Le Dhamma de la Forêt

Retraite de deux jours 

avec Ajahn Tiradhammo


Traduction de Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/



Enseignements donnés à Paris, lors d’une retraite organisée par Terre d’Eveil les 21 et 22 avril 2012.


Première journée


Le thème que nous allons aborder est l’enseignement bouddhiste relatif au non-soi. « Non-soi » est l’une des nombreuses façons de traduire le mot pāli anattā. C’est une traduction littérale mais nous en resterons là, pour l’instant, puisque nous allons développer le sujet tout au long de ces deux jours.

Traditionnellement, dans les enseignements bouddhistes, le non-soi est un thème de « contemplation », c’est-à-dire de réflexion profonde, plutôt qu’une prise de position philosophique. Il serait donc bien, dès le départ, que nous mettions autant que possible notre processus mental en sourdine. Bien entendu, concrètement parlant, pour la plupart d’entre nous, il est pratiquement impossible d’arrêter de penser sur commande, c’est pourquoi des exercices de méditation très concrets sont proposés. Ils rendent possible la mise en route d’un processus de réflexion méditative et le soutiennent. C’est une façon différente d’aborder les choses, différente de notre façon de penser habituelle.

En général, le processus de la pensée est très lié à notre sentiment d’exister, à l’image que nous avons de nous-mêmes. Par exemple, le matin, quand vous vous réveillez, si vous observez bien, vous remarquerez qu’il y a un éveil progressif de la conscience. Il s’agit d’abord d’une forme rudimentaire de conscience : peut-être la perception d’une lumière, d’un son. Ensuite, vous réalisez que vous êtes dans un certain lieu, à un certain moment. Et c’est alors seulement qu’arrive la conscience du moi : « C’est moi qui suis ici, en train de faire ceci ou cela ».

Si vous observez ce processus de réveil de la conscience de soi, vous remarquerez qu’au fil de la journée, votre perception de vous-même change. Par exemple, l’une des structures de base de la conscience est liée à nos ressentis. Vous vous réveillez le matin en vous disant : « Je ne me sens pas très bien aujourd’hui ». Mais, après avoir pris votre café ou un bon petit déjeuner, vous constatez que vous commencez à vous sentir mieux. Ensuite, vous sortez dans la rue, il pleut, il y a beaucoup de monde, et vous ne vous sentez plus aussi bien. Puis vous rencontrez un vieil ami et vous êtes heureux, vous sentez bien à nouveau ! C’est ce que l’on appelle les hauts et les bas de la vie.

Dans la pratique de la méditation bouddhiste, l’une des premières qualités qu’il faut développer est l’attention, la présence consciente à ce qui est. Bien sûr, nous avons tous déjà une certaine forme d’attention, à un niveau élémentaire, mais le Bouddha nous a encouragés à l’approfondir pour en faire une qualité fondamentale de notre être. En effet, si cette qualité d’attention est parfaitement développée, elle peut devenir une véritable force spirituelle. Il est impossible de décrire à quel point cette qualité d’attention peut transformer notre être si la présence consciente est continue. Elle engendre un immense approfondissement de notre compréhension des choses.

C’est cette qualité d’attention – parmi d’autres qualités spirituelles – que le Bouddha a développée dans sa pratique. Elle lui a permis de réaliser l’Eveil et c’est ensuite qu’il a formulé cet enseignement que l’on appelle « le non-soi ». Cet enseignement vient donc directement de l’Eveil du Bouddha ; ce n’est pas le fruit d’une réflexion intellectuelle dont il aurait fait un enseignement spirituel. Quant à nous, si nous réfléchissons à ce sujet à notre manière habituelle, nous n’obtiendrons pas une véritable « réalisation » du non-soi. Ajahn Chah disait que si nous pensons au non-soi, notre tête risque d’exploser !C’est pourquoi la pratique spirituelle commence par la méditation : pour calmer le processus de la pensée.

