Le Dhamma de la Forêt


Mahaassapurasuttam (MN 39)

Les vertus du vrai chercheur spirituel


Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/




Ainsi ai-je entendu. Un jour, tandis que le Bouddha se trouvait dans la région d’Anga, dans une ville du nom d’Assapura, il s’adressa ainsi à ses moines :

« Moines, les gens disent que nous sommes des reclus et vous-mêmes vous considérez ainsi. Moines, vous qui avez promis d’être des reclus, vous devez vous engager à vivre de manière à être de vrais reclus, de vrais brahmanes. Ainsi, vous respecterez vos vœux. Alors, ceux qui nous offrent nourriture, logement et médicaments accompliront un geste méritoire. Ainsi notre vie monastique portera des fruits et des résultats.

« Moines, qu’est-ce qui fait de vous de vrais reclus, de vrais brahmanes ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous serons honteux de mal agir et nous craindrons de mal agir’. Alors, vous pourrez vous dire : ‘Je suis honteux de mal agir et je crains de mal agir’ et vous en satisfaire, pensant qu’il n’y a rien d’autre à faire. Mais je vous le dis, moines, il y a plus à faire. Ne vous arrêtez pas avant d’avoir atteint le but du vrai reclus.

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous serons purs dans nos actions, ouverts et sans faille ; et nous ne nous flatterons pas de cette pureté d’action ni ne critiquerons les autres.’

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous serons purs en paroles, ouverts et sans faille ; et nous ne nous flatterons pas de cette pureté de parole ni ne critiquerons les autres.’

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous serons purs en pensées, ouverts et sans faille ; et nous ne nous flatterons pas de cette pureté de pensée ni ne critiquerons les autres.’

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous serons purs dans notre façon de vivre, ouverts et sans faille ; et nous ne nous flatterons pas de cette pureté de vie ni ne critiquerons les autres.’

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous veillerons aux portes de nos sens. En voyant une forme avec les yeux, nous ne nous saisirons d’aucun détail qui, si nous nous y attardions sans retenue, éveillerait en nous des pensées nocives et malsaines comme le désir ou le chagrin. En entendant un son par les oreilles… En sentant une odeur par le nez… En goûtant une saveur avec la langue… En ressentant un contact avec le corps… En ayant connaissance d’une pensée par l’esprit, nous ne nous saisirons d’aucun détail qui, si nous nous y attardions sans retenue, éveillerait en nous des pensées nocives et malsaines comme le désir ou le chagrin’.

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous mangerons avec modération. Nous consommerons notre nourriture en réfléchissant avec sagesse, pas pour le plaisir, pas par gourmandise, pas pour rendre le corps beau et attirant mais seulement pour le maintenir en bonne santé, pour qu’il nous permette de mener une vie de reclus, pour que la sensation de faim disparaisse sans que des sensations de lourdeur apparaissent. Ainsi nous n’aurons pas d’obstacles physiques et nous vivrons en paix dans ce corps.’

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous nous consacrerons à être pleinement conscients. Pendant la journée, en marchant et assis, nous purifierons notre esprit des états qui l’obscurcissent. Au premier quart de la nuit, en marchant et assis, nous purifierons notre esprit des états qui l’obscurcissent. Au milieu de la nuit, couchés sur le côté droit dans la posture du lion, un pied posé sur l’autre, attentifs et conscients de l’heure de réveil, nous dormirons. Au dernier quart de la nuit, en marchant et assis, nous purifierons notre esprit des états qui l’obscurcissent.’

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Voilà comment vous devez vous entraîner : ‘Nous serons attentifs et pleinement conscients. En allant et en venant, nous agirons avec une conscience claire. En regardant devant nous et en regardant sur le côté, nous agirons avec une conscience claire. En pliant et en étirant nos membres, nous agirons avec une conscience claire. En mettant nos vêtements et en portant notre bol, nous agirons avec une conscience claire. En mangeant, en buvant, en mâchant et en savourant, nous agirons avec une conscience claire. En déféquant et en urinant, nous agirons avec une conscience claire. En marchant, debout, assis, allongés, en nous réveillant, en parlant et en restant en silence, nous agirons avec une conscience claire.’

« Qu’y a-t-il de plus à faire ? Un reclus se rend dans un lieu isolé – une forêt, le pied d’un arbre, une montagne, une vallée, une grotte à flanc de colline, un terrain de crémation, un bosquet dans la jungle, ou en plein air près d’une meule de foin. Après avoir quêté sa nourriture et mangé, il s’assoit jambes croisées, le dos bien droit et pose son attention devant lui.

