Le Dhamma de la Forêt


La paix qui est en nous

Ajahn Liem

Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/



Enseignement donné par Ajahn Liem, le successeur d’Ajahn Chah au monastère Wat Nong Pah Pong,
le 13 septembre 1988, pendant la Retraite des pluies.


Seconde partie


Moi aussi, selon la tradition, j’ai commencé par une courte période d’entraînement au Dhamma et à la discipline monastique. Mais la pratique de la méditation m’a vite permis de découvrir sa richesse. Pour autant, je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Je ne voyais aucun signe de paix ni de bonheur. Tout ce que je voyais, c’était le chaos et la frustration, sans aucune sensation de paix ou de tranquillité intérieure. Quand je m’asseyais en méditation, j’avais l’impression d’être dans un endroit extrêmement dangereux ; je n’arrivais pas à comprendre ce que je ressentais, aussi bien assis que debout. C’était un véritable supplice. Pourtant, j’étais persuadé que le Bouddha n’avait pas enseigné par intérêt personnel, qu’il n’avait enseigné que des choses dont il avait lui-même fait l’expérience. Alors, j’ai fait l’effort de prendre une résolution. Je me suis dit : « Quoi qu’il y ait à faire aujourd’hui, je le ferai. » Quoi qu’il y ait à faire au jour le jour, selon l’heure et les circonstances, c’est ce qu’il faut faire.

En fin de compte, mes premières tentatives ne m’ont conduit nulle part. Je ne savais pas ce que je faisais, de sorte que mes efforts ne portaient pas de fruits. Je pratiquais comme un négociant sans qualifications, « qui a deux mains gauches », comme on dit dans notre région de l’Isan, et qui n’utilise que la force brute. Je me contentais de faire de gros efforts sans savoir si je réussirais ou pas. À l’heure de la méditation assise, je m’asseyais mais je ne trouvais aucune paix en moi ; je ne voyais que du chaos et de vieux souvenirs ; des images et des pensées qui affluaient dans mon esprit. Parfois, dans ces moments-là, le désir me poussait à développer des systèmes et des projets, comme si je devais planifier comment arriver à ceci ou cela. Un instant, j’étais en train de développer une idée, et l’instant d’après, elle s’écroulait et se désintégrait. Voilà l’impression que j’avais. Si jamais je me saisissais de l’une de ces pensées, la prolifération mentale se poursuivait inlassablement, nuit et jour. Mais je continuais à faire l’effort de pratiquer. Même s’il ne devait y avoir aucun résultat, je me sentais obligé de continuer à essayer, à persévérer avec patience et endurance. C’est à ce stade-là qu’il faut creuser pour trouver le trésor. Mais si, après avoir creusé, on ne trouve que de la terre sèche et aucun signe d’un trésor, la terre paraît bien dure, sans compter les rochers… et on peut se décourager. Mais je continuais à essayer. Parfois toutes sortes d’obstacles et de souvenirs me faisaient penser que j’étais un cas désespéré et que je n’arriverais à rien, assis là comme un idiot, sans attention, à me demander à quoi tout cela servait. Mais, malgré tout, je persévérais. Et quand je regardais en arrière, que je voyais tous les efforts déjà accumulés, cela devenait une source d’inspiration de plus en plus grande.

