, les pollutions mentales se précipitent. Dès lors, comment garder le contrôle de la situation ? Comment allons-nous obtenir le contrôle de nos yeux ? Comment obtenir le contrôle de nos oreilles, de notre nez, de notre langue, de notre corps et de notre mental ? Comment faire pour qu’ils soient gardés par l’attention et la sagesse ? C’est purement et simplement une question de pratique. C’est notre tâche : nous mettre à l’épreuve en voyant comment et pourquoi les pollutions mentales s’enflamment si vite quand un contact sensoriel se produit.

Imaginons, par exemple, que vous entendiez quelqu’un critiquer quelqu’un d’autre : vous l’écoutez sans être perturbé ; mais si vous réalisez soudain que c’est de vous qu’il s’agit, cela éveille un fort sentiment de « moi » et vous êtes aussitôt furieux et fâché. Si vous mobilisez beaucoup de ce « moi », vous pouvez être très indigné. Ce simple fait devrait nous permettre d’observer que, dès que notre moi est concerné, nous souffrons. C’est ainsi que cela se passe. Si aucun sentiment de « moi » n’intervient, nous pouvons rester calmes et indifférents. Quand nous entendons critiquer les autres, nous pouvons très bien rester indifférents mais, dès que nous pensons qu’il s’agit de nous, notre moi apparaît, il s’investit totalement… et nous brûlons aussitôt sous l’effet des pollutions mentales. Pourquoi ?

Nous devons étudier cela de près ; voir que, dès que notre « moi » s’éveille, la souffrance apparaît instantanément. Voyez qu’il se passe la même chose même si vous ne faites que penser : le « moi » que vous réveillez par la pensée se diffuse dans toutes sortes de problèmes. L’esprit s’éparpille partout avec les pollutions mentales, les désirs et les attachements. Il y a très peu d’attention et de discernement pour veiller sur lui, de sorte qu’il se laisse entraîner dans toutes les directions par le désir et les pollutions mentales.

Et pourtant, nous ne voyons rien. Nous croyons que nous allons très bien. Y a-t-il une personne parmi nous qui réalise ce qui se passe ? Nous sommes trop alourdis, alourdis par notre mauvaise compréhension de la réalité. Notre esprit a beau être tourmenté par la pollution de l’ignorance, nous ne le voyons pas car cette pollution nous rend sourds et aveugles…

Il n’y a pas d’outils matériels pour détecter ou soigner cette maladie des pollutions mentales parce qu’elle n’apparaît qu’avec le contact sensoriel. Elle n’a pas de substance réelle. C’est comme une allumette dans une boîte. Tant qu’elle n’est pas frottée sur le côté de la boîte, elle ne s’enflamme pas. Mais dès qu’on la frotte, elle prend feu. Si elle s’éteint tout de suite, tout ce qui aura brûlé sera la pointe de l’allumette. Si la flamme ne s’arrête pas à la pointe, elle brûlera toute l’allumette. Si elle ne s’arrête pas à l’allumette et qu’elle entre en contact avec quelque chose d’inflammable, elle peut créer un énorme incendie.

Quand une pollution apparaît dans l’esprit, elle commence au plus léger contact. Si nous parvenons à l’arrêter tout de suite, c’est comme frotter une allumette : elle s’enflamme une seconde et puis s’éteint tout de suite. La pollution mentale peut se dissiper ici même. Mais si nous ne l’éteignons pas à l’instant même où elle apparaît et que nous la laissons échafauder des problèmes, c’est comme jeter de l’huile sur le feu.

Il faut que nous observions les maladies que causent les pollutions dans notre esprit pour en connaître les symptômes et voir pourquoi elles s’enflamment aussi vite. Elles ne supportent pas d’être échauffées. Dès l’instant où vous les échauffez, elles s’enflamment. Dans ce cas, que pouvons-nous faire pour nous y préparer ? Comment emmagasiner de l’attention avant que les contacts sensoriels ne frappent ?

Pour emmagasiner de l’attention, il faut pratiquer la méditation, comme lorsque nous sommes attentifs à la respiration. C’est ce qui prépare notre attention et nous permet d’avoir une longueur d’avance sur les pollutions mentales, d’éviter qu’elles apparaissent tant que nous avons notre sujet de méditation comme protection intérieure de l’esprit.

La protection extérieure de l’esprit, c’est le corps qui se compose d’éléments physiques mais sa protection intérieure, c’est le sujet de méditation que nous utilisons pour entraîner l’attention à être concentrée et présente. Quel que soit notre sujet de méditation, c’est lui qui est la protection intérieure de l’esprit, celle qui lui évite de vagabonder, de fabriquer des pensées et des images. C’est pourquoi nous avons besoin d’un sujet de méditation. Ne laissez pas l’esprit courir après ses préoccupations comme le font les gens qui ne méditent pas. Une fois que nous avons un sujet de méditation pour piéger cet esprit vagabond, pour qu’il soit de moins en moins obstiné, il se calmera jour après jour jusqu’à pouvoir rester stable pendant des périodes de temps plus ou moins longues selon comment nous nous entraînons et nous nous observons.



