Sutta Tipaka


 Mahatanhasankhaya Sutta (MN 38)

Le Grand Discours sur la Destruction de la Soif du Désir 


Traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/






roue



 (Situation) 

1. Ainsi ai-je entendu. A une certaine occasion, le Bouddha vivait à Savatthi, dans le Verger de Jeta, le parc offert par Anathapindika.

2. A ce moment-là, un bhikkhu nommé Sati Kevatthaputta (fils du pêcheur) eut l’idée erronée suivante : « Selon ma compréhension du Dhamma enseigné par le Bouddha, c’est la même conscience (viññana) qui transmigre et qui erre à travers le cycle des renaissances, pas une autre. »

3. De nombreux bhikkhus, ayant entendu dire cela, s’approchèrent de Sati, fils du pêcheur, et lui dirent : « Est-il vrai, ami Sati, que vous avez cette idée erronée ? » « C’est vrai, mes amis. Selon ma compréhension du Dhamma enseigné par le Bouddha, c’est la même conscience qui transmigre et qui erre à travers le cycle des renaissances, pas une autre. »

Alors, ces bhikkhus, afin de le détourner de cette idée erronée, le pressèrent de questions encore et encore et lui recommandèrent : « Ne parlez pas de cette façon, ami Sati. N’interprétez pas d’une manière inexacte la parole du Bouddha. Il n’est pas bon de mal interpréter la parole du Bouddha. Le Bouddha ne dirait jamais cela. Au contraire, de maintes façons, il a expliqué la conscience comme naissant de conditions interdépendantes car, sans conditions, la conscience ne se produit point. »

Malgré ces avertissements, questions et recommandations de la part de ces bhikkhus, Sati, fils du pêcheur, maintenait obstinément son idée erronée et persistait dans ses allégations.

4. N’ayant pu le détourner de son idée erronée, ces bhikkhus s’approchèrent du Bouddha. Ils lui rendirent hommage, s’assirent à l’écart sur un côté et lui racontèrent tout ce qui s’était passé en ajoutant : « Vénérable, si nous vous rapportons maintenant ce cas, c’est parce que nous n’avons pas pu détourner le bhikkhu Sati de son idée erronée. »

5. Le Bouddha dit alors à un bhikkhu : « Allez, dites au bhikkhu Sati en mon nom, que le maître l’appelle. » « Oui, Vénérable », répondit le bhikkhu. Puis il s’approcha de Sati et l’informa : « Ami Sati, le maître vous appelle. »

« Entendu, ami » répondit Sati, puis il alla voir le Bouddha. Il lui rendit hommage, et s’assit à l’écart sur le côté. Le Bouddha lui demanda : « Est-il exact, Sati, que cette idée erronée est née en vous : ‘Selon ma compréhension du Dhamma enseigné par le Bouddha, c’est la même conscience qui transmigre et qui erre à travers le cycle des renaissances, pas une autre’ ? »

Bhikkhu Sati répondit : « C’est exact, Vénérable. Selon ma compréhension du Dhamma enseigné par le Bouddha, c’est la même conscience qui transmigre et qui erre à travers le cycle des renaissances, pas une autre. »

« Quelle est cette conscience, Sati ? »

« Vénérable, c’est ce qui parle, qui sent et qui ressent, ici et là, le résultat des bonnes et des mauvaises actions. »

Le Bouddha dit : « De qui, homme malavisé, avez-vous entendu que j’aie enseigné le Dhamma de cette manière ? Homme malavisé, n’ai-je pas, de maintes façons, expliqué la conscience comme naissant de conditions interdépendantes car sans condition la conscience ne se produit point ? Cependant vous, homme malavisé, en présentant de façon erronée une idée que vous avez saisie de manière incorrecte, non seulement vous m’interprétez d’une manière inexacte mais aussi vous vous faites du mal et vous accumulez beaucoup de démérites. Car cela vous apportera, homme malavisé, beaucoup de malheur et de souffrance pendant longtemps. »

6. Ensuite le Bouddha s’adressa aux autres bhikkhus en ces termes : « Qu’en pensez-vous, bhikkhus ? Sati a-t-il obtenu la moindre étincelle de sagesse de ce Dhamma et de cette discipline ? »

Les bhikkhus répondirent : « Comment l’aurait-il pu, Vénérable ? Certes non, Vénérable. »

Cela étant dit, le bhikkhu Sati restait assis en silence, consterné, les épaules tombantes, la tête basse, incapable de parler. Voyant cela, le Bouddha lui dit : « Homme malavisé, vous serez reconnu par votre propre idée erronée. Je vais interroger les autres bhikkhus à ce propos. »

7. Ensuite le Bouddha s’adressa aux bhikkhus en disant : « Bhikkhus, comprenez-vous le Dhamma enseigné par moi de la même manière que ce bhikkhu Sati qui, en interprétant ma parole d’une manière erronée, non seulement se fait du mal mais accumule aussi beaucoup de démérites ? »

« Certes non, Vénérable. Car, dans de nombreux discours, le Bienheureux a expliqué la conscience comme naissant de conditions interdépendantes puisque, sans condition, la conscience ne se produit point. »

« Bien, bhikkhus. Il est bon que vous ayez ainsi compris le Dhamma que j’ai enseigné. De maintes façons, j’ai expliqué la conscience comme naissant de conditions interdépendantes puisque, sans condition, la conscience ne se produit point. Cependant, ce bhikkhu Sati en présentant d’une façon erronée une idée qu’il a saisie de façon erronée, non seulement interprète ma parole d’une manière inexacte, mais encore il se fait du mal et accumule beaucoup de démérites. Car cela lui apportera beaucoup de malheur et de souffrance pendant longtemps.