En méditation assise, ne sachant plus quoi utiliser pour me concentrer, j’allumais une bougie et je fixais mon regard dessus. Au début, ce n’était pas une bougie très longue, juste une de ces bougies blanches ordinaires que les gens offrent quand ils viennent au monastère. C’était mon objet d’attention : je restais assis là jusqu’à ce qu’elle soit complètement consumée. Je ne m’asseyais pas dans un courant d’air. J’allumais la bougie dans un endroit où il n’y avait pas un souffle de vent, où la flamme pouvait s’élever bien droite. Assis, je regardais la flamme et, pour éloigner toutes les distractions et les images du passé, je réfléchissais ainsi : « Qu’est-ce qui cause cette flamme ? » Je regardais la flamme et le halo autour d’elle. Je regardais et je songeais : « Cette flamme a un combustible, c’est pour cela qu’elle s’allume… sans combustible elle ne s’allumerait pas. » Je prenais le feu et la perception de la flamme comme objets de méditation. Cela me permettait d’éliminer les pensées du passé et m’aidait à ancrer ma conscience dans le présent. J’ai fait de gros efforts dans cette pratique, aussi bien le jour que la nuit. Dès que j’en avais le temps et que je n’avais pas d’obligations extérieures à remplir, je m’entraînais ainsi, pendant quatre ou cinq jours d’affilée – mais c’était beaucoup de souffrance. Parfois certains sentiments apparaissaient, imprégnés de pollutions mentales et d’avidité, et il me semblait que je n’en verrais jamais la fin. Je ne savais pas d’où venaient tous ces désirs. Il y en avait tellement, tellement de choses à endurer, c’était comme une énorme montagne qui m’écrasait et me réduisait en poussière. Il n’y avait pas d’issue, aucun moyen d’y échapper. Observer tout cela ne faisait qu’éveiller la souffrance ; que je sois assis, debout ou allongé, la souffrance était là. Mais j’ai tenu bon en m’appuyant sur le principe que le Bouddha n’avait pas pu mentir et en me souvenant que mon maître encourageait cette pratique. J’ai donc poursuivi sans voir la moindre piste qui puisse me sortir de ce tunnel, en persévérant tout simplement. Un jour, je suis arrivé à un point où j’ai senti que les obstructions et les distractions s’étaient calmées et un peu apaisées. De temps en temps je parvenais à avoir un peu de recul sur moi-même. Je pouvais percevoir un certain degré de paix intérieure. Bien que l’objet de samādhi ne fût encore ni constant ni régulièrement présent, il apparaissait parfois comme un scintillement lointain lorsque la conscience de moi-même était assez claire pour que la paix s’installe. Je continuais à pratiquer. À ce stade, j’avais quelques outils pour dépasser les différents obstacles qui se présentaient. J’avais aussi un bon maître qui donnait des instructions et qui enseignait en montrant l’exemple, de sorte que tous ces obstacles n’étaient pas trop envahissants.

C’est ainsi que j’ai poursuivi ma pratique. Après les méditations de groupe, je retournais à mon kouti et je continuais à m’entraîner à ma manière. J’utilisais tous les moyens possibles pour faire naître la tranquillité intérieure et la paix. Dans ces périodes de lutte, tandis que je me battais contre les proliférations mentales, j’utilisais comme arme tout ce qui pouvait m’aider à survivre. Si, parmi toutes les réflexions et les contemplations que nous lisions ou psalmodions ensemble, certaines éveillaient en moi une réaction ou une autre, je focalisais ma méditation sur cette réaction. Je pratiquais pour atteindre la paix mais aussi pour avoir une vision profonde et pénétrante. Là où se trouve notre travail d’étude et d’investigation se trouve aussi le travail de contemplation pour développer la vision pénétrante. Ainsi, je pratiquais avec diligence tout ce qui pouvait m’aider à renforcer un sentiment de présence et de conscience. Mais j’étais encore conscient de certains obstacles comme, par exemple, les différents ressentis qui apparaissent dans les petites choses – comme dans le fait de manger. Même des points mineurs comme celui-ci peuvent être difficiles à régler. À cette époque-là, chaque moine recevait une portion égale de chaque plat de nourriture ; ainsi nous n’avions pas l’occasion de suivre nos préférences ou nos désirs. Cette façon de faire était de rigueur parce qu’il y avait peu de moines et de novices, et que la nourriture n’était pas très abondante. D’ailleurs, c’est ce que prescrit la règle monastique concernant la distribution de nourriture. Mais aujourd’hui il est clair que la nourriture offerte est suffisante pour que chacun fasse ses choix. La limite, alors, consiste à ne prendre que la juste quantité nécessaire. C’est un art appelé bhojane mattaññuta, qui est difficile à maîtriser. Plusieurs d’entre nous qui pratiquent cette méthode depuis longtemps n’y arrivent toujours pas parfaitement. Nous devrions considérer que nous mangeons simplement pour donner au corps le soutien dont il a besoin pour vivre un jour de plus. Il est ridicule de s’attacher à dire qu’un plat est bon, qu’un autre est mauvais, que celui-ci est raffiné tandis que tel autre est grossier, ou même de considérer ce que nous mangeons comme de la nourriture. C’est simplement un nutriment pour le corps, pour qu’il reste fonctionnel et utile. Il n’y a aucune raison pour que la nourriture devienne un problème ; ce n’est pas un sujet dont nous devrions nous préoccuper. Et il est futile de s’inquiéter que le corps devienne comme ceci ou comme cela. Inutile de nous encombrer de tels soucis. Nous ne devons pas considérer que ce corps nous appartient. C’est simplement un état de la nature, une manifestation de la forme matérielle, rien de plus. Même si on nourrissait le corps en satisfaisant tous ses désirs, il finirait inévitablement par disparaître. Cela, nous pouvons tous le constater. Pourtant des questions secondaires comme celle-ci demeurent délicates ; il ne faut pas croire qu’elles soient faciles à régler.