La clé de ce travail est la prise de conscience que la plupart de nos pensées tournent autour de nous- mêmes. Si nous observons le contenu de nos pensées, nous sommes obligés de constater que c’est généralement à nous que nous pensons. Il ne s’agit pas de porter un jugement moral, de dire que c’est bien ou mal, parce que, à un certain niveau, c’est nécessaire ; nous sommes bien obligés de nous dire : « Il faut que je fasse ceci, que je fasse cela » – mais jusqu’à quel point ? Au-delà d’un certain point, nous avons tendance à être obsédés par nous-mêmes et nos pensées nous rendent fous.

Donc, pour véritablement faire l’expérience du non-soi, il faut que cette expérience soit le fruit d’une pratique méditative. Dès son Eveil, le Bouddha a réalisé que le non-soi est l’une des vérités ultimes de la réalité. Ce n’est pas juste une idée bouddhiste. Le non-soi, en tant que vérité ultime, est présent tout le temps. Grâce aux exercices de méditation, au fait de concentrer l’attention sur un point unique, nous pouvons déjà avoir une petite expérience du non-soi, à n’importe quel moment – ce n’est pas une expérience réservée aux êtres éveillés ! Malheureusement, comme on le dit, il est facile d’être éveillé mais difficile de maintenir l’état d’Eveil : il arrive que nous oubliions complètement le « moi » pendant un instant mais que, la seconde d’après, il revienne à la charge.

Nous allons donc commencer par pratiquer la méditation, avant que notre mental ne se mette à surchauffer !

Instructions de base pour la méditation assise

Je vais commencer par donner quelques instructions de base.

Prenez une position assise, aussi confortable que possible.

Pour savoir si cette position est effectivement assez confortable, portez votre attention sur les sensations du corps. Comment est votre corps en ce moment ? Quel est le ressenti, l’état général du corps ? Par exemple, est-il plutôt détendu ou bien êtes-vous conscient d’une certaine tension ?

Prenez conscience de la sensation du poids du corps sur la chaise ou sur le coussin. Veillez à ce que le dos soit bien droit mais pas tendu. Observez les ressentis que vous pouvez avoir dans les mains : sont-elles tièdes ou plutôt fraîches ? Sont-elles détendues ou tendues ? Prenez simplement conscience de cet état d’être, dans l’instant présent.

Quand vous êtes à l’écoute du corps, que vous remarquez des tensions et que vous vous décontractez, vous constatez, par l’expérience directe, que vous vous sentez beaucoup mieux quand le corps est détendu.

Lorsque votre corps est assez paisible, assez détendu, portez l’attention sur la sensation de la respiration à son rythme naturel. L’idéal, c’est d’observer la respiration au niveau des narines. Essayez d’observer clairement cette sensation. Vous allez ressentir le contact de l’air au bord des narines : quand l’air entre, on ressent une certaine fraîcheur, quand l’air sort, on sent qu’il est plus chaud.

Si vous avez du mal à percevoir ces sensations, vous pouvez prendre quelques respirations profondes – inspirer profondément, expirer profondément – pour mieux reconnaître cette sensation. Imprégnez-vous ensuite de ce souvenir avant de revenir au rythme de la respiration naturelle.

Observez cette sensation de la respiration naturelle : est-elle assez claire, assez perceptible? Ou bien est-elle un peu abstraite, un peu vague ? Nous savons déjà à quel endroit du corps la sensation de la respiration peut être perçue : au niveau des narines. Nous utilisons donc ce point pour y focaliser notre attention.

L’attention est l’une des grandes forces de l’esprit et nous avons la capacité de la diriger sur un point précis. Par exemple, nous pouvons suivre les pensées qui nous passent par la tête, ou bien nous pouvons suivre la sensation de la respiration. Pour calmer l’esprit, l’un des principes de base consiste à se concentrer sur un seul objet ; c’est pourquoi nous ramenons sans cesse notre attention à cette sensation de la respiration à son rythme naturel.