(Conditionnalité de la Conscience) 

8. « Bhikkhus, telle ou telle conscience est nommée suivant telle ou telle condition à cause de laquelle elle prend naissance : ainsi, en dépendance de l’œil et des formes matérielles, naît une conscience et elle est appelée conscience visuelle ; en dépendance de l’oreille et des sons, naît une conscience et elle est appelée conscience auditive ; en dépendance du nez et des odeurs, naît une conscience et elle est appelée conscience olfactive ; en dépendance de la langue et des saveurs, naît une conscience et elle est appelée conscience gustative ; en dépendance du corps et des objets tangibles par ce corps, naît une conscience et elle est appelée conscience tactile ; en dépendance de l’esprit et des objets mentaux, naît une conscience et elle est appelée conscience mentale. C’est comme, un feu que l’on nomme d’après tel ou tel combustible qui l’alimente. Si ce feu brûle à cause du bois, il est appelé feu de bois ; si ce feu brûle à cause de fagots, il est appelé feu de fagots ; si ce feu brûle à cause de l’herbe, il est appelé feu d’herbe ; si ce feu brûle à cause de la bouse sèche, il est appelé feu de bouse ; si ce feu brûle à cause de la paille, il est appelé feu de paille ; si ce feu brûle à cause d’ordures, il est appelé feu d’ordures. De même, telle ou telle conscience est nommée suivant telle ou telle condition à cause de laquelle elle prend naissance[1]. Quand, en dépendance de l’œil et des formes matérielles, naît une conscience, elle est appelée conscience visuelle (…), en dépendance de l’esprit et des objets mentaux, naît une conscience, elle est appelée conscience mentale.

(Questions générales sur l’existence) 

9. « Bhikkhus, voyez-vous : ‘Ceci est venu à l’existence’ ? » — « Oui, Vénérable. »

« Bhikkhus, voyez-vous : ‘Ceci est venu à l’existence alimenté par cela’ ? » — « Oui, Vénérable. » 

« Bhikkhus, voyez-vous : ‘Ce qui est venu à l’existence alimenté par cela, cesse d’exister avec la cessation de cet aliment[2]’ ? » — « Oui, Vénérable. »

10. « Bhikkhus, le doute arrive-t-il quand on se pose des questions comme : ‘Ceci est-il venu à l’existence ?’ » — « Oui, Vénérable. »

 « Bhikkhus, le doute arrive-t-il quand on se pose des questions comme : ‘Ceci est-il ou non venu à l’existence alimenté par cela ?’ » — « Oui, Vénérable. »

« Bhikkhus, le doute arrive-t-il quand on se pose des questions comme : ‘Ce qui est venu à l’existence alimenté par cela cesse-t-il ou non son existence avec la cessation de cet aliment ?’» — « Oui, Vénérable. »

11. « Bhikkhus, le doute se dissipe-t-il lorsqu’on voit la réalité des choses avec sagesse : ‘Ceci est venu à l’existence’ ? » — « Oui, Vénérable. »

 « Bhikkhus, le doute se dissipe-t-il lorsqu’on voit la réalité des choses avec sagesse : ‘Ceci est venu à l’existence alimenté par cela’ ? » — « Oui, Vénérable. »

« Bhikkhus, le doute se dissipe-t-il lorsqu’on voit la réalité des choses avec sagesse : ‘Ce qui est venu à l’existence alimenté par cela, cesse d’exister avec la cessation de cet aliment ’ ? » — « Oui, Vénérable. »

12. « Bhikkhus, êtes-vous donc libérés du doute en ce qui concerne : ‘Ceci est venu à l’existence’ ? » — « Oui, Vénérable. »

« Bhikkhus, êtes-vous donc libérés du doute en ce qui concerne : ‘Ceci est venu à l’existence alimenté par cela’ ? » — « Oui, Vénérable. »

« Bhikkhus, êtes-vous donc libérés du doute en ce qui concerne : ‘Ce qui est venu à l’existence alimenté par cela, cesse d’exister avec la cessation de cet aliment ’ ? » — « Oui, Vénérable. »

13. « Bhikkhus, avez-vous bien vu, tel que c’est, avec sagesse : ‘Ceci est venu à l’existence’ ? » — « Oui, Vénérable. »

« Bhikkhus, avez-vous bien vu, tel que c’est, avec sagesse : ‘Ceci est venu à l’existence alimenté par cela’ ? » — « Oui, Vénérable. »

« Bhikkhus, avez-vous bien vu, tel que c’est, avec sagesse : ‘Ce qui est venu à l’existence alimenté par cela, cesse d’exister avec la cessation de cet aliment ’ ? » — « Oui, Vénérable. »

14. «  Bhikkhus, aussi purifiée et lumineuse que soit cette vision des choses , si vous vous y attachez et si vous la chérissez comme un trésor personnel, serez-vous capables de comprendre que ce Dhamma, semblable à un radeau, est enseigné non pas pour s’en saisir[3], mais [seulement] pour traverser ? » — « Certainement non, Vénérable. »