À ce moment-là, je continuais à croire qu’un certain type de nourriture était bon et qu’un autre ne l’était pas, qu’un certain type de nourriture me convenait et qu’un autre ne me convenait pas, et ces pensées refusaient de se calmer. C’était encore un souci, encore un obstacle, même si cela n’aurait pas dû être. Nous devrions nous intéresser à des choses plus profondes, plus importantes que cela. Ce sujet ne concerne que les éléments matériels grossiers, rien de plus. Ce n’est pas un problème grave mais il reste difficile à dominer. Savoir se modérer en mangeant, c’est ne pas permettre que la nourriture devienne une cause de souci. Nous consommons ce que l’on nous donne, de manière simple et ordonnée, et nous faisons en sorte de ne pas être une charge pour ceux qui nous offrent la nourriture. Si nous choisissons ce que nous mangeons, nous devons être attentifs à nous servir une quantité juste, qui convient à notre corps. C’est quelque chose que nous devons tous essayer de faire.

Tandis que je travaillais à renforcer mon attitude par rapport à cette question extérieure, ma prise de conscience intérieure s’affinait de plus en plus. J’ai alors essayé de développer cette conscience affinée et d’en profiter au maximum pour filtrer toujours davantage mes différents ressentis. Ceux-ci continuaient à se présenter et je les pesais et les évaluais tout le temps. Pendant que je mangeais, quelles sensations me dérangeaient ? Avant de manger, quels sentiments m’irritaient et interféraient ? Toutes ces perturbations n’étaient que des vedana, des ressentis agréables ou désagréables. Les sensations désagréables de faim et de soif se manifestaient sous plusieurs formes. Parfois des ressentis agréables ou désagréables qui exprimaient des états physiques satisfaits ou insatisfaits s’imposaient à mon attention. Des sentiments d’aimer et de ne pas aimer : « Ceci est agréable », « Cela n’est pas agréable ». Sachant cela, Ajahn Chah nous demandait de contempler un ressenti désagréable. Ce que l’on ressent avant de manger : à quoi cela ressemble-t-il ? C’est une sensation désagréable : on a faim, on a soif, on n’est que désir. Pourtant il faut avoir de la patience, de la tolérance, et se contenir jusqu’à l’heure de manger.

