Le Dhamma de la Forêt


La joie, la pureté et la paix

Ayya Khema

Extrait du livre sur Ayya Khema à paraître chez Sully en octobre 2015

Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Joie, pureté et paix sont trois qualités que l’on trouve chez un Éveillé, un Arahant. La joie, c’est l’absence de dukkha ou souffrance; la pureté, c’est l’absence de pollutions mentales ; et la paix, c’est l’absence de peur. Il est évident que ces trois attributs sont extrêmement souhaitables car ils sont porteurs de bonheur. Quand on pense que ces qualités sont des caractéristiques de l’Arahant, on peut se dire : « C’est tellement loin de moi, comment puis-je ne serait-ce qu’aspirer à cela ? » On peut avoir la conviction que c’est trop immense pour imaginer pouvoir l’atteindre soi-même.

Nous savons tous ce que l’on ressent quand on a du chagrin et que l’on souffre. Nous sommes également conscients que notre esprit est comme pollué quand nous sommes furieux, inquiets, angoissés, envieux ou jaloux. Et nous savons tous ce que signifie avoir peur, qu’il s’agisse de la peur de la mort (la nôtre ou celle d’un proche), la peur de ne pas être aimé, apprécié ou accepté, la peur de ne pas atteindre ses objectifs, ou encore la peur de se ridiculiser.

Mais nous pouvons également connaître l’opposé de ces trois états d’esprit. Les graines de la joie, de la pureté et de la paix sont en nous, sinon l’Éveil serait un mythe. Ainsi, lors d’une méditation, si la concentration est vraiment profonde, dukkha ne peut pas apparaître. Il n’y a que ce point de concentration, de sorte qu’aucun état négatif ne peut pénétrer l’esprit. En effet, celui-ci peut être soit perturbé soit concentré mais pas les deux ensemble – ce qui est merveilleux, même quand cela ne dure qu’un instant. Et il ne peut pas non plus y avoir de peur car, dans un tel moment, on se sent parfaitement bien. Lorsque nous générons régulièrement de tels moments de joie, de pureté et de paix, ils font de plus en plus partie de nous-mêmes et nous pouvons les retrouver à volonté.

Le simple fait de nous souvenir que c’est possible et d’essayer d’éveiller un peu de ces ressentis permet à ces qualités de s’enraciner progressivement en nous. Voyez comment fonctionne une personne qui craint de ne pas être acceptée, qui a peur de l’échec ou qui est peu sûre d’elle : elle n’aura pas besoin de se souvenir de ses peurs pour réagir toujours selon le même schéma. Eh bien, les états d’esprit libérés s’installent en nous de la même manière.

Chaque moment de concentration en méditation est un moment où l’esprit est pur, sans souffrance et sans peur. C’est une expérience que nous devons reproduire encore et encore. Nous renforcerons ainsi nos états d’esprit libérés et, en nous les remémorant, nous pouvons les garder présents en nous et agir en conséquence en toutes circonstances, ordinaires ou difficiles. L’esprit n’est pas tout le temps obscurci par des états mentaux négatifs. Il y a des moments plus calmes où seule la bienveillance (mettā) est présente : pas de désirs sensoriels, simplement la générosité et le renoncement.

Les désirs sensoriels génèrent l’avidité tandis que le renoncement signifie abandon et don. Quand on donne, on ne désire rien – à moins d’attendre congratulations et remerciements. Mais si l’on donne sans arrière-pensée, c’est un instant de pureté pour l’esprit. Il en va de même pour la bienveillance, la compassion et l’entraide qui sont le contraire de l’avidité et de l’égoïsme.

Quand nous n’avons pas de doute, que nous sommes absolument sûrs de ce que nous faisons – et cela arrive certainement – nous connaissons des moments de grande pureté. Ne pas avoir de soucis ni d’agitation contribue également à notre liberté : aucun désir d’aller quelque part ou de faire quelque chose ; aucune inquiétude pour ce qui a été fait ou qui n’a pas été achevé dans le passé – ce qui est absurde, de toute façon, quand on réalise que, d’ici un an ou même un mois, cela n’aura plus aucune importance pour personne et en particulier pour nous.

Nous connaissons tous des moments où nous sommes libres de dukkha. Quand ils surviennent, nous sommes purs, sans défauts, sans souffrance et sans peur. Nous nous sentons détendus et en paix, ce qui est d’autant plus appréciable que c’est rare dans ce monde où tant de dangers menacent notre désir de survie et nous accompagnent en permanence. Mais quand nous sommes pleinement habités par des états d’esprit purifiés, la peur n’a aucune chance de surgir.

Tout au long de notre chemin vers « l’au-delà de la mort », nous devons générer de tels moments et les revivre continuellement. Nous pouvons nous délecter de ces états d’esprit, nous réjouir de savoir qu’ils sont à notre portée. Vouloir faire revivre encore et encore ces sentiments de liberté est une tendance naturelle qui nous permet de rester sur la voie de la cessation de la souffrance.

La concentration en méditation apporte avec elle tranquillité et joie, ce qui montre, de manière certaine, que ces états ne sont pas liés à des circonstances extérieures. Ce sont simplement des facteurs de l’esprit qui nous ouvrent la porte de la liberté. Mais nous ne pouvons pas les développer correctement si nous les négligeons pendant les heures que nous ne passons pas en méditation. Nous devons donc veiller en permanence sur notre esprit et le protéger des pensées néfastes.

Quand nous faisons l’expérience de ces moments où l’esprit est libéré, nous ne devons pas croire qu’ils sont un cadeau venu de l’extérieur. Tout comme nous ne pouvons pas accuser un événement extérieur d’avoir perturbé notre esprit, nous ne devons pas croire qu’un moment de paix a été généré par les circonstances extérieures. Les événements extérieurs sont tout à fait imprévisibles et hors de notre contrôle. Dépendre de quelque chose d’aussi incertain serait stupide. Notre pratique consiste à générer des états d’esprit sains et positifs qui ouvrent la voie à une méditation bénéfique et nous font avancer vers la libération. Quand l’esprit n’est pas obscurci par des pensées néfastes et obsessionnelles, quand il est clair et paisible, simplement attentif, le bonheur et la paix apparaissent. Ces moments, même de courte durée, sont comme une lumière au bout d’un tunnel noir et suffoquant qui semblait sans fin car, dans l’obscurité, nous n’en distinguions pas la longueur. Mais si nous sommes capables de développer ces moments particuliers et de les apprécier à leur juste valeur, la lumière jaillit et nous voyons que ce tunnel a une fin. Cela génère de la joie dans notre cœur, ce qui est d’une grande aide pour la pratique.

Le Bouddha a enseigné une voie équilibrée : d’une part, voir la réalité telle qu’elle est, c’est-à-dire reconnaître que dukkha est inévitable ; et, d’autre part, se réjouir de savoir qu’il est possible de mettre un terme à la souffrance. Si nous sommes submergés par le chagrin et croyons que la souffrance est la seule réalité, nos actions et nos réactions seront nécessairement le produit de cette attitude. Être opprimés par dukkha ne nous aidera certainement pas à avoir de belles méditations et une vie harmonieuse. D’un autre côté, si nous essayons de nier dukkha et de le refouler, nous ne regardons pas la réalité en face. Mais si nous voyons dukkha comme une caractéristique universelle, tout en sachant que nous pouvons faire quelque chose pour y mettre fin, alors nous maintenons l'équilibre des choses. Nous avons besoin de cet équilibre pour que notre méditation aboutisse.