« Ayant abandonné la convoitise envers le monde, il demeure avec une conscience libre de toute convoitise. Il lave son esprit de toute convoitise. Ayant abandonné malveillance et colère, il demeure avec une conscience libre de malveillance, soucieux du bien-être de tous. Il lave son esprit de toute malveillance et de toute colère. Ayant abandonné paresse et torpeur, il demeure avec une conscience libre de paresse et de torpeur, attentif, vigilant, conscient de la lumière. Il lave son esprit de toute paresse et de toute torpeur. Ayant abandonné agitation et soucis, il demeure tranquille, l’esprit apaisé intérieurement. Il lave son esprit de toute agitation et de tout souci. Ayant abandonné le doute, il demeure au-delà du doute, sans perplexité à propos des vertus mentales à développer. Il lave son esprit de toute forme de doute.

« Imaginez qu’un homme demande un prêt qu’il investit dans ses affaires. Puis ses affaires réussissent et il peut rembourser son prêt ; il lui reste même assez d’argent pour entretenir sa femme. De ce fait, il est joyeux et heureux.

« Imaginez maintenant qu’un homme tombe gravement malade et qu’il souffre. Il n’a plus d’appétit et son corps s’affaiblit. Mais, avec le temps, il finit par guérir de cette maladie ; il retrouve l’appétit et reprend des forces. De ce fait, il est joyeux et heureux.

« Imaginez maintenant qu’un homme soit retenu prisonnier. Au bout d’un certain temps, il finit par être libéré ; il se retrouve sain et sauf sans avoir perdu ses biens. De ce fait, il est joyeux et heureux.

« Imaginez maintenant qu’un homme soit réduit à l’esclavage, sans liberté personnelle, incapable d’aller où il veut. Et puis, un jour, il est relâché, non soumis aux autres, libéré, capable d’aller où il veut. De ce fait, il est joyeux et heureux.

« Imaginez maintenant un voyageur qui traverse une région désertique en transportant de l’argent et des marchandises. Au bout de quelque temps, il quitte cette région, sain et sauf, sans avoir perdu ses biens. De ce fait, il est joyeux et heureux.

« De même, tant que ces cinq obstacles ne sont pas abandonnés en lui, le moine a le sentiment d’avoir des dettes, d’être malade, d’être en prison, d’être esclave et de traverser une région désertique. Mais quand ces cinq obstacles sont abandonnés en lui, il a le sentiment d’être délivré de toute dette, en bonne santé, libéré de prison, affranchi de l’esclavage, en lieu sûr. Lorsqu’il voit que ces cinq obstacles ont été abandonnés en lui, l’exaltation apparaît. Quand il est exalté, la joie apparaît. Quand son esprit est rempli de joie, son corps s’apaise. Apaisé dans son corps, il fait l’expérience du bonheur ; étant heureux, son esprit se concentre.

« Totalement coupé des désirs des sens, coupé des états d’esprit malsains, il entre et demeure dans le premier jhāna qui s’accompagne de la pensée initiale et de la pensée soutenue, et qui est plein de la joie et du bonheur engendrés par l’isolement/ le renoncement. Il baigne complètement dans cette joie et ce bonheur, son corps tout entier en est saturé de toutes parts.

« De plus, lorsque s’apaisent la pensée initiale et la pensée soutenue, il devient plus tranquille intérieurement et son esprit se focalise. Il entre ainsi et demeure dans le deuxième jhāna qui est libre de la pensée initiale et de la pensée soutenue, et qui est plein de la joie et du bonheur engendrés par la concentration. Il baigne complètement dans cette joie et ce bonheur, son corps entier en est saturé de toutes parts.

« De plus, lorsque la joie s’apaise, il reste imperturbable, attentif et clairement conscient. Il entre ainsi dans le troisième jhāna. Il fait l’expérience de la joie dont les Nobles Êtres disent : ‘Heureux celui qui demeure dans l’équanimité et l’attention.’. Il baigne complètement dans ce bonheur libre d’exaltation, son corps en est saturé de toutes parts.

« De plus, ayant abandonné plaisir et douleur, de même qu’il avait déjà abandonné joie et chagrin, le méditant entre et demeure dans le quatrième jhāna qui est au-delà du plaisir et de la douleur, et qui est purifié par l’équanimité et l’attention. Assis, il enveloppe entièrement son corps d’une conscience pure et lumineuse, de sorte qu’il n’y a pas une seule partie de son corps qui ne soit saturée de cette conscience pure et lumineuse.