Quand c’était presque l’heure, nous devions commencer par contempler la nourriture. Nous ne séparions pas les différents mets dans des plats différents ; tout était mélangé dans notre bol. Le fait de tout amalgamer ainsi avait pour but de décourager tout sentiment de « c’est bon », « ce n’est pas très bon » ou « ce n’est pas bon du tout ». Tous les aliments devaient être mélangés. Nous contemplions alors la nature dégoûtante de la nourriture pour nous débarrasser du plaisir, du sentiment de n’en avoir pas eu assez ou d’une insatisfaction pour ce que l’on a ou ce que l’on a reçu. Je contemplais ainsi pour conquérir les sensations de faim, de soif et de désir car celles-ci sont des exigences qui font obstacle à l’état de paix. Ensuite, pendant que nous mangions, Ajahn Chah nous demandait de continuer à contempler et à observer. Naturellement, quand on mange, on recherche des saveurs agréables dans sa nourriture ; on recherche la saveur que l’on aime, celle qui va nous satisfaire. Si on n’est pas satisfait, le sucré n’est pas bon, le salé n’est pas bon et l’acide n’est pas bon non plus – c’est ainsi. Ensuite, quand on a fini de manger, le processus continue : une sensation agréable apparaît, une bonne humeur apparaît, qui viennent recouvrir les précédents ressentis déplaisants. C’est comme lorsqu’on change de posture : le changement nous fait oublier les sensations désagréables du corps. Si on ne change pas de posture, le corps souffre. Il en va de même pour les états d’esprit heureux et malheureux : ils changent constamment et se camouflent mutuellement. Ainsi, la faim et la soif dissimulent une sensation agréable et une sensation agréable dissimule une sensation désagréable. Ressentis et humeurs montent et descendent constamment, chacun empêchant la vraie nature de l’autre de se révéler.

 J’ai pratiqué ainsi, en observant toujours mes ressentis de très près. Cette observation constante de moi-même avec la plus grande attention était le point central de mon étude et de ma pratique. Je voyais que bonheur et souffrance étaient de simples vedana, des sentiments ou des sensations – l’un des cinq khanda qui constituent l’illusion du « moi ». C’est ainsi que j’ai observé ma relation à ces ressentis. Si on s’engage à considérer les ressentis de cette manière, on ne devient pas esclave du désir, esclave de l’avidité. On est capable d’accepter aussi bien le gain que la perte, ainsi que les états d’esprit et les sentiments engendrés par le gain et la perte. On ne se réjouit pas des objets mentaux qui apparaissent, on ne leur accorde pas d’importance, et on n’est pas non plus effrayé ou gêné par eux. Ces pensées et ces sentiments diminuent, s’atténuent et il devient possible de les abandonner. De même que, lorsque les nuages s’effilochent dans le ciel, le soleil brille plus fort, le cœur devient de plus en plus rayonnant et joyeux. C’est comme si on avait écarté l’obscurité de son esprit et éliminé l’impureté de son cœur.

Nous devons appliquer cette pratique à notre vie de tous les jours, jusqu’à notre façon de dormir et d’être éveillés. Nous engageons toute notre présence consciente à notre état de sommeil et à notre état de veille. Nous nous y engageons avec le sentiment de savoir ce que nous faisons, pas sans conscience. Cette attitude va engendrer ensuite le sentiment que l’on voit les choses telles qu’elles sont réellement. Quoi qu’il se produise, on en voit la vérité. Cette vérité pointe vers les tilakkhana, les Trois Caractéristiques. La vérité de toute chose est regroupée dans ces Trois Caractéristiques qui sont constantes du début jusqu’à la fin. Tout ce qui est conditionné existe au sein de ces caractéristiques universelles que vous connaissez probablement. La première est anicca : toute chose existe dans un état qui est impermanent, qui ne dure pas, qui est soumis au changement. C’est ainsi. Tout doit subir un changement. Nous prenons anicca comme le fondement de vipassana. C’est ce fondement qui va corriger notre vision erronée des choses. Par conséquent, nous devons lui accorder toute notre attention.