Si votre attention s’égare, si elle vagabonde vers des pensées ou vers des sons venus de l’extérieur, ramenez-la tranquillement, patiemment, vers la sensation de la respiration. Le plus important est de garder une continuité dans l’observation. Il ne s’agit donc pas seulement de maintenir l’attention sur la respiration, mais aussi d’être capable de la ramener sur ce point unique aussi souvent que nécessaire. Quand on ramène sans cesse l’attention à la respiration naturelle, on s’aperçoit que l’attention finit par se poser juste là, naturellement.

(Méditation silencieuse) …

Où se trouve votre attention en ce moment ? Si elle n’est pas sur la respiration, ramenez-la au bord des narines.

(Méditation silencieuse) …

Si l’attention s’égare vers d’autres objets, prenez-en conscience et ramenez-la à la respiration. Il y a des sons à l’extérieur qui s’élèvent puis s’arrêtent, il y a des sensations dans le corps qui apparaissent puis disparaissent, il y a des pensées qui apparaissent et disparaissent… Nous en prenons conscience pour, ensuite, ramener l’attention à la respiration qui, elle, est un phénomène continu. Nous essayons de suivre, d’aussi près que possible, chaque inspiration et chaque expiration.

Le processus de la respiration est toujours présent, continu. Cette continuité inclut même les temps d’arrêt. Quand la respiration s’apaise, on remarque, à la fin de l’inspiration, une petite pause avant que l’expiration ne commence. Continuons donc simplement à suivre ce processus de la respiration d’aussi près que possible.

Pour vous aider à maintenir l’attention, vous pouvez, de temps en temps, reprendre conscience de l’état général du corps. Si, par exemple, vous constatez qu’une tension s’est installée – peut-être du fait d’un effort dans l’observation – profitez-en pour vous détendre.

(Méditation silencieuse) …

Où se trouve votre attention en ce moment ? Si elle n’est pas sur la respiration, ramenez-la à l’observation de l’entrée et la sortie de l’air dans le corps.

(Méditation silencieuse) …

Le corps est-il détendu ? Est-il tendu ? Avez-vous une impression de lourdeur ? De légèreté ? Y a-t-il un endroit particulier du corps où les sensations soient plus marquées ?

(Méditation silencieuse) …

Vous pouvez maintenant détendre votre posture et ouvrir les yeux.

*********

Cet exercice de méditation, qui consiste à focaliser l’attention sur la sensation de la respiration naturelle, n’est qu’un des nombreux exercices possibles de concentration. L’idée est de centrer son attention sur un objet unique, ce qui va permettre d’apaiser l’esprit. Comme il s’agit là d’un principe psychologique universel de l’esprit, cela signifie que, dans l’absolu, on pourrait concentrer son attention sur n’importe quel objet et obtenir le même résultat.

Traditionnellement, on alterne la pratique du développement de l’attention entre la méditation assise – où l’on concentre son attention sur la respiration – et la méditation en marchant, où l’on observe le contact entre la plante des pieds et le sol.

Instructions pour la méditation en marchant

Il existe différentes théories sur la méditation en marchant ; on la compare, notamment, à la méditation assise, en disant qu’elle plus active. En réalité, le but est simplement de pouvoir développer l’attention – cette attitude pleinement présente de l’esprit – dans toutes les postures.

Dans la méditation en marchant, le principe est le même que pour l’assise ; on change simplement l’objet sur lequel on va focaliser son attention. On va passer de la sensation de la respiration naturelle au niveau des narines, à la sensation du contact des pieds avec le sol. En général, quand on est assis, la sensation la plus constante et la plus clairement perceptible est celle de la respiration, tandis que, quand on marche, la sensation la plus constante et la plus clairement perceptible est le contact des pieds avec le sol.