Parlons maintenant de la façon de pratiquer la méditation sur le souffle. Les textes disent de commencer par inspirer et expirer longuement, fort ou légèrement ; puis d’inspirer et expirer brièvement, à nouveau fort ou légèrement. Ce sont les premières étapes de l’entraînement. Ensuite, vous n’avez plus à vous concentrer sur la longueur de l’inspiration et de l’expiration ; vous centrez simplement votre attention sur un point du parcours de la respiration et la maintenez là jusqu’à ce que l’esprit se pose et s’immobilise. Quand l’esprit est immobile, vous vous concentrez sur cette immobilité en même temps que vous restez conscient de la respiration.

A ce moment-là, vous ne vous concentrez pas directement sur la respiration. Vous vous concentrez sur l’esprit dans son état d’immobilité et de normalité. Vous vous concentrez en continu sur la normalité de l’esprit tout en étant conscient que l’air continue à entrer et sortir mais sans vous fixer dessus. Vous restez simplement attentif à votre esprit mais vous l’observez avec chaque inspiration et chaque expiration. D’habitude, quand vous avez une activité physique et que votre esprit est dans un état normal, vous pouvez très bien savoir ce que vous faites, alors pourquoi ne pourriez-vous pas être conscient de la respiration ? Après tout, elle fait partie de votre corps.

Pour certains d’entre vous, tout cela est nouveau, c’est pourquoi vous ne savez pas comment on peut se concentrer sur l’esprit dans son état de normalité avec chaque inspiration et chaque expiration sans se concentrer directement sur la respiration elle-même. Ce que nous faisons ici, c’est pratiquer comment être conscient du corps et de l’esprit en eux-mêmes et par eux-mêmes, purement et simplement…

Commencez par vous concentrer sur la respiration pendant cinq, dix ou vingt minutes. Respirez longuement ou brièvement. En même temps, remarquez les étapes par lesquelles passe l’esprit : comment il commence à s’apaiser quand l’attention est centrée sur la respiration. Il faut que vous soyez déterminé à observer cela parce que, d’ordinaire, les gens respirent machinalement sans y accorder la moindre attention. Ils ne se concentrent pas sur la respiration, ils n’en sont pas vraiment conscients. Ceci nous porte à croire qu’il est difficile de rester concentré dessus mais, en réalité, c’est très simple. Après tout, l’air entre et sort de lui-même tout naturellement. Il n’y a rien de difficile dans la respiration, contrairement à certains autres sujets de méditation. Par exemple, si vous pratiquez l’évocation du Bouddha – c’est-à-dire le mantra bouddho –, vous devez répéter boudho, boudho, boudho.

En fait, si vous le souhaitez, vous pouvez répéter bouddho intérieurement avec chaque inspiration et expiration mais seulement dans les premiers temps de la pratique. On répète bouddho pour empêcher que l’esprit ne fabrique toutes sortes de pensées. Simplement en maintenant cette répétition, on peut affaiblir les tendances de l’esprit à s’évader car l’esprit ne peut faire qu’une seule chose à la fois. C’est quelque chose que vous devez observer. La répétition permet d’empêcher l’esprit de fabriquer des pensées et de s’envoler avec elles.

Après avoir maintenu la répétition de ce mot –inutile de compter le nombre de fois – l’esprit va se calmer et prendre conscience de la respiration à chaque inspiration et chaque expiration. Il va commencer à être immobile, neutre, dans son état de normalité.

C’est alors que vous devez vous concentrer sur l’esprit au lieu de la respiration. Lâchez la respiration et concentrez-vous sur l’esprit – tout en restant conscient, en parallèle, de la respiration. Il n’est pas nécessaire de noter si la respiration est courte ou longue. Notez plutôt si l’esprit reste bien dans un état de normalité avec chaque inspiration et chaque expiration. Souvenez-vous bien de ces instructions pour pouvoir les mettre en pratique.



Concernant la posture : pour vous concentrer sur la respiration, la position assise est plus favorable que si vous êtes debout, en marche ou allongé, parce que les sensations qui accompagnent ces autres postures sont souvent plus fortes que les sensations de la respiration. Quand on marche, le corps est trop secoué ; être longtemps debout peut être épuisant et si l’esprit se pose quand on est allongé, on a tendance à s’endormir. Assis, il est possible de rester dans une même position et de garder l’esprit fermement posé pendant un long moment. On peut observer les subtilités de la respiration et de l’esprit de manière naturelle et automatique.



