Le Dhamma de la Forêt



Culagosinga Sutta (MN 31)

Le comportement des bons disciples du Bouddha


Traduit par Jeanne Schut

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Extrait. Les passages en italiques sont un résumé du texte original.


Un jour, le Bouddha dirigea ses pas vers le parc de Gosinga où méditaient ensemble trois de ses disciples : le vénérable Anuruddha, le vénérable Nandiya et le vénérable Kimbila. Lorsque ceux-ci l’eurent accueilli et confortablement installé, il s’adressa au plus ancien d’entre eux :

- J’espère que vous allez bien, Anuruddha, que tout se passe bien pour vous et que vous n’avez pas de mal à vous procurer de la nourriture.

- Nous allons bien, Vénérable, tout se passe bien pour nous et nous n’avons pas de mal à nous procurer de la nourriture.

- J’espère, Anuruddha, que vous vivez en harmonie, en vous appréciant mutuellement, sans dispute, que vous vous mélangez comme le lait dans l’eau, que vous vous considérez les uns les autres avec bonté.

- Tout à fait, Vénérable. Nous vivons en harmonie, nous nous apprécions mutuellement, nous ne nous disputons pas, nous nous mélangeons comme le lait dans l’eau, et nous nous considérons les uns les autres avec bonté.

- Mais, Anuruddha, comment vivez-vous ainsi ?

- Vénérable, voici. Je me dis : « C’est une chance, c’est une grande chance pour moi d’avancer sur la voie spirituelle en vivant auprès de tels compagnons. Je veille à ce que tous mes gestes envers ces deux vénérables – ceux qu’ils voient et ceux qu’ils ne voient pas – soient empreints de bonté. Je veille à ce que toutes mes paroles envers ces deux vénérables – celles qu’ils entendent et celles qu’ils n’entendent pas – soient empreintes de bonté. Je veille à ce que toutes mes pensées envers ces deux vénérables soient empreintes de bonté. Je me dis : « Pourquoi ne pas mettre de côté ce que j’ai envie de faire et faire ce que les deux vénérables souhaitent ? » Alors, je mets de côté ce que j’ai envie de faire et je fais ce que les deux vénérables ont envie de faire. Nous sommes différents par le corps, Vénérable, mais nous ne faisons qu’un par l’esprit. »

 Le vénérable Nandiya et le vénérable Kimbila exprimèrent la même chose et ajoutèrent : « C’est ainsi, Vénérable, que nous vivons en harmonie, que nous nous apprécions mutuellement, que nous ne nous disputons pas, que nous nous mélangeons comme le lait dans l’eau, et que nous nous considérons les uns les autres avec bonté. »

- Bien, bien. J’espère que vous restez tous diligents, ardents et déterminés, Anuruddha.

- Tout à fait, Vénérable. Nous restons diligents, ardents et déterminés.

- Mais, Anuruddha, comment restez-vous ainsi ?

- Vénérable, voici. Celui qui rentre le premier du village où il a quêté sa nourriture prépare les sièges, apporte de l’eau pour boire et pour se laver, et installe le seau à ordures. Celui qui rentre le dernier mange la nourriture qui reste s’il le souhaite. Sinon, il la jette dans un endroit où rien ne pousse ou dans une eau où il n’y a pas de vie. Il range les sièges ainsi que l’eau pour boire et pour se laver. Il range le seau à ordures après l’avoir lavé et il balaie l’espace où nous avons mangé. Si l’un de nous s’aperçoit que les seaux d’eau pour boire, pour se laver ou pour les latrines sont presque vides, il va les remplir. S’ils sont trop lourds pour lui, il demande de l’aide par un signe de la main. Nous nous entraidons ainsi sans pour autant rompre le silence. Mais tous les cinq jours, nous passons une nuit entière à parler du Dhamma. Voilà comment nous restons diligents, ardents et déterminés.

- Bien, bien, Anuruddha. Mais tandis que vous restez aussi diligents, ardents et déterminés avez-vous atteint un état particulier, une connaissance ou un regard sur le monde digne des nobles êtres, une demeure de sérénité ?

- En effet, Vénérable. Chaque fois que nous le souhaitons, éloignés des plaisirs sensoriels, éloignés de tout état d’esprit négatif, nous entrons et demeurons dans le premier jhāna qui s’accompagne d’une pensée appliquée puis soutenue et de la joie et du plaisir nés de cette intériorisation. Vénérable, c’est un état particulier, une connaissance et un regard sur le monde dignes des nobles êtres, une demeure de sérénité que nous avons atteinte en restant diligents, ardents et déterminés.