Nous allons aussi devoir tenir compte du fait que, quand on marche, on a les yeux ouverts, ce qui signifie que beaucoup d’énergie risque de s’échapper par les yeux. C’est pourquoi il est bon de se fixer un trajet à suivre, un « chemin de méditation ». Si vous vous contentez de vous promener – dans une rue, par exemple – vous serez constamment obligé de regarder où vous posez les pieds, tandis que si vous faites des allers-retours sur le même petit trajet, la première fois, bien sûr, vous devrez regarder où vous posez les pieds mais, au bout de cinq ou dix allers-retours sur ces quelques mètres, vous y serez habitué. Vous pourrez alors retirer l’énergie que vous investissez habituellement pour regarder à l’extérieur et vous la concentrerez sur ce qui se passe à l’intérieur. On pourrait dire que l’on « dé-focalise » les yeux : on garde juste assez d’attention à l’extérieur pour garder l’équilibre et on dirige davantage d’énergie vers la sensation du contact entre la plante des pieds et le sol.

Vous serez peut-être conscient d’autres sensations – comme, par exemple, la fraîcheur de l’air sur votre visage – mais la sensation du contact entre les pieds et le sol devrait être assez forte pour que vous y reveniez sans cesse.

C’est probablement beaucoup plus facile en Thaïlande parce que l’on marche pieds nus et que l’on essaie d’éviter les fourmis : ces deux facteurs rappellent sans cesse l’attention au niveau des pieds, croyez-moi ! Mais, même quand on porte des chaussures ou des chaussettes, le fait de marcher engendre une sensation très forte au contact du sol.

J’ai une théorie personnelle à ce sujet. Je pense que, du fait que les pieds sont à l’opposé du cerveau, cette pratique permet d’équilibrer les énergies. La plupart des gens fonctionnent à partir de leur tête, de sorte qu’essayer de porter l’énergie et l’attention au niveau des pieds permet d’équilibrer les choses et d’enraciner une partie de cette énergie.

Mais, marcher de cette manière peut perturber les gens qui vous entourent. Je me souviens d’une retraite que j’avais donnée à Newcastle où les méditants sortaient dans la rue pour pratiquer la méditation en marchant. Un habitant du quartier, voyant des gens aller et venir sans cesse devant sa porte, a fini par appeler la police, pensant qu’il s’agissait de voleurs ! Quand on est dans ce genre de situation, mieux vaut faire en sorte de passer inaperçu en marchant consciemment, tout simplement. Il faut savoir s’adapter, être souple !

Mais quand la situation est favorable, voilà comment faire.

Si vous disposez de l’espace nécessaire, prévoyez un « chemin » où vous pourrez faire environ vingt pas. C’est suffisant pour entrer dans le rythme de la marche sans avoir le temps de partir dans les pensées et la confusion mentale. Vous pouvez définir votre chemin de méditation et même compter les pas, au départ, si vous voulez. Mais le plus important est d’arriver à bien ressentir ce contact entre les pieds et le sol.

Quand vous êtes debout, au début du chemin, commencez comme pour la méditation assise, en prenant conscience de la sensation générale du corps. Vous allez peut-être constater que vous êtes tendus ou que vous avez adopté une posture qui vous est habituelle, sans même vous en rendre compte – peut-être la posture du lundi matin, celle que l’on a quand on reprend le travail ou quand on monte dans le métro : une tension, une résistance… Commencez donc par prendre conscience des sensations du corps. Ensuite, essayez de voir à quel point cette posture vous est familière, à quel point vous y êtes identifié. L’identification au corps est l’une des bases de notre identification à un sentiment de moi.

Nous sommes tellement subtilement prisonniers de cette identification au corps, que nous n’en sommes presque jamais conscients. Si nous sommes gravement blessés, par exemple, nous n’allons pas penser : « Je suis différent ; je ne suis plus le même moi qu’avant ». Au contraire, une petite voix à l’intérieur va dire : « Non, ce n’est pas possible. Le moi que je connais n’est pas comme ça ! »

Donc, dans la méditation en marchant, commencez par simplement prendre conscience des sensations telles qu’elles sont – en général, cela permet déjà d’être plus détendu ; puis portez votre attention à tout le corps, depuis la tête jusqu’aux pieds ; et, enfin, concentrez cette attention sur le contact des pieds avec le sol. Commencez par prendre conscience de cette sensation du poids du corps pesant sur les pieds. Ensuite, au niveau de l’esprit, prenez conscience de votre intention de commencer à marcher. Essayez d’être attentif, de garder cette sensation dans votre esprit : vous avez clairement l’intention de marcher et vous commencez à avancer.