Je voudrais maintenant faire un condensé des étapes de la méditation sur la respiration pour montrer que les quatre tétrades mentionnées dans les textes [le Satipatthana Sutta] peuvent être pratiquées en même temps. En d’autres termes, est-il possible, au cours de la même période de méditation, de se concentrer sur le corps, les sensations, l’esprit et les objets de l’esprit ? C’est une question importante pour nous tous. Si vous le désirez, vous pouvez suivre avec précision toutes les étapes mentionnées dans les textes pour développer de forts pouvoirs d’absorption méditative (jhana), mais cela prend beaucoup de temps. Ce n’est donc pas approprié pour ceux d’entre nous qui sont âgés et n’ont plus que peu de temps disponible.

Ce qu’il nous faut, c’est une façon de regrouper notre attention sur la respiration suffisamment longtemps pour stabiliser l’esprit et puis aller directement examiner comment toutes les formations mentales sont impermanentes, sources de souffrance, et impersonnelles, de façon à voir la vérité sur toutes les formations avec chaque inspiration et chaque expiration. Si vous pouvez vous y tenir en continu, sans arrêt, votre attention va devenir assez stable et sûre pour éveiller la sagesse qui vous permettra d’acquérir la connaissance et la vision claires.

Ce qui suit est donc un guide des étapes de la pratique d’une forme condensée de méditation sur le souffle. Essayez de les suivre jusqu’à ce que vous constatiez qu’elles éveillent en vous une connaissance qui est vôtre car vous en obtiendrez inévitablement une connaissance qui vous sera propre.

Quand on s’apprête à méditer sur la respiration, la première chose à faire est de s’assoir avec le dos droit et de stabiliser son attention. Inspirez. Expirez. Faites en sorte que la respiration soit ressentie comme ouverte et détendue. Evitez toute tension dans les mains, les pieds ou les articulations. Vous devez maintenir votre corps dans une posture qui vous paraît juste pour votre respiration. Au début, inspirez et expirez longuement, assez fortement. Peu à peu, la respiration ralentira d’elle-même ; elle sera parfois forte et parfois légère – prenez-en conscience. Ensuite inspirez et expirez brièvement pendant dix à quinze minutes et puis changez.

Au bout d’un moment, quand on maintient l’attention concentrée dessus, la respiration change peu à peu. Observez ce changement pendant aussi longtemps que vous voudrez et puis prenez conscience de l’ensemble de la respiration, de toutes ses sensations subtiles. C’est la troisième étape ; la troisième étape de la première tétrade, sabba-kaya-patisamvedi : se concentrer pour voir comment la respiration affecte tout le corps en observant toutes les sensations du souffle dans toutes les parties du corps et, en particulier, les sensations liées à l’inspiration et à l’expiration.

A partir de là, vous vous concentrez sur la sensation de la respiration en un seul point, là où vous voulez. Quand vous vous concentrez ainsi pendant assez longtemps, le corps – la respiration – va peu à peu s’immobiliser complètement et l’esprit va s’apaiser. En d’autres termes, la respiration s’apaise en même temps que la conscience de la respiration. Quand les subtilités du souffle s’apaisent en même temps que votre présence attentive se renforce, la respiration devient encore plus paisible. Toutes les sensations dans le corps deviennent progressivement de plus en plus paisibles. C’est la quatrième étape : l’apaisement des formations corporelles.

Dès que cela se produit, vous commencez à prendre conscience des sentiments qui apparaissent avec l’apaisement du corps et de l’esprit. Que ce soit des sentiments de plaisir ou de joie, ils sont suffisamment clairs pour que vous les contempliez.

Les étapes par lesquelles vous êtes déjà passé – observer le souffle entrer et sortir, respirer longuement et brièvement – devraient suffire à vous faire comprendre, même si vous ne vous y êtes pas arrêté, que le souffle est changeant. Il change continuellement, passant par des respirations longues et courtes, lourdes et légères, etc. Ceci doit vous permettre de « lire » le souffle, de comprendre qu’il n’y a absolument rien de permanent en lui ; il change de lui-même d’un instant à l’autre.

Une fois que vous avez réalisé l’aspect impermanent du corps – ici, de la respiration – vous serez en mesure de voir les subtiles sensations de plaisir et de douleur dans le domaine du ressenti. A présent, nous observons donc les sensations et les ressentis qu’elles occasionnent. Nous les observons précisément là où nous nous sommes concentrés sur la respiration. Même si ce sont des sensations qui naissent de l’apaisement du corps et de l’esprit, elles sont tout de même impermanentes dans cet état d’apaisement. Elles peuvent encore changer. Ainsi, ces sensations fluctuantes dans le domaine du ressenti exposent leur impermanence d’elles-mêmes et en elles-mêmes, exactement comme la respiration.