« Lorsque son esprit est ainsi concentré, purifié et lumineux, irréprochable, impeccable, souple, malléable, stable et parfait dans l’imperturbabilité, il l’oriente et le dirige vers la connaissance du souvenir des vies passées. Il se souvient de ses multiples vies passées – une naissance, deux naissances, trois naissances, quatre, cinq, dix, vingt, trente, quarante, cinquante, cent, mille, cent mille naissances, des ères de contraction cosmique, des ères d’expansion cosmique, des ères de contraction et d’expansion cosmique – et il se souvient : « Là, je portais tel nom, j’appartenais à telle famille, j’avais telle apparence. Je me nourrissais ainsi, j’avais plaisir et chagrin à ceci, ma vie s’est terminée ainsi. Quittant cet état, je suis réapparu là ». Il se souvient ainsi de ses multiples vies passées dans tous leurs détails et leurs aspects. De même qu’un homme, s’il allait de son village natal à un autre village, puis de ce village à un autre encore, et de cet autre village il retournait chez lui, se dirait : « Je suis allé de mon village natal à cet autre village. Là-bas je me tenais de telle manière, je m’asseyais de telle manière, je parlais de telle manière et je restais en silence de telle manière. Puis de ce village je suis allé vers un autre village et, là-bas, je me tenais de telle manière, je m’asseyais de telle manière, je parlais de telle manière et je restais en silence de telle manière. Puis de cet autre village, je suis retourné à mon village natal » ; de même – avec son esprit concentré, purifié et lumineux, irréprochable, impeccable, souple, malléable, stable et parfait dans l’imperturbabilité – il oriente et dirige cet esprit vers la connaissance du souvenir de ses vies passées. Il se souvient de ses multiples vies passées… dans tous leurs détails et leurs aspects.

« Lorsque son esprit est ainsi concentré, purifié et lumineux, irréprochable, impeccable, souple, malléable, stable et parfait dans l’imperturbabilité, il l’oriente et le dirige vers la connaissance de la disparition et de la réapparition des êtres. Il voit, au moyen de l’œil divin – un regard purifié surpassant l’œil humain –, des êtres qui disparaissent puis réapparaissent et il discerne en quoi ils sont inférieurs ou supérieurs, beaux ou laids, chanceux ou malchanceux en fonction de leur karma : « Ces êtres qui se comportaient mal dans leurs actions, leurs paroles et leurs pensées, qui critiquaient les Nobles Êtres, soutenaient des opinions erronées et entreprenaient des actions inspirées de ces idées fausses, au moment où le corps se désintègre, après la mort, réapparaissent dans la sphère de la déchéance, la mauvaise destination, les royaumes inférieurs, en enfer. Mais les êtres qui se comportaient bien dans leurs actions, leurs paroles et leurs pensées, qui ne critiquaient pas les Nobles Êtres, avaient un regard juste sur les choses et entreprenaient des actions inspirées de ces idées justes, au moment où le corps se désintègre, après la mort, réapparaissent dans les bonnes destinations, dans le monde céleste ». Ainsi, au moyen de l’œil divin – un regard purifié surpassant l’œil humain –, il voit des êtres qui disparaissent puis réapparaissent et il discerne en quoi ils sont inférieurs ou supérieurs, beaux ou laids, chanceux ou malchanceux en fonction de leur karma. De même qu’un homme doté d’une bonne vue, s’il se tenait entre les portes de deux maisons, verrait des gens entrer et sortir de ces maisons et marcher dans la rue, se dirait : « Ces personnes-ci entrent dans une maison, ces personnes-là en sortent et marchent dans la rue » ; de même – avec son esprit concentré, purifié et lumineux, irréprochable, impeccable, souple, malléable, stable et parfait dans l’imperturbabilité – il oriente et dirige cet esprit vers la connaissance de la disparition et de la réapparition des êtres. Il voit, au moyen de l’œil divin – un regard purifié surpassant l’œil humain –, des êtres qui disparaissent puis réapparaissent et il discerne en quoi ils sont inférieurs ou supérieurs, beaux ou laids, chanceux ou malchanceux en fonction de leur karma.