Là, vous pouvez essayer de suivre les sensations sous les pieds en gardant l’attention posée dessus autant que possible. Si votre attention s’éloigne, arrêtez-vous, ramenez-la à la conscience du contact entre le sol et les pieds puis reprenez la marche. Vous pouvez aussi simplement reposer rapidement votre attention sur la sensation sous les pieds tout en continuant à marcher.

Marchez à une allure naturelle sur vingt pas, à peu près. Une allure naturelle signifie que vous êtes à l’écoute de votre corps. C’est le corps qui va vous dire à quel rythme marcher. Après une vingtaine de pas, arrêtez-vous et faites demi-tour sur place. Reprenez conscience de l’ensemble du corps dans cette position debout. Ensuite voyez votre intention de reprendre la marche et, quand le corps est prêt, avancez.

Dans la théorie, c’est très simple. Le problème est que nous avons un esprit et que cet esprit va certainement nous éloigner de ces simples préoccupations ! Essayez de suivre ces instructions de votre mieux… tout en sachant que suivre les instructions n’est pas le but de la pratique ; elles servent seulement de cadre pour nous permettre d’observer ce qui se passe dans le corps et dans l’esprit.


Observation de la respiration dans la méditation assise

A présent, en passant de la posture debout en marche à la posture assise, nous allons changer le point d’attention. L’attention qui était posée sous la plante des pieds, va revenir à la respiration, au niveau des narines.

Comme vous le savez, nous commençons par poser l’attention sur l’ensemble du corps, tel qu’il est assis là. Nous pénétrons dans l’aspect physique du corps en observant les sensations. Par exemple, après avoir marché en méditation, nous pouvons nous poser la question : quel est l’état de mon corps maintenant ? Manifeste-t-il un regain d’énergie ? Ou, au contraire, a-t-il perdu de l’énergie en marchant ? Pour certaines personnes, la méditation en marchant est source d’énergie tandis que, pour d’autres, elle est très fatigante. Prenez conscience du degré de détente du corps, tel qu’il est, maintenant : peut-être y a-t-il une tension qui se manifeste. Et quelle est la température intérieure du corps : a-t-il chaud ou froid ? Tandis que vous prenez conscience de cet état général du corps, demandez-vous si cet état vous est familier ou s’il est légèrement différent par rapport à d’habitude. Pouvez-vous dire que ce corps tel qu’il est maintenant, dans cet état particulier, est indéniablement vous ? Et si l’état actuel de votre corps vous est inhabituel, qu’en dites-vous ? Est-ce vous quand même ?

Nous allons maintenant ramener l’attention à la sensation de la respiration à son rythme naturel. Comment est cette respiration, en ce moment ? Plutôt rapide ? Plutôt lente ? Est-ce qu’elle descend profondément dans le corps ? Ou bien est-elle légère, en surface ? Cette sensation actuelle de la respiration vous est-elle familière ou est-ce quelque chose de nouveau ? Et, si c’est nouveau, quel lien faites-vous entre ce ressenti de la respiration et vous ?

Cette fois encore, nous allons utiliser la sensation de la respiration naturelle comme point de concentration de l’attention. Tandis que vous accordez votre attention à cette sensation de la respiration, voyez si votre perception est claire et précise ou, au contraire, diffuse, un peu floue. En général, le ressenti de la respiration reste assez semblable, de sorte que cette clarté ou ce manque de clarté ne peut venir que de l’état de votre esprit.

