Le Dhamma de la Forêt


Biographie d'Ajahn Paññavaddho

par Jason Chang


Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/


Ajahn Pannavaddho

Pendant 41 ans, le Vénérable Paññavaddho fut le plus ancien moine occidental à suivre la voie de pratique d’Ajahn Mun. Ajahn Panya, comme on l’appelait, était un homme intellectuellement brillant qui, grâce à ses efforts en méditation, réussit à établir en lui-même une solide fondation spirituelle. Tout en faisant preuve d’un total dévouement en enseignant le Dhamma d’Ajahn Mun à ses nombreux disciples, sa présence forte et paisible toucha la vie de très nombreuses personnes. Il devint un pionnier du Sangha occidental et ses instructions encouragèrent un nombre incalculable de moines et de laïcs à pratiquer les enseignements d’Ajahn Mun. Quant à ses traductions et interprétations des enseignements d’Ajahn Maha Boowa, elles ont introduit des générations de bouddhistes à la Tradition de la Forêt thaïlandaise.

Ajahn Panya est né sous le nom de Peter John Morgan, de parents gallois, le 19 octobre 1925, dans l’état de Mysore, au sud de l’Inde où son père était en poste en tant qu’ingénieur des mines. A l’âge de 7 ans, ses parents l’envoyèrent commencer sa scolarité en Grande-Bretagne. Il vécut au pays de Galles, chez ses grands-parents, jusqu’au retour du reste de la famille, quelques années plus tard.

Sa famille s’installa dans les Midlands où il termina l’école primaire mais la Seconde Guerre mondiale les obligea à déménager souvent avant que le jeune Peter ne termine ses études secondaires. Vers l’âge de 15 ans, Peter contracta une forme de tuberculose au pied droit, probablement en buvant du lait de vaches malades. Il suivit plusieurs traitements qui restèrent sans effet ; il fallut alors l’opérer pour lui retirer l’os infecté, en conséquence de quoi, les os de la cheville fusionnèrent. Cela lui valut un handicap à vie qui s’avéra pourtant, dans un sens, être une bénédiction. En effet, il fut réformé pendant la guerre et évita ainsi de se créer beaucoup de mauvais karma. Peter fut alors libre de poursuivre ses études à la Faraday House de Londres d’où il sortit avec un diplôme d’ingénieur en électricité à la fin de la guerre.

Il partit aussitôt pour l’Inde où il passa deux années à travailler comme ingénieur en électricité dans les mines d’or du Kolar. A son retour en Angleterre, il poursuivit cette carrière pendant 7 ans, d’abord à Stafford puis à Londres. C’est à cette période de sa vie qu’il commença à s’intéresser beaucoup au bouddhisme. Il commença à réfléchir à la valeur et au sens de la naissance et de la vie dans ce monde à la lumière de l’inévitable avancée vers la maladie, la vieillesse et la mort. Il commença à remettre en question la nature même de l’existence et en conclut que les explications classiques, tant scientifiques que religieuses, étaient défectueuses. Dans sa quête de la vérité, il découvrit que l’enseignement du Bouddha offrait une base solide de théorie et de pratique qui pouvait servir de plateforme pour une investigation profonde de toutes ces questions. Il lut de nombreux enseignements du Bouddha et se rapprocha de plusieurs organismes bouddhistes. Finalement, inspiré par l’exemple de Bhikkhu Kapilavaddho, moine bouddhiste anglais qui s’était fait ordonner moine en Thaïlande, Peter décida de renoncer à la vie dans le monde et de poursuivre sa quête de la vérité en se libérant du fardeau des soucis terrestres. Il fut ordonné samanera [novice] au Vihara [monastère] bouddhiste de Londres le 31 octobre 1955 et reçut, à cette occasion, le nom de Paññavaddho.