« Par contre, bhikkhus, aussi purifiée et lumineuse que soit cette vision des choses, si vous ne vous y attachez pas et si vous ne la chérissez pas comme un trésor personnel, serez-vous capables de comprendre que ce Dhamma, semblable à un radeau, est enseigné non pas pour s’en saisir, mais [seulement] pour traverser ? » — « Oui, Vénérable. »

(Aliments et interdépendance) 

15. « Bhikkhus, il existe quatre sortes d’aliments pour maintenir l’existence des êtres déjà venus à l’existence et aussi pour soutenir ceux qui sont sur le point de venir à l’existence. Quelles sont ces quatre sortes d’aliments ? La première est la nourriture physique, légère ou solide ; la seconde est le contact [entre les organes des sens et les objets sensoriels] ; la troisième est la volition mentale ; la quatrième est la conscience.

16. « Cependant, bhikkhus, quelles sont la source, l’origine et la provenance de ces quatre sortes d’aliments ? La soif du désir (tanha) est la source, l’origine et la provenance de ces quatre sortes d’aliments. Cependant quelles sont la source, l’origine et la provenance de cette soif du désir ? La sensation (vedana) est la source, l’origine et la provenance de cette soif du désir. Cependant quelles sont la source, l’origine et la provenance de cette sensation ? Le contact (phassa) est la source, l’origine et la provenance de cette sensation. Cependant quelles sont la source, l’origine et la provenance de ce contact ? Les six sphères sensorielles (salayatana) sont la source, l’origine et la provenance de ce contact. Cependant quelles sont la source, l’origine et la provenance de ces six sphères sensorielles ? Les phénomènes mentaux et physiques (nama-rupa) sont la source, l’origine et la provenance de ces six sphères sensorielles. Cependant quelles sont la source, l’origine et la provenance de ces phénomènes mentaux et physiques ? La conscience (viññana) est la source, l’origine et la provenance de ces phénomènes mentaux et physiques. Cependant quelles sont la source, l’origine et la provenance de cette conscience ? Les formations mentales (sankhara) sont la source, l’origine et la provenance de cette conscience. Cependant quelles sont la source, l’origine et la provenance de ces formations mentales ? L’ignorance (avija) est la source, l’origine et la provenance de ces formations mentales.

(Développement sur l’apparition des phénomènes) 

17. « De cette façon,  bhikkhus, par l’ignorance sont conditionnées les formations mentales ; par les formations mentales est conditionnée la conscience ; par la conscience sont conditionnés les phénomènes mentaux et physiques ; par les phénomènes mentaux et physiques sont conditionnées les six sphères sensorielles ; par les six sphères sensorielles est conditionné le contact ; par le contact est conditionnée la sensation ; par la sensation est conditionnée la soif du désir ; par la soif du désir est conditionné l’attachement (upadana) ; par l’attachement est conditionné le processus du devenir (bhava) ; par le processus du devenir est conditionnée la naissance (jati), et ainsi conditionnés par la naissance, se produisent le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, les peines, l’affliction et le désespoir. Telle est l’origine de tout ce monceau de souffrance.

(Questions inversées sur l’apparition des phénomènes) 

18. « Il a été dit : ‘Par la naissance sont conditionnés le vieillissement et la mort’. D’après vous, bhikkhus, le vieillissement et la mort sont-ils conditionnés ou non par la naissance ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par la naissance sont conditionnés le vieillissement et la mort. Nous voyons que par la naissance sont conditionnés le vieillissement et la mort. »

« Il a été dit : ‘Par le processus du devenir est conditionnée la naissance’. D’après vous, bhikkhus, la naissance est-elle conditionnée ou non par le processus du devenir ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par le processus du devenir est conditionnée la naissance. Nous voyons que par le processus du devenir est conditionnée la naissance. »

« Il a été dit : ‘Par l’attachement est conditionné le processus du devenir’. D’après vous, bhikkhus, le processus du devenir est-il conditionné ou non par l’attachement ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par l’attachement est conditionné le processus du devenir. Nous voyons que par l’attachement est conditionné le processus du devenir. »

« Il a été dit : ‘Par la soif du désir est conditionné l’attachement’. D’après vous, bhikkhus, l’attachement est-il ou non conditionné par la soif du désir ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par la soif du désir est conditionné l’attachement. Nous voyons que par la soif du désir est conditionné l’attachement. »

« Il a été dit : ‘Par la sensation est conditionnée la soif du désir’. D’après vous, bhikkhus, la soif du désir est-elle conditionnée ou non par la sensation ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par la sensation est conditionnée la soif du désir. Nous voyons que par la sensation est conditionnée la soif du désir. »

« Il a été dit : ‘Par le contact est conditionnée la sensation’. D’après vous, bhikkhus, la sensation est-elle conditionnée ou non par le contact ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par le contact est conditionnée la sensation’. Nous voyons que par le contact est conditionnée la sensation. »

« Il a été dit : ‘Par les six sphères sensorielles est conditionné le contact’. D’après vous, bhikkhus, le contact est-il conditionné ou non par les six sphères sensorielles ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par les six sphères sensorielles est conditionné le contact. Nous voyons que par les six sphères sensorielles est conditionné le contact. »