« Lorsque son esprit est ainsi concentré, purifié et lumineux, irréprochable, impeccable, souple, malléable, stable et parfait dans l’imperturbabilité, le moine l’oriente et le dirige vers la connaissance de l’éradication des poisons mentaux. Il voit les choses telles qu’elles sont réellement : « Ceci est souffrance… Ceci est à l’origine de la souffrance… Ceci est la cessation de la souffrance… Ceci est la voie qui mène à la cessation de la souffrance… Voilà ce que sont les poisons mentaux… Voilà leur origine… Voilà leur fin… Voilà le chemin qui mène à l’éradication des poisons mentaux ». Son cœur et son esprit, voyant les choses ainsi, connaissant les choses ainsi, sont libérés du poison de la sensualité, du poison de désir de devenir, du poison de l’ignorance. Avec cette libération arrive la connaissance : « Libéré ». Il voit que « la naissance a pris fin, la vie sainte a été satisfaite, la tâche a été accomplie. Il n’y a plus rien pour ce monde ». De même qu’un homme doté d’une bonne vue, s’il se tenait au bord d’un lac ou d’un torrent de montagne – clair, transparent et limpide – pouvant voir coquillages, galets et gravillons ainsi que des bancs de poissons nageant et se reposant, se dirait : « Ce lac est clair, transparent et limpide. Je vois des coquillages, des galets et des gravillons ainsi que des bancs de poissons qui nagent et se reposent » ; de même – avec son esprit concentré, purifié et lumineux, irréprochable, impeccable, souple, malléable, stable et parfait dans l’imperturbabilité – il oriente et dirige cet esprit vers la connaissance de l’éradication des poisons mentaux. Il voit les choses telles qu’elles sont réellement : « Ceci est souffrance… Ceci est à l’origine de la souffrance… Ceci est la cessation de la souffrance… Ceci est la voie qui mène à la cessation de la souffrance… Voilà ce que sont les poisons mentaux… Voilà leur origine… Voilà leur fin… Voilà le chemin qui mène à l’éradication des poisons mentaux ». Son cœur et son esprit, voyant les choses ainsi, connaissant les choses ainsi, sont libérés du poison de la sensualité, du poison de désir de devenir, du poison de l’ignorance. Avec cette libération arrive la connaissance : « Libéré ». Il voit que « la naissance a pris fin, la vie sainte a été satisfaite, la tâche a été accomplie. Il n’y a plus rien pour ce monde ».

« Un moine qui se comporte ainsi est un véritable reclus, un véritable brahmane. Il a été lavé, il a atteint la connaissance, son esprit est clair. C’est un Être Noble, un Arahant.

« Alors, comment un moine devient-il un véritable reclus ? Lorsqu’il a apaisé les états négatifs et malsains qui souillent, qui renouvellent le « moi », qui perturbent et finissent par engendrer la souffrance menant à une nouvelle vie, depuis la naissance jusqu’à la dégradation et la mort. Voilà comment un moine devient un véritable reclus.

« Et comment le moine devient-il un véritable brahmane ? Lorsqu’il a rejeté les états d’esprit mauvais et malsains qui souillent, qui renouvellent le « moi », qui perturbent et finissent par engendrer la souffrance menant à une nouvelle vie, depuis la naissance jusqu’à la dégradation et la mort. Voilà comment un moine devient un véritable brahmane.

« Et comment le moine finit-il par être lavé ? Lorsqu’il est définitivement lavé des états négatifs et malsains qui souillent, qui renouvellent le « moi », qui perturbent et finissent par engendrer la souffrance menant à une nouvelle vie, depuis la naissance jusqu’à la dégradation et la mort. Voilà comment un moine finit par être lavé.

« Et comment le moine atteint-il la connaissance ? Lorsqu’il a clairement connu les états négatifs et malsains qui souillent, qui renouvellent le « moi », qui perturbent et finissent par engendrer la souffrance menant à une nouvelle vie, depuis la naissance jusqu’à la dégradation et la mort. Voilà comment un moine atteint la connaissance.

« Et comment l’esprit du moine devient-il clair ? Lorsqu’il discerne avec acuité les états négatifs et malsains qui souillent, qui renouvellent le « moi », qui perturbent et finissent par engendrer la souffrance menant à une nouvelle vie, depuis la naissance jusqu’à la dégradation et la mort. Voilà comment l’esprit d’un moine devient clair.

« Et comment le moine devient-il un Être Noble ? Lorsqu’il s’écarte très loin des états négatifs et malsains qui souillent, qui renouvellent le « moi », qui perturbent et finissent par engendrer la souffrance menant à une nouvelle vie, depuis la naissance jusqu’à la dégradation et la mort. Voilà comment un moine devient un Être Noble.

« Et comment le moine devient-il un Arahant ? Lorsqu’il s’écarte très loin des états négatifs et malsains qui souillent, qui renouvellent le « moi », qui perturbent et finissent par engendrer la souffrance menant à une nouvelle vie, depuis la naissance jusqu’à la dégradation et la mort. Voilà comment un moine devient un Arahant. »

Le Bouddha s’exprima ainsi et les moines qui l’entendirent furent enchantés de ses paroles.