Cette même année, en décembre, Paññavaddho et deux autres samanera partirent pour Bangkok, en Thaïlande, accompagnés de Bhikkhu Kapilavaddho, avec l’intention de recevoir l’ordination complète et devenir moines ou bhikkhu. Cette ordination eut lieu le 27 janvier 1956 après un séjour d’un mois à Wat Paknam auprès de Luang Por Soth. Six mois plus tard, ils retournèrent tous à Londres pour s’installer dans un petit vihara mis à leur disposition par l’English Sangha Trust. Les autres retournèrent bientôt à la vie laïque et Bhikkhu Paññavaddho se retrouva seul à veiller sur le vihara. Il s’en occupa pendant 5 ans jusqu’à ce qu’un autre moine vienne le remplacer. Entre-temps il se dévoua totalement à l’enseignement du Dhamma, non seulement au vihara mais aussi en donnant des conférences à l’extérieur et en organisant des retraites. Il remplissait aussi ses obligations de moine ayant choisi la voie de la méditation en pratiquant aussi sérieusement que possible.

Mais il arrivait qu’il se décourageât car l’expérience qu’il engrangeait ainsi ne suffisait pas à éliminer ses doutes. Il ressentait profondément le besoin d’un mentor en qui il aurait pleine confiance, un bon maître qui pourrait lui assurer qu’il était encore possible aujourd’hui d’atteindre les nobles buts enseignés par le Bouddha. Existait-il encore de nobles Arahants [êtres éveillés] vivants qui puissent le guider sur la voie du nibbana, de l’Eveil ? S’il pouvait trouver un tel guide, il se consacrerait de toutes ses forces à atteindre ce but.

C’est ainsi que Bhikkhu Paññavaddho décida de retourner en Thaïlande et de chercher un bon maître en qui il aurait une totale confiance. En novembre 1961, il arriva au monastère du Vénérable Ajahn Paññananda, Wat Cholapratan, près de Bangkok. C’est là qu’il demanda à un ami thaïlandais de rechercher pour lui les maîtres les plus renommés de Thaïlande. Cet ami finit par le conduire chez Ajahn Maha Boowa, un disciple de longue date du Vénérable Ajahn Mun, qui avait la réputation d’être un Arahant. Impressionné par le tempérament résolu et la profonde sagesse d’Ajahn Maha Boowa, Bhikkhu Paññavaddho s’installa dans son monastère, Wat Pah Ban Tad, dans la province d’Udon-Thani, et devint son disciple. Il arriva le 16 février 1963 et y demeura jusqu’à la fin de sa vie.

Ajahn Maha Boowa abrégea vite son nom en Panya et, à partir de là, il fut connu sous le nom d’Ajahn Panya. Il resta un proche disciple d’Ajahn Maha Boowa pendant les 41 années qui suivirent. Il raconta qu’il réussit à supporter les difficultés de la vie dans la jungle du nord-est de la Thaïlande grâce, surtout, à l’immense foi qu’il avait en Ajahn Maha Boowa et en ses méthodes d’enseignement. Le climat était chaud et difficile à supporter, la nourriture simple et sans attrait, il y avait une barrière linguistique à dépasser et sa cheville soudée limitait sa mobilité ; mais son courage était soutenu par sa confiance en son maître et sa persévérance dans la pratique. L’esprit d’Ajahn Panya tendait naturellement vers la sagesse et cela lui permit de faire des progrès rapides dans la méditation. Sous la houlette attentive d’Ajahn Maha Boowa, sa compréhension du Dhamma s’approfondit et devint de plus en plus vaste avec les années.

Le 22 juin 1965, sur l’insistance d’Ajahn Maha Boowa, Ajahn Panya se refit ordonner dans l’école du Dhammayuta Nikaya.