« Il a été dit : ‘Par les phénomènes mentaux et physiques sont conditionnées les six sphères sensorielles’. D’après vous, bhikkhus, les six sphères sensorielles sont-elles conditionnées ou non par les phénomènes mentaux et physiques ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par les phénomènes mentaux et physiques sont conditionnées les six sphères sensorielles. Nous voyons que par les phénomènes mentaux et physiques sont conditionnées les six sphères sensorielles. »

« Il a été dit : ‘Par la conscience sont conditionnés les phénomènes mentaux et physiques’. D’après vous, bhikkhus, les phénomènes mentaux et physiques sont-ils conditionnés ou non par la conscience ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par la conscience sont conditionnés les phénomènes mentaux et physiques. Nous voyons que par la conscience sont conditionnés les phénomènes mentaux et physiques. »

« Il a été dit : ‘Par les formations mentales est conditionnée la conscience’. D’après vous, bhikkhus, la conscience est-elle conditionnée ou non par les formations mentales ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par les formations mentales est conditionnée la conscience. Nous voyons que par les formations mentales est conditionnée la conscience. »

« Il a été dit : ‘Par l’ignorance sont conditionnées les formations mentales’. D’après vous, bhikkhus, les formations mentales sont-elles conditionnées ou non par l’ignorance ? Sinon, voyez-vous une autre raison ? »

« Vénérable, par l’ignorance sont conditionnées les formations mentales. Nous voyons que par l’ignorance sont conditionnées les formations mentales. »

(Récapitulation sur l’apparition des phénomènes) 

19. « Bien, bhikkhus. Dans ce cas, vous et moi, nous disons la même chose : « Quand ceci existe, cela vient à l’existence ; ceci apparaissant, cela apparaît. »  C’est-à-dire que par l’ignorance sont conditionnées les formations mentales ; par les formations mentales est conditionnée la conscience (…) ; par la naissance sont conditionnés le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, les peines, l’affliction et le désespoir. Telle est l’origine de tout ce monceau du malheur.

20. Cependant, bhikkhus, avec la disparition et la cessation complètes de l’ignorance, les formations mentales cessent ; avec la cessation des formations mentales, la conscience cesse ; avec la cessation de la conscience, les phénomènes mentaux et physiques cessent ; avec la cessation des phénomènes mentaux et physiques, les six sphères sensorielles cessent ; avec la cessation des six sphères sensorielles, le contact cesse ; avec la cessation du contact, la sensation cesse ; avec la cessation de la sensation, la soif du désir cesse ; avec la cessation de la soif du désir, le processus du devenir cesse ; avec la cessation du processus du devenir, la naissance cesse ; avec la cessation de la naissance, cessent le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, les peines, l’affliction et le désespoir. Telle est la cessation de tout ce monceau de souffrance.

(Développement sur la cessation des phénomènes)

21. « Il a été dit : ‘Avec la cessation de la naissance cessent le vieillissement et la mort’. D’après vous, bhikkhus, avec la cessation de la naissance, le vieillissement et la mort cessent-ils ou ne cessent-ils pas ? Ou sinon, comment voyez-vous les choses ? »

« Vénérable, avec la cessation de la naissance, cessent le vieillissement et la mort. Nous voyons qu’avec la cessation de la naissance cessent le vieillissement et la mort.

[De cette façon, le dialogue continue et il remonte inversement jusqu’à la condition : ignorance]

« Il a été dit : ‘Avec la cessation de l’ignorance, cessent les formations mentales’. D’après vous, bhikkhus, avec la cessation de l’ignorance, les formations mentales cessent-elles ou ne cessent-elles pas ? Ou sinon, comment voyez-vous les choses ? »

« Vénérable, avec la cessation de l’ignorance, cessent les formations mentales. Nous voyons qu’avec la cessation de l’ignorance cessent les formations mentales. »

(Recapitulation sur la cessation des phénomènes) 

22. « Bien, bhikkhus. Dans ce cas, vous et moi, nous disons la même chose : ‘Quand ceci n’existe pas, cela ne vient pas à l’existence ; ceci cessant, cela cesse.’ C’est-à-dire qu’avec la cessation de l’ignorance, cessent les formations mentales ; avec la cessation des formations mentales, cesse la conscience (…) avec la cessation de la naissance, cessent le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, les peines, l’affliction et le désespoir. Telle est la cessation de tout ce monceau de souffrance.

(Connaissance personnelle) 

23. « Bhikkhus, sachant et voyant les choses ainsi, retourneriez-vous au passé en songeant : ‘Avons-nous existé dans le passé ? N’avons-nous pas existé dans le passé ? Qu’avons-nous été dans le passé ? Comment avons-nous été dans le passé ? Qu’est-ce que, ayant été [antérieurement], nous avons été dans le passé [proche] ?’ ? » — « Non, Vénérable. »

Bhikkhus, sachant et voyant les choses ainsi, vous précipiteriez-vous vers l’avenir en songeant : ‘Existerons-nous dans le futur ? N’existerons-nous pas dans le futur ? Que serons-nous dans le futur ? Comment serons-nous dans le futur ? Qu’est-ce que, ayant été [antérieurement], nous serons dans le futur ?’ ? » — « Non, Vénérable. »

