Sutta Tipaka


Acela Sutta (SN 12.17)

L'ascète dévêtu


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roue

La version, présentée ici,  est basée sur la traduction originale du pali vers le français de Môhan Wijayaratna, ainsi que sur la version anglaise de Thanissaro Bhikkhu traduite par Jeanne Schut.



Ainsi ai-je entendu:

Une fois, le Bienheureux séjournait à Kalandakanivapa, dans le parc des bambous, près de la ville de Rajagaha. Un jour, le Bienheureux, s'étant habillé de bon matin, prit son bol et son sanghati(1), puis entra dans la ville de Rajagaha pour quêter sa nourriture. A ce moment-là, un acela (ascète nu) appelé Kassapa vit de loin le Bienheureux qui arrivait. L'ayant vu, l'ascète nu Kassapa s'approcha du Bienheureux et échangea avec lui des compliments de politesse et des paroles de courtoisie, puis se tint debout à l'écart sur un côté.

Se tenant debout à l'écart sur un côté, l'ascète nu Kassapa dit: « Si le vénérable Gotama le permet, s'il veut bien nous donner l'occasion d'écouter sa réponse, nous voulons l'interroger sur un certain point. » Le Bienheureux dit : « Ce n'est pas le moment de poser des questions, Kassapa, nous approchons des maisons. » L'ascète nu Kassapa dit, pour la deuxième fois : « Si le vénérable Gotama le permet, s'il veut bien nous donner l'occasion d'écouter sa réponse, nous voulons l'interroger sur un certain point. » Le Bienheureux dit : « Ce n'est pas le moment de poser des questions, Kassapa, nous approchons des maisons. »

L'ascète nu Kassapa dit pour la troisième fois : « Si le vénérable Gotama le permet, s'il veut bien nous donner l'occasion d'écouter sa réponse, nous voulons l'interroger sur un certain point. » Le Bienheureux dit : « Ce n'est pas le moment de poser des questions, Kassapa, nous approchons des maisons. »

Lorsque cela eut été dit par le Bienheureux, l'ascète nu Kassapa persista : « Ce n'est pas une grande chose que nous voulons vous demander, vénérable Gotama. »

Le Bienheureux dit : « Eh bien, Kassapa, demande donc ce que tu veux. »

L'ascète nu Kassapa demanda : «  La souffrance (dukkha) de l'individu, vénérable Gotama, est-elle créée par lui-même ? »

« Ce n'est pas comme cela qu'elle se produit,  Kassapa », dit le Bienheureux.

« La souffrance de l'individu, vénérable Gotama, est-elle créée par quelqu'un d'autre ? »

« Ce n'est pas comme cela qu'elle se produit, Kassapa », dit le Bienheureux.

« Si la souffrance de l'individu n'est pas créée par lui-même, si la souffrance de l'individu n'est pas créée par quelqu'un d'autre, alors, vénérable Gotama, la souffrance de l'individu apparaît-elle par hasard? »

« Ce n'est pas comme cela qu'elle se produit, Kassapa », dit le Bienheureux.

« La souffrance de l'individu, vénérable Gotama, n’existe-telle donc pas ? »

« Tu te trompes, Kassapa ; la souffrance de l'individu existe bien. »

« Peut-être, alors, le vénérable Gotama ne connaît-il pas la souffrance de l'individu, ne voit-il pas la souffrance de l'individu ? »

« Tu te trompes, Kassapa ; je connais bien la souffrance de l'individu. Je suis quelqu'un qui connaît la souffrance de l'individu. Je suis quelqu'un qui voit la souffrance de l'individu.

« Comment cela peut-il être alors, vénérable Gotama ? Lorsque j'ai demandé si la souffrance de l'individu avait été créée par lui-même, vous m'avez répondu : ” Ce n'est pas comme cela qu'elle se produit”. Lorsque j'ai demandé si la souffrance de l'individu avait été créée par quelqu'un d'autre, vous m'avez répondu : ” Ce n'est pas comme cela qu'elle se produit”. Lorsque j'ai demandé si la souffrance de l'individu se produisait par hasard, vous m'avez répondu : ” Ce n'est pas comme cela qu'elle se produit”. Lorsque j'ai demandé si la souffrance de l'individu n’existait pas, vous m'avez répondu  : ” Tu te trompes, Kassapa ; la souffrance de l'individu existe bien”. Lorsque j'ai demandé si le vénérable Gotama ne connaissait pas et ne voyait pas la souffrance, vous m'avez répondu  : ” Tu te trompes, Kassapa ; je connais bien la souffrance de l'individu. Je suis quelqu'un qui connaît la souffrance de l'individu. Je suis quelqu'un qui voit la souffrance de l'individu”. Dites-moi donc, vénérable Gotama, comment se produit la souffrance? Parlez-moi, vénérable Gotama, de la souffrance! »

Le Bienheureux répondit : « Lorsque l'on dit que l'individu qui agit est le même que celui qui reçoit le résultat de ces actions — comme tu l’as dit au début : “La souffrance de l'individu est créée par lui-même ” — une telle affirmation se réduit à la théorie éternaliste.