Ajahn Panya était d’une nature très fine et subtile. Sa pratique était au-delà de tout reproche. Il était toujours posé et circonspect, et faisait preuve de sagesse dans tout ce qu’il accomplissait. Non seulement il suivit la Voie jusqu’au bout mais sa vie et sa pratique exemplaires influencèrent de très nombreuses personnes de par le monde. Depuis le début, il travailla sans relâche à traduire les écrits d’Ajahn Maha Boowa en anglais, et fit publier ces traductions qui furent distribuées dans le monde entier. Il devint peu à peu une source de force et d’inspiration pour les bouddhistes de plusieurs pays qui firent le voyage jusqu’en Thaïlande pour le rencontrer. C’est le cas surtout des bhikkhu occidentaux qui vinrent et restèrent à Wat Pah Ban Tad à cause de lui. Il fit toujours preuve d’un dévouement total en instruisant ces moines qui lui accordaient toute leur confiance pour leur enseigner la manière correcte de pratiquer le bouddhisme.

En 1974, l’English Sangha Trust invita Ajahn Maha Boowa à aller en Angleterre en vue d’établir un Sangha [communauté monastique] Theravada à Londres. Ajahn Panya accompagna son maître à Londres où il aida à communiquer l’essence de l’enseignement du Dhamma d’Ajahn Maha Boowa aux fidèles bouddhistes. Ce fut la dernière visite d’Ajahn Panya en Angleterre. Même si aucune communauté monastique ne fut créée à ce moment-là, leur présence inspirante apporta les bases du futur Sangha anglais.

Ses connaissances en ingénierie furent un atout précieux pour le monastère. Dès son arrivée, on l’impliqua dans pratiquement tous les projets de construction de Wat Pah Ban Tad. C’était même souvent lui qui dessinait et supervisait les constructions. Ajahn Maha Boowa avait une telle confiance dans sa sagesse et ses capacités d’ingénieur qu’il ne remettait que rarement en question ses décisions dans ce domaine. Qu’il s’agisse d’électricité, de mécanique, de construction ou d’électronique, il maîtrisait tous ces domaines de sa propre initiative et pouvait les appliquer avec une aisance qui ne cessait de faire l’admiration des autres moines. La facilité avec laquelle Wat Pah Ban Tad est passé de l’état de simple monastère de forêt à un centre monastique florissant est une preuve de l’habileté d’Ajahn Panya à gérer les ressources d’un monastère de forêt tout en protégeant ses traditions et son environnement méditatif.

En septembre 2003, les premiers symptômes de la maladie qui devait causer sa mort apparurent. On diagnostiqua un cancer du côlon et il décida de se soigner avec des plantes médicinales. Sa maladie le laissait tout à fait imperturbable et il était persuadé que le traitement serait efficace. Effectivement, pendant les 9 mois suivants, le cancer sembla régresser mais il refit surface en juin 2004 et commença à s’étendre rapidement. Ajahn Panya montra une grande équanimité à l’approche de la mort, ne faisant jamais preuve de la moindre inquiétude vis-à-vis de l’état défaillant de son corps. Il s’éteignit dans une paix totale à 8h30 du matin, le 18 août 2004, deux mois avant son 79ème anniversaire. Il mourut comme il avait vécu : avec le cœur purement et simplement en paix.

Les restes d’Ajahn Panya furent incinérés à Wat Pah Ban Tad dix jours plus tard. La cérémonie de ses funérailles fut l’événement le plus important jamais organisé là-bas. On estime à 50.000 le nombre de personnes qui y assistèrent pour lui rendre un dernier hommage, dont 4.000 moines. Un fait extraordinaire se produisit le jour de la crémation. A trois occasions différentes, un arc-en-ciel rond apparut dans le bleu du ciel, encerclant à chaque fois le soleil comme un immense halo lumineux. L’arc-en-ciel apparut la première fois au moment où l’on plaçait son cercueil sur le bûcher funéraire ; ensuite quand on lut à haute voix le récit de sa vie ; et enfin quand Ajahn Maha Boowa alluma le bûcher. C’était comme si la force de son éveil spirituel avait créé une image visuelle extérieure pour refléter la profondeur et la finesse de sa vertu à la vue de tous. Ce fut une conclusion particulièrement élégante à la vie et à la pratique d’un moine dont la bienveillance et l’humilité irradiaient doucement de sa présence pour englober tout le monde du samsara [cycle de la vie].