« Sachant et voyant les choses ainsi, vous interrogeriez-vous avec perplexité sur le présent, en songeant : ‘Sommes-nous ? Ne sommes-nous pas ? Que sommes-nous ? Comment sommes-nous ? D’où sommes-nous issus ? Où allons-nous ?’ ? » — « Non, Vénérable. »

24.  « Bhikkhus, sachant et voyant les choses ainsi, vous exprimeriez-vous ainsi : ‘Nous respectons le Maître et parlons ainsi par respect pour le Maître’ ? » — « Non, Vénérable. »

« Bhikkhus, sachant et voyant les choses ainsi, vous exprimeriez-vous ainsi : ‘L’Ascète dit cela et nous le répétons parce qu’il nous le demande’ ? » — « Non, Vénérable. »

« Bhikkhus, sachant et voyant les choses ainsi, reconnaîtriez-vous un autre maître ? » — « Non, Vénérable. »

« Bhikkhus, sachant et voyant les choses ainsi, retourneriez-vous vers les rituels, les débats houleux et les augures des ascètes et des brahmanes ordinaires en pensant que ces pratiques sont le cœur de la vie religieuse ? » — « Non, Vénérable. »

« Bhikkhus, parlez-vous uniquement de ce que vous avez connu par l’expérience, que vous avez vu et compris par vous-mêmes ? » — « Oui, Vénérable. »

25. « Bien, bhikkhus. Vous avez donc été guidés par moi avec ce Dhamma qui est visible ici et maintenant et donne des résultats immédiats. Il invite à voir et à comprendre ; il conduit à la perfection ; et les sages en ont fait l’expérience directe. C’est en référence à cela qu’il a été dit : ‘Bhikkhus, ce Dhamma est visible ici et maintenant et donne des résultats immédiats ; il invite à voir et à comprendre ; il conduit à la perfection ; et les sages en ont fait l’expérience directe.’ »

 (Le cycle de l’existence : de la conception à la maturité) 

26.  « Bhikkhus, la conception [d’un être humain] se produit quand il y a réunion de trois éléments [le père, la mère et l’être destiné à être conçu]. Cependant, même si le père et la mère sont réunis, si la mère n’est pas dans sa période de fécondité et si le gandabbha[4] n’est pas présent, il n’y a pas de conception. Même si le père et la mère sont réunis et si la mère est dans sa période de fécondité, mais que le gandabbha n’est pas présent, il n’y a pas de conception. Cependant, si le père et la mère sont réunis, si la mère est dans sa période de fécondité et si le gandabbha est présent, alors, à cause de la réunion de ces trois éléments, la conception se produit.


27. « Ensuite, la mère porte le fœtus dans son utérus pendant neuf ou dix mois, avec beaucoup d’anxiété, comme une lourde charge. Ensuite, au bout de neuf ou dix mois, la mère donne naissance à l’enfant avec beaucoup d’anxiété, comme une lourde charge. Ensuite, quand l’enfant naît, la mère le nourrit son propre ‘sang’ — selon la terminologie de la discipline de l’Eveillé, le lait maternel est appelé sang.

28. « Lorsque l’enfant grandit et que ses facultés se développent, il joue à des jeux d’enfants, par exemple à la galipette ou avec un jouet charrue, un jouet moulin à vent, un jouet balance, un jouet charrette, un jouet arc, etc.

29. Ensuite, lorsque l’enfant grandit et que ses facultés se sont encore développées, il s’amuse au moyen des cinq liens au plaisir sensoriel dont il est pourvu, à savoir les formes matérielles connaissables par l’œil, voulues, désirées, agréables, plaisantes, liées au plaisir sensuel et générant la convoitise ; les sons connaissables par l’oreille … les odeurs connaissables par le nez … les saveurs connaissables par la langue …les choses tangibles connaissables par le corps, voulues, désirées, agréables, plaisantes, liées au plaisir sensuel et générant la convoitise.

(Continuation du cycle) 

30. Ainsi, lorsqu’il voit une forme par l’œil, il la convoite si elle est agréable et il la rejette si elle est désagréable. De cette façon, il demeure sans attention à son corps et avec un esprit limité. Il ne comprend pas, dans leur réalité, la libération de l’esprit et la libération par la sagesse au moyen desquelles ces états malsains peuvent être éliminés complètement chez lui. Engagé comme il l’est à convoiter ou rejeter au contact de n’importe quelle sensation — qu’elle soit agréable, désagréable ou neutre — il se réjouit de cette sensation, il accueille cette sensation, il y reste en s’y attachant[5]. Lorsqu’il se réjouit de cette sensation, lorsqu’il l’accueille, lorsqu’il y reste en s’y attachant, naît chez lui le plaisir. Quand le plaisir vient d’une sensation, il constitue l’attachement (upadana) ; avec l’attachement est conditionné le processus du devenir (bhava) ; avec le processus du devenir est conditionnée la naissance (jati) ; avec la naissance sont conditionnés le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, les peines, l’affliction et le désespoir. C’est ainsi qu’apparaît tout ce monceau de souffrance.