- Bien, bien, Anuruddha. Mais y a-t-il un autre état particulier, une connaissance ou un regard sur le monde digne des nobles êtres, une demeure de sérénité que vous atteignez en dépassant cette demeure, en la laissant passer ?

- En effet, Vénérable. Chaque fois que nous le souhaitons, en apaisant pensée appliquée puis soutenue, nous entrons et demeurons dans le second jhāna… en apaisant la joie, nous entrons et demeurons dans le troisième jhāna… en apaisant plaisir et douleur, nous entrons et demeurons dans le quatrième jhāna. Vénérable, voilà un autre état particulier, une connaissance et un regard sur le monde dignes des nobles êtres, une demeure de sérénité que nous avons atteinte en dépassant la demeure précédente, en la laissant passer.

- Bien, bien, Anuruddha. Mais y a-t-il un autre état particulier… que vous atteignez en dépassant cette demeure, en la laissant passer ?

- En effet, Vénérable. Chaque fois que nous le souhaitons, ayant complètement dépassé les perceptions de la forme, avec la disparition des perceptions des contacts sensoriels, avec la non-attention aux perceptions de diversité, conscients que ‘l’espace est infini’, nous entrons et demeurons dans la sphère de l’espace infini. Vénérable, voilà un autre état particulier… que nous avons atteint en dépassant la demeure précédente, en la laissant passer.

- Bien, bien, Anuruddha. Mais y a-t-il un autre état particulier… que vous atteignez en dépassant cette demeure, en la laissant passer ?

- En effet, Vénérable. Chaque fois que nous le souhaitons, ayant complètement dépassé la sphère de l’espace infini, conscients que ‘la conscience est infinie’, nous entrons et demeurons dans la sphère de la conscience infinie… Ayant complètement dépassé la sphère de la conscience infinie, conscients que ‘tout est vide’, nous entrons et demeurons dans la sphère de la vacuité… Ayant complètement dépassé la sphère de la vacuité, nous entrons et demeurons dans la sphère de ni perception ni non-perception. Vénérable, voilà un autre état particulier… que nous avons atteint en dépassant la demeure précédente, en la laissant passer.

- Bien, bien, Anuruddha. Mais y a-t-il un autre état particulier, une connaissance ou un regard sur le monde digne des nobles êtres, une demeure de sérénité que vous atteignez en dépassant cette demeure, en la laissant passer ?

- En effet, Vénérable. Chaque fois que nous le souhaitons, ayant complètement dépassé la sphère de ni perception ni non-perception, nous entrons et demeurons dans la cessation de la perception et du ressenti. Lorsque nous voyons cela avec sagesse, nos pollutions mentales sont détruites. Vénérable, voilà un autre état particulier, une connaissance et un regard sur le monde dignes des nobles êtres, une demeure de sérénité que nous avons atteinte en dépassant la demeure précédente, en la laissant passer. Et, Vénérable, nous ne voyons pas d’autre demeure de sérénité plus élevée ou plus sublime que celle-ci.

- Bien, bien, Anuruddha. Il n’y a pas d’autre demeure de sérénité plus élevée ou plus sublime que celle-ci.

Après le départ du Bouddha, le vénérable Nandiya et le vénérable Kimbila s’adressèrent au vénérable Anuruddha :

- Avons-nous jamais dit au vénérable Anuruddha que nous avions atteint les demeures de sérénité jusqu’à la destruction des souillures mentales, comme vous l’avez déclaré en présence du Bouddha ?

- Vous ne me l’avez jamais dit mais, en lisant dans votre esprit, j’ai pu voir que c’était le cas. Les deva me l’ont également rapporté. C’est pourquoi je l’ai déclaré lorsque le Bouddha m’a interrogé.

De son côté, le Bouddha fut interpelé par Digha, un esprit céleste, qui déclara combien il était merveilleux que ces trois vénérables se comportent si bien grâce aux enseignements de l’Éveillé. Le Bouddha répondit :

« En effet, ces trois hommes pratiquent pour le bien et le bonheur de tous les êtres, par compassion pour le monde. »

Ces déclarations retentirent dans toutes les sphères d’existence et tous s’en réjouirent.