Quand on voit le changement constant dans le corps, dans les sensations et dans l’esprit, cela s’appelle « voir le Dhamma », c’est-à-dire voir l’impermanence. Il faut comprendre cela correctement. La pratique de la première tétrade de la méditation sur la respiration contient toutes les quatre tétrades. Autrement dit, vous voyez l’impermanence du corps, puis vous contemplez les sensations. Vous voyez l’impermanence des sensations, puis vous contemplez l’esprit. L’esprit, lui aussi, est impermanent. Cette impermanence de l’esprit est le Dhamma. Voir le Dhamma, c’est voir cette impermanence.

Quand vous voyez la véritable nature de tout ce qui est impermanent, continuez à suivre cette impermanence à tout moment, avec chaque inspiration et chaque expiration. Maintenez cette observation dans toutes vos activités pour voir ce qui se passe après.

Ce qui se passe après, c’est l’abandon de l’attirance pour les choses, le lâcher-prise. Voilà une chose dont vous devez faire vous-même l’expérience.

Voilà à quoi ressemble la méditation sur la respiration dans sa forme condensée. Je l’appelle « condensée » parce qu’elle contient toutes les étapes en même temps. Vous n’êtes pas obligé d’avancer un pas après l’autre. Concentrez-vous simplement sur un point, le corps, et vous verrez l’impermanence du corps. Quand vous voyez clairement l’impermanence du corps, vous verrez forcément les sensations, et les sensations vous montreront nécessairement leur impermanence. La sensibilité de l’esprit aux sensations, comme ses pensées et ses fabrications imaginaires, sont également impermanentes. Toutes ces choses ne cessent de changer. Voilà comment vous prenez conscience de la réalité de l’impermanence de tous les phénomènes.

Si vous pouvez développer une certaine facilité à observer et à découvrir les choses ainsi, vous allez être frappé par l’impermanence, la souffrance et l’impersonnalité de votre « moi ». C’est alors que vous rencontrerez le Dhamma authentique. Le Dhamma qui change constamment comme un feu brûlant – attisé par l’impermanence, la souffrance et le non-soi – est le Dhamma de l’impermanence de tous les phénomènes. Mais plus en profondeur, dans l’esprit ou dans les replis de la conscience, il y a quelque chose de spécial qu’aucun feu ne peut atteindre. Là, il n’y a aucune souffrance, de quelque type que ce soit.

On dit que cette chose est « à l’intérieur ». On pourrait dire qu’elle est contenue dans l’esprit mais elle n’est pas vraiment dans l’esprit. C’est simplement que le contact se fait là, au niveau de l’esprit. Il n’y a aucun moyen de décrire cette « chose ». Seule l’extinction de toutes les pollutions mentales vous conduira à la connaître par vous-même.

Ce quelque chose de spécial à l’intérieur existe de par sa nature même mais les pollutions l’entourent de toutes parts. Toutes ces choses surfaites, ces pollutions mentales, ne cessent de bloquer son chemin et s’emparent de tout, de sorte que cette nature spéciale reste toujours emprisonnée.

En réalité, il n’y a rien dans la dimension temporelle qui puisse lui être comparé. Rien qui permette de lui donner un nom. Mais c’est quelque chose que vous pouvez découvrir : vous pouvez passer au travers des pollutions, du désir et de l’attachement et atteindre l’état d’esprit qui est pur, lumineux et silencieux. C’est là tout ce qui importe.

Mais il n’y a pas qu’un seul niveau. Il y a de nombreux niveaux, depuis l’écorce extérieure jusqu’à l’écorce intérieure et puis l’aubier, et enfin on atteint le cœur du bois. Le Dhamma authentique est comme le cœur du bois mais, dans l’esprit, il y a beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec le cœur du bois : les racines, les branches et les feuilles de l’arbre sont plus que nombreuses, alors qu’il n’y a que peu de cœur du bois. Les parties qui ne sont pas le cœur du bois vont peu à peu s’affaiblir et se décomposer mais le cœur du bois ne se décompose pas. Voilà une forme de comparaison que l’on peut faire. C’est comme un arbre qui meurt debout. Les feuilles tombent, les branches pourrissent, l’écorce et l’aubier pourrissent et il ne reste rien que le véritable cœur de l’arbre. C’est une comparaison que l’on peut faire avec ce que l’on appelle « l’au-delà de la mort », cette chose qui ne connaît ni naissance, ni mort, ni changement. On peut aussi l’appeler Nibbana ou l’Inconditionné. C’est tout pareil.

Alors, n’est-ce pas quelque chose qui vaut la peine que l’on avance pour le découvrir ?