On peut traduire le mot anicca par « incertain, instable et impermanent ». Qu’il s’agisse du bonheur, du malheur, de la réussite ou de l’échec, si nous nous engageons dans quelque chose, poussés par la convoitise, nous ne pouvons que souffrir. Nous savons tous ce qu’est la souffrance. La souffrance est inconfortable et l’inconfort est le résultat du désir. Le désir vient d’un sentiment de manque. Le manque, la soif, ne pas se sentir pleinement satisfait, ne jamais avoir assez – le Bouddha a appelé tout cela tanha, la soif du désir. Ne pas savoir quand c’est suffisant, ne pas sentir la satisfaction, voilà une source de souffrance. Nous devenons esclaves de nos humeurs et de nos ressentis, esclaves des objets mentaux agréables et désagréables qui apparaissent continuellement selon les causes et les conditions présentes. C’est une question que nous devons essayer de comprendre. Nous devons approfondir autant que possible les Trois Caractéristiques ; étudier anicca, l’instabilité, aussi bien des éléments matériels que des phénomènes immatériels. Quels que soient les objets mentaux qui apparaissent, le Bouddha a recommandé que nous les examinions à partir d’anicca. C’est une épée qui tranche tous les ennemis et les obstacles qui se présentent. Elle devrait donc toujours être avec nous, prête à servir.

Si nous rencontrons des états de dukkha, de mal-être, sous l’influence de la convoitise, nous souffrons ; tandis que si nous y faisons face avec la force de la connaissance vraie, il n’y a pas de souffrance. La grande majorité des gens fonctionnent sous l’influence de la convoitise, c’est pourquoi ils souffrent.

Anicca se traduit par « instabilité » ; dukkha représente tout ce qui est difficile à supporter ; et anatta signifie « ne pas constituer un ‘moi’ ». Cette compréhension des choses doit être à la base de notre pratique. Tout est incertain et, que les choses soient agréables ou désagréables, elles sont sans identité, sans ‘moi’ – elles sont anattadhamma. Nous devons accorder nos ressentis à ces caractéristiques. Ainsi, rien ne pourra créer en nous panique, chaos ou confusion.

Pour que la connaissance directe apparaisse, il faut qu’elle soit basée sur les Trois Caractéristiques. Si notre vision des choses doit devenir la vision juste, il faut qu’elle s’appuie sur les Trois Caractéristiques. Sans l’aide de cet outil fondamental, il est difficile d’y parvenir. C’est pourquoi le Bouddha nous a recommandé de le garder à portée de main quand nous méditons.

Cet outil est pour les pratiquants du Dhamma, pas pour les gens dans le monde. Il doit être utilisé par ceux qui pratiquent pour détruire tout ce qui fait obstacle à la paix et à la liberté. Ce n’est pas quelque chose que les personnes orientées vers le monde peuvent utiliser. Ces personnes ne fonctionnent pas ainsi. Elles ne font pas ce qu’elles font pour atteindre santi ; tout ce qu’elles essaient d’obtenir, c’est ce que le monde considère comme le bonheur. Voilà ce qu’elles veulent, tandis que santi, que le Bouddha a atteint, détruit la racine du bonheur du monde. Le Bouddha a dit que c’est la voie qui permet d’accéder à la vision juste. Par conséquent, tandis que nous avançons sur la voie de la pratique, nous devons faire preuve d’une grande patience.

Je me sens très à l’aise quand je vis seul, dans la tranquillité intérieure. Il n’y a rien qui m’attache, rien qui occasionne un souci. C’est très différent de ce que ressentent la plupart des gens. C’est un sentiment de solitude paisible en soi. C’est comme une personne qui ne serait ni malade ni indisposée, libre de toute tension et de toute préoccupation. Quelqu’un de malade, qu’il soit couché, debout, assis ou en train de marcher, est toujours inquiet ; il a peur d’être en danger de mort. Mais si on n’est ni inquiet ni soucieux pour sa santé, on est calme et détendu. Il y a donc une différence que j’illustre ici par une comparaison : d’un côté, nous avons une personne qui n’a aucune inquiétude à propos de quoi que ce soit ; et d’un autre côté, nous avons une personne malade qui s’inquiète et s’angoisse, qui ne pense qu’à sa maladie, même si on lui parle de choses agréables et intéressantes.