« Lorsque l'on dit qu'un individu agit et qu'un autre reçoit le résultat de ces actions — c'est-à-dire l'opinion selon laquelle on souffre à cause de la faute d'un autre — une telle affirmation se réduit à la théorie nihiliste.

« Le Tathagata enseigne le Dhamma qui évite l’écueil de ces deux extrêmes. Il enseigne la voie du milieu :

« Conditionnées par l'ignorance se produisent les formations mentales.

Conditionnée par les formations mentales se produit la conscience sensorielle.

Conditionnés par la conscience sensorielle se produisent des phénomènes mentaux et physiques.

Conditionnées par les phénomènes mentaux et physiques se produisent les six facultés des sens.

Conditionné par les six facultés  des sens se produit le contact (sensoriel et mental).

Conditionnée par le contact (sensoriel et mental) se produit la sensation.

Conditionné par la sensation se produit le désir.

Conditionné par le désir se produit l’attachement.

Conditionné par l’attachement se produit le processus du re-devenir.

Conditionnée par le processus du re-devenir se produit la naissance.

Conditionnés par la naissance se produisent la décrépitude, la mort, les lamentations, la peine, la douleur, le chagrin et le désespoir. C’est ainsi que se produit ce monceau de souffrances.

Cependant, par la cessation complète de l'ignorance, les formations mentales cessent.

Par la cessation complète des formations mentales, la conscience sensorielle cesse.

Par la cessation complète de la conscience sensorielle, les phénomènes mentaux et physiques cessent.

Par la cessation complète des phénomènes mentaux et physiques, les six facultés des sens cessent.

Par la cessation complète des six facultés des sens, le contact cesse.

Par la cessation complète du contact, la sensation cesse.

Par la cessation complète de la sensation, le désir cesse.

Par la cessation complète du désir, l’attachement cesse.

Par la cessation complète de l’attachement, le processus du re-devenir cesse.

Par la cessation complète du processus du re-devenir, la naissance cesse.

Par la cessation complète de la naissance, la décrépitude, la mort, les lamentations, les peines, les douleurs, les chagrins, les désespoirs cessent. Telle est la cessation complète de tout ce monceau de souffrances. »

Ayant entendu la parole du Bienheureux, l’ascète nu Kassapa s’écria : « Merveilleux, Vénérable ! Merveilleux ! C'est comme si le Bouddha avait redressé ce qui était renversé, ou avait découvert ce qui était caché, ou avait montré le chemin à celui qui s'était égaré, ou avait apporté une lampe dans l'obscurité pour que ceux qui ont des yeux puissent voir. Ainsi, le Vénérable Gotama a rendu claire la vérité grâce à tous ses raisonnements.

« Je prends donc refuge dans le vénérable Gotama, dans son enseignement (Dhamma) et dans la communauté monastique (Sangha). Puissé-je obtenir l'ordination mineure et l'ordination majeure auprès du Bienheureux. »

Le Bienheureux dit : « Kassapa, si quelqu'un d'une autre communauté religieuse veut obtenir l'ordination mineure et l'ordination majeure dans cette Doctrine et dans cette Discipline, il lui faut passer par une période de probation de quatre mois. Si, à la fin de ces quatre mois, les moines sont satisfaits de lui, ils lui accordent l'ordination mineure et l'ordination majeure de moine. Néanmoins, dans ce domaine, on peut agir différemment selon les individus. »

L'ascète nu Kassapa dit : « Vénérable, si quelqu'un d'une autre communauté religieuse qui veut obtenir l'ordination mineure et l'ordination majeure dans cette Doctrine et dans cette Discipline doit passer par une période de probation de quatre mois, alors je suis prêt, Vénérable, à passer une période de probation de quatre ans. Si, au bout de quatre ans, les moines sont satisfaits de moi, qu’ils me donnent l'ordination mineure et l'ordination majeure de moine. »

Alors l'ascète nu Kassapa obtint sur-le-champ, et par le Bienheureux lui-même, l'ordination mineure et l'ordination majeure. Peu de temps après son ordination majeure, le vénérable Kassapa — demeurant seul, retiré, vigilant, ardent, résolu — parvint rapidement à ce but pour la réalisation duquel les fils de noble famille quittent leur foyer pour la vie sans foyer; cet incomparable but de la vie monastique, il le réalisa dans l’ici et maintenant.

Il comprit : « Il n’y aura plus de nouvelle naissance. La vie monastique a été pleinement vécue. La tâche a été accomplie. Plus rien ne demeure à accomplir dans ce monde. » Ainsi, le vénérable Kassapa parvint au nombre des Arahants.


(1) Sanghati : la troisième robe des moines, portée par-dessus en doublure.