Lorsqu’il entend un son avec l’oreille … Lorsqu’il sent une odeur avec le nez … Lorsqu’il goûte une saveur avec la langue … Lorsqu’il touche une chose tangible avec le corps …. Lorsqu’il a connaissance d’un objet mental, il le convoite s’il est agréable et il le rejette s’il est désagréable … Quand le plaisir vient d’une sensation, il constitue l’attachement ; avec l’attachement est conditionné le processus du devenir ; avec le processus du devenir est conditionnée la naissance ; avec la naissance sont conditionnés le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, les peines, l’affliction et le désespoir. C’est ainsi qu’apparaît tout ce monceau de souffrance.

 (Fin du cycle : l’entraînement progressif) 

31. « Alors, bhikkhus, apparaît dans le monde un Tathagata qui est complètement et parfaitement éveillé, parfait en sagesse et parfait en conduite, sublime, connaisseur des mondes, incomparable guide des êtres qui doivent être formés, instructeur des dieux et des humains, un éveillé, un bienheureux. Ayant connu lui-même par expérience directe le monde — avec ses dieux, ses Mara et ses Brahma, cette génération et tous ses ascètes et brahmines, tous ses princes et ses gens — il le fait connaître. Il enseigne le Dhamma, bon en son début, bon en son milieu, bon en sa fin, bon dans sa lettre et dans son esprit et il exalte la vie religieuse absolument parfaite et pure.

32. « Alors un chef de famille, ou le fils d’un chef de famille, ou un individu né dans une autre famille entend ce Dhamma. L’ayant entendu, il ressent une confiance sereine en le Tathagata. Parce qu’il a cette confiance sereine, il réfléchit ainsi : ‘Cette vie au foyer est pleine d’obstacles et poussiéreuse ; la vie sans foyer est vaste et ouverte. Il n’est pas aisé de pratiquer la vie religieuse, absolument parfaite et pure comme une conque polie, en demeurant dans un foyer. Je pourrais me raser la barbe et les cheveux, couvrir mon corps de vêtements ocres et quitter ma maison pour mener une vie sans foyer.’ Plus tard, ayant abandonné l’ensemble de ses biens quelle qu’en soit la valeur, ayant abandonné ses parents et son entourage, quel qu’en soit le nombre, s’étant rasé la barbe et les cheveux, ayant couvert son corps de vêtements ocres, il quitte sa maison pour mener une vie sans foyer.

33. « Etant ainsi devenu moine, recevant la formation d’un bhikkhu et menant une existence vertueuse, il a cessé de tuer des êtres vivants et s’abstient désormais de tuer des êtres vivants. Ayant déposé le bâton, déposé les armes, décent, compatissant, il demeure plein de bienveillance et de pitié envers tous les êtres vivants. Ayant abandonné le vol, il s’abstient de prendre ce qu’on ne lui donne pas. En ne prenant que ce qu’on lui donne, en ne volant pas, il demeure dans un état de pureté. Ayant abandonné les relations sexuelles, il est chaste : il se tient à l’écart et s’abstient de cette pratique vulgaire que sont les rapports sexuels.

« Ayant abandonné la parole mensongère, il s’abstient de mensonges. Il dit la vérité, s’attache à la vérité ; il est sûr et digne de confiance ; il ne trompe pas le monde par sa parole. Ayant abandonné la parole calomnieuse, il s’abstient de paroles calomnieuses ; ce qu’il a entendu ici, il ne le raconte pas là-bas pour séparer ceux-là de ceux-ci ; ce qu’il a entendu là-bas, il ne le raconte pas ici pour séparer ceux-ci de ceux-là. Il ne parle qu’en vue de réconcilier ceux qui sont désunis ou d’accroître l’amitié. Il se plaît dans l’harmonie, il trouve son plaisir dans l’harmonie, il trouve sa joie dans l’harmonie. Il ne parle que pour créer l’harmonie. Ayant cessé de parler durement, il s’abstient de paroles dures. Il ne prononce que des paroles aimables, agréables à l’oreille, affectueuses, allant droit au cœur des gens, courtoises ; des paroles que beaucoup espèrent, bonnes pour beaucoup. Ayant abandonné les paroles frivoles, il s’abstient de propos frivoles ; il parle au moment opportun selon les faits ; il parle de ce qui est bien ; il parle du Dhamma et de la discipline ; ses paroles, prononcées au moment opportun, sont dignes d’être retenues, raisonnables, modérées et bénéfiques.

« Il s’abstient d’abîmer les graines et les plantes. Il ne prend qu’un seul repas par jour, s’abstient de manger pendant la nuit et hors du temps correct. Il s’abstient de spectacles de danse, de chant, de musique ou de théâtre. Il s’abstient du port de guirlandes, de l’usage de parfums et d’onguents. Il s’abstient de dormir dans des lits grands et hauts.

« Il s’abstient d’accepter de l’or et de l’argent, des graines crues et de la viande crue. Il s’abstient d’accepter des femmes et des jeunes filles, des esclaves hommes ou femmes. Il s’abstient d’accepter des chèvres, des moutons, des coqs, des porcs, des éléphants, des bovins, des chevaux et des juments. Il s’abstient d’accepter des champs ou des terres. Il s’abstient de faire des courses pour les autres ou de porter leurs messages. Il s’abstient d’acheter et de vendre. Il s’abstient d’utiliser de faux poids, de fausses pièces et de fausses mesures. Il s’abstient d’accepter des pots de vin, de tromper, de frauder et de tricher. Il s’abstient de blesser, de tuer, d’attacher ; il s’abstient de brigandage, de pillage et de violence.