Comme nous avons tous encore une tâche à accomplir, nous devons faire l’effort de pratiquer ensemble. Nous devons faire toujours plus d’effort pour mener à bien notre vie de samana – littéralement, « celui qui est en paix ». Nous pratiquons ensemble depuis quelque temps déjà, assez longtemps pour que chacun soit conscient de ce qu’il doit travailler. Mais il reste encore beaucoup à faire, la tâche n’est pas légère. Quand on fait du ménage, plus les choses sont propres plus on voit la saleté. Dans notre pratique, plus la paix augmente, plus on est conscient de toutes sortes de dangers dans tous les coins. C’est ainsi.

Voilà ce que signifie le mot « bhikkhu » : celui qui voit le danger dans le cycle des renaissances. Celui qui est conscient du danger peut y échapper ; celui qui n’en est pas conscient est incapable de l’éviter. Si on a cette attitude, on devient de plus en plus détaché des passions du monde sans pour autant être déçu. On voit simplement que c’est ainsi que les choses doivent être.

L’eau propre contient naturellement encore beaucoup d’impuretés. Dans de l’eau propre et claire, on peut voir toutes les particules de poussière, aussi minuscules soient-elles. De même, tant que nos ressentis sont grossiers, notre regard sur les choses l’est aussi. Mais si nos ressentis s’affinent, notre vision devient plus claire et plus fine jusqu’au moment où l’attention vigilante est toujours présente au point que la saleté ne peut plus interférer avec la propreté. La propreté existe en tant que propreté, la saleté existe en tant que saleté. Elles sont séparées. La propreté n’est pas présente dans la saleté et la saleté n’est pas présente dans la propreté. C’est exactement la même chose. Dans la paix intérieure il n’y a aucune forme de perturbation, de sorte que tous les états de perturbation arrivent à leur fin. Du point de vue d’une personne qui vit dans le monde, il y a toujours forcément des perturbations. Mais du point de vue de celui qui est intériorisé et en paix, il n’y a aucune trace de perturbation. De même, une personne dont le cœur et l’esprit sont débarrassés de tout fardeau n’a plus rien qui pèsera sur elle. Quand aucun souci n’étreint l’esprit et le cœur, un sentiment d’ouverture spacieuse et de liberté apparaît.

Voilà quelque chose que nous devons pratiquer, à quoi nous devons nous entraîner pour que cet état de paix devienne une réalité. S’il y a des obstacles, nous les acceptons simplement en nous souvenant qu’il y a toujours des difficultés avec ce qui est nouveau. C’est comme lorsqu’on a un nouveau vêtement de moine, par exemple : quand la robe vient juste d’être teinte et que la teinture n’a pas encore bien pris, si on fait une tâche ou on renverse quelque chose dessus accidentellement, elle restera marquée. Il en va de même pour notre pratique : nous devons filtrer et nettoyer le cœur et l’esprit pour faire ressortir leur pureté. Nous devons travailler dur pour leur assurer un état de paix. Alors, tout le temps que nous y aurons consacré aura été bien utilisé et nous aura permis d’obtenir ce que nous espérions. Nous pratiquons selon ces enseignements pour développer le bien et pour que notre vie avance sur la voie juste. Nous progresserons alors sur un chemin lisse et droit, libre de tout mal et de tout danger. Par voie de conséquence, notre vie sera récompensée par santi, la paix et la tranquillité intérieure.

Puisse chacun de vous, qui avez pris la résolution de poursuivre cette pratique, être ferme dans sa détermination et dans ses efforts.