34. « Il se satisfait des vêtements qui protègent son corps et de la nourriture offerte [dans son bol à aumône] dont il se sustente ; partout où il va, il n’emporte que cela. Tout comme un oiseau n’emporte que ses ailes partout où il s’envole, de même ce bhikkhu se satisfait des vêtements dont il protège son corps et de la nourriture offerte dont il se sustente et, partout où il va, il n’emporte que cela. Ainsi pourvu de ce noble ensemble de vertus, il éprouve intérieurement une félicité qui est irréprochable.

35. « Lorsqu’il voit une forme par l’œil, il n’en saisit ni l’apparence ni les traits. Du fait que, s’il laissait la faculté de l’œil sans surveillance, des états mauvais et malsains de convoitise et de chagrin pourraient l’envahir, il pratique en vue de sa modération, il surveille la faculté de l’œil et il entreprend de la maîtriser.

« Lorsqu’il entend un son avec l’oreille … Lorsqu’il sent une odeur avec le nez … Lorsqu’il goûte une saveur avec la langue … Lorsqu’il touche une chose tangible avec le corps …. Lorsqu’il a connaissance d’un objet mental par l’esprit, il n’en saisit ni l’apparence ni les traits. Du fait que, s’il laissait la faculté mentale sans surveillance, des états mauvais et malsains de convoitise et de chagrin pourraient l’envahir, il pratique en vue de sa modération, il surveille la faculté mentale et il entreprend de la maîtriser. Ainsi pourvu de cette noble maîtrise des facultés sensorielles, il éprouve intérieurement une félicité qui est immaculée.

36. « En allant et en venant, il est de plus en plus présent et conscient. En regardant devant ou autour de lui, il est de plus en plus présent et conscient. En étendant ou pliant ses membres, il est de plus en plus présent et conscient. Portant son bol à aumône et ses vêtements, il est de plus en plus présent et conscient. En mangeant ou en buvant, en mastiquant, en savourant, il est de plus en plus présent et conscient. En déféquant et en urinant, il est de plus en plus présent et conscient. En marchant, debout ou assis, en s’endormant ou en s’éveillant, en parlant ou en se taisant, il est de plus en plus présent et conscient.

37. « Ainsi pourvu de ce noble ensemble de vertus et de cette noble maîtrise des facultés sensorielles, pourvu de cette noble attention et de cette présence d’esprit, ce bhikkhu trouve un lieu isolé et paisible : une forêt, le pied d’un arbre, une montagne, une grotte, une caverne, un cimetière, un plateau boisé, un endroit découvert ou une meule de paille.

38. « Etant revenu de sa tournée d’aumône, après son repas, il s’assied en repliant et croisant ses jambes, il pose son corps bien droit et fixe son attention devant lui. Ainsi, ayant abandonné la convoitise pour les choses du monde, il demeure avec un esprit libre de toute convoitise ; il purifie son esprit de la convoitise. Ayant abandonné la haine et la méchanceté (vyapada), il demeure avec un esprit libre de toute méchanceté, bienveillant envers tous les êtres vivants, il purifie son esprit de la haine et de la méchanceté. Ayant abandonné la paresse et la torpeur (thinamiddha), il demeure avec un esprit libre de toute paresse et torpeur, attentif à la lumière et pleinement conscient, il purifie son esprit de la paresse et de la torpeur. Ayant abandonné l’agitation et le remords (uddhaccakukkucca), il demeure avec un esprit libre de toute agitation et remords ; l’esprit apaisé intérieurement, il purifie son esprit de toute agitation et remords. Ayant abandonné le doute (vicikiccha), il demeure au-delà du doute : il ne se pose aucune question à propos des états malsains, il purifie son esprit de tout doute.

39. « Ayant éliminé ces cinq entraves (pañca nivarana), imperfections de l’esprit qui affaiblissent la sagesse, s’étant éloigné des plaisirs des sens, s’étant éloigné des états d’esprit malsains, ce bhikkhu entre et demeure dans le premier jhāna … Ensuite, ayant mis fin au raisonnement et à la réflexion, il entre et demeure dans le deuxième jhana … Puis, se détournant du bonheur … il entre et demeure dans le troisième jhana. Enfin, s’étant débarrassé du plaisir et de la peine … il entre et demeure dans le quatrième jhana où ne sont ni plaisir ni douleur, mais qui est pureté d’attention parfaite due à l’équanimité.


(fin du cycle : la cessation complète) 

 40. « Désormais, lorsque ce bhikkhu voit une forme avec l’œil, il ne la convoite plus si elle est agréable ni ne la rejette si elle est désagréable. Il demeure attentif à son corps, l’esprit vaste et sans limite. Il comprend dans leur réalité la libération de l’esprit et la libération par la sagesse au moyen desquelles les états malsains peuvent être éliminés complètement.

Ayant ainsi abandonné convoitise et rejet, quelle que soit la sensation qu’il ressent — qu’elle soit agréable, désagréable ou neutre — il ne se réjouit pas de cette sensation, ne l’accueille pas, n’y reste pas attaché[6]. Ce faisant, le plaisir lié aux sensations cesse. Avec la cessation de ce plaisir, l’attachement cesse; avec la cessation de l’attachement, le processus du devenir cesse; avec la cessation du processus du devenir, la naissance cesse; avec la cessation de la naissance cessent le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, les peines, l’affliction et le désespoir. C’est ainsi que disparaît tout ce monceau de souffrance.

Lorsqu’il entend un son avec l’oreille … Lorsqu’il sent une odeur avec le nez … Lorsqu’il goûte une saveur avec la langue … Lorsqu’il touche une chose tangible avec le corps …. Lorsqu’il a connaissance d’un objet mental, il ne le convoite plus s’il est agréable ni ne le rejette s’il est désagréable. … Avec la cessation de ce plaisir, l’attachement cesse; avec la cessation de l’attachement, le processus du devenir cesse; avec la cessation du processus du devenir, la naissance cesse; avec la cessation de la naissance cessent le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, les peines, l’affliction et le désespoir. C’est ainsi que cesse tout ce monceau de souffrance.

(Conclusion) 

41.  « Bhikkhus, gardez en mémoire ce discours brièvement exposé par moi sur la libération par la destruction de la soif du désir. Et souvenez-vous du bhikkhu Sati, fils du pêcheur, comme étant tombé dans le grand filet du désir, dans la grande trame du désir. »

Ainsi parla le Bouddha. Les bhikkhus furent satisfaits et se réjouirent des paroles du Bouddha.

 


  

  (1) MA : Le but de cette comparaison est de montrer qu’il n’y a pas de transmigration de conscience par les portes des sens. De la même manière qu’un feu de bûches brûle en dépendance avec les bûches et cesse quand son combustible est épuisé sans transmigrer vers des fagots pour être reconnu comme un feu de fagots, la conscience née par les yeux en dépendance avec l’œil et les formes, cesse quand ses conditions sont retirées sans transmigrer vers l’oreille, etc. pour être reconnue comme conscience auditive, etc. Ainsi le Bouddha dit effectivement : « Pour ce qui concerne la conscience, il n’y a pas même la moindre transmigration de porte en porte, alors comment ce Sati malavisé peut-il parler de transmigration d’une existence à une autre ? » 
 
(2) Je considère ici que le sambhavesinam est l’un des rares exemples de participe futur actif en -esin (réf. Les Versets des Anciens 1 : Theragatha, n. 527 de Norman et Grammaire du Pali de Gelger, 193A.) Les commentateurs, que j’ai suivis dans la première édition de ce livre, considèrent -esin comme une formation adjectivale de esati, « chercher/rechercher » et expliquent donc cette phrase comme : « Ceux qui recherchent une nouvelle existence ». Le mot « aliment » (ahara) doit être compris ici dans un sens très large, en tant que condition majeure pour la continuité de la vie de l’individu. La nourriture physique (kabalinkara ahara) est une condition importante pour le corps physique, le contact pour la sensation, la volition mentale pour la conscience et la conscience pour le corps-esprit, l’organisme psychophysique dans sa totalité. La soif du désir est appelée « l’origine de l’aliment » dans la mesure où la soif du désir de l’existence précédente est à la source de l’individu présent avec sa dépendance et sa consommation permanente des quatre « aliments » dans cette existence. Pour une compilation annotée des textes canoniques et des commentaires sur les aliments, voir Les Quatre Aliments de la Vie de Nyanaponika Thera. 
 
(3) Ceci est dit pour montrer aux bhikkhus qu’ils ne doivent pas même s’attacher à la vision juste de la méditation de la vision pénétrante. La comparaison avec le radeau se réfère au MN 22.13. 
 
(4) MA : Le gandhabba est l’être qui va arriver. Ce n’est pas quelqu’un (c’est-à-dire un esprit désincarné) qui se tient à proximité à observer les futurs parents ayant un rapport sexuel mais un être poussé par les mécanismes du karma et qui doit renaître à cette occasion.  La portée exacte du mot gandhabba dans le contexte du processus de la renaissance n’est pas expliquée dans les Nikaya et, dans ce sens, le mot n’apparaît qu’ici et à 93.18. DN 15/ii.63 parle de la conscience comme « descendant dans l’utérus de la mère », ceci étant une condition pour que la renaissance ait lieu. Nous pourrions donc identifier le gandhabba ici au flot de conscience conçu de manière plus animiste comme provenant de l’existence précédente et apportant avec lui l’ensemble de l’accumulation de ses tendances karmiques et de ses traits personnels. 

(5) MA explique qu’il se délecte de la sensation douloureuse en s’y attachant avec des pensées de « je » et de « mien ». Pour confirmer l’assertion selon laquelle un être du monde peut se délecter de sensations douloureuses, on peut évoquer, outre les véritables masochistes, la tendance commune des gens à se mettre dans des situations difficiles pour renforcer ainsi leur sentiment d’exister / ego. 

(6) Cette phrase révèle que la chaîne d’interdépendance est brisée au maillon situé entre sensation et désir avide. La sensation apparaît nécessairement parce que le corps, acquis du fait de la soif du désir passée, est soumis à la maturation de karmas passés. Cependant, si on ne se délecte pas de la sensation, le désir avide n’aura pas l’occasion d’apparaître et d’enclencher les réactions de désir et d’aversion qui fournissent le combustible aux maillons suivants. Ainsi le cycle peut arrêter sa course.