Tandis que vous portez votre attention sur cette sensation de la respiration naturelle, êtes-vous capable de suivre cette sensation, de manière continue ? Sinon, où l’esprit s’en va-t-il ? Y a-t-il des pensées ou des souvenirs qui affluent ? Contentez-vous de le remarquer, de l’observer. Si vous entendez votre esprit juger, dire que c’est bien ou mal, mieux ou pire, voyez cela simplement comme une activité mentale parmi d’autres.

Dans l’instant présent, la seule réalité c’est l’inspiration et l’expiration. Vous aurez peut-être d’autres perceptions comme le chant des oiseaux venu du dehors, des tensions dans le corps ou une certaine activité mentale. A vous donc de choisir sur quoi poser votre attention. Allez-vous revenir à l’observation de la respiration ou vous éloigner avec le chant des oiseaux ?

Essayez de garder une continuité en suivant la respiration et vous constaterez peut-être que l’agitation mentale va s’apaiser.

(… Méditation silencieuse…)

Prenons conscience de l’état de ce corps, tel qu’il est, maintenant. Observons s’il y a des tensions ou si le corps est détendu. Il est possible que certaines parties du corps soient ressenties différemment, maintenant. Peut-être commencez-vous à avoir des douleurs aux genoux, au dos ou aux épaules. Dans ce cas, posez-vous la question : « Est-ce moi qui ai mal ? Etait-ce moi avant ces douleurs ? » …

Vous pouvez maintenant relâcher la posture et ouvrir les yeux.

Enseignement sur le non-soi

Nous allons reprendre le thème du non-soi. Il est important de voir clairement, dès le départ, que le Bouddha a enseigné le non-soi, mais qu’il n’a jamais dit qu’il n’existait pas de moi. Par contre, il nous recommande d’observer le « processus de construction d’un moi ». Le vrai cœur de la pratique consiste donc à observer la nature du processus qui crée le sentiment de moi.

Plus tard, le Bouddha a donné un enseignement, à propos de la vérité ultime et de la vérité conventionnelle, qui clarifie les choses. Il explique clairement qu’il parle parfois d’un moi « conventionnel » tandis qu’à d’autres moments, il s’exprime du non-soi du point de vue de la réalité ultime. Donc, attention, nous avons effectivement un moi sur le plan conventionnel. Par exemple, quand nous concentrons notre attention, il faut bien que nous ayons un certain contrôle de la situation ; nous pouvons délibérément diriger notre attention vers la respiration mais… pouvons-nous maintenir cette attention concentrée autant que nous le voudrions ? Avez-vous pu rester concentrés sur votre respiration pendant les vingt minutes de méditation que nous venons de faire ? Non ? Vous n’êtes pas aussi avancés que je le croyais ! Et vous n’avez pas obéi ! [rires] 

Ou bien il s’est passé quelque chose : vous – ou l’idée que vous vous faites de vous – n’avez pas eu la capacité de contrôler cette attention. Plus précisément, vous avez pu remarquer qu’il y avait un certain élément de contrôle mais aussi une absence de contrôle. A certains moments, vous avez suivi des pensées vagabondes et, à d’autres moments, vous êtes revenus au présent en vous disant : « Ah ! Il faut que j’observe la respiration ». Il y a donc bien un certain élément de contrôle, un moi qui contrôle mais, au final, il n’y en a pas. Nous pouvons donc parler d’un sentiment de moi « relatif » mais, au niveau ultime, qui contrôle votre attention ? Ou, plus précisément, qu’est-ce qui contrôle votre attention ?

On peut penser que c’est Dieu – mais c’est un peu facile : « Je ne contrôle pas tout mais c’est la volonté de Dieu ». Reconnaissons simplement qu’il y a un espace de notre conscience qui est sans contrôle, reconnaissons que nous ne maîtrisons pas tout. Du point de vue de l’observation attentive, de la présence à ce qui est, nous pouvons simplement prendre conscience qu’il y a un domaine où nous ne savons pas, où nous n’avons pas le contrôle des choses. Pour travailler sur ce domaine, il existe des thèmes classiques d’investigation comme « Qui suis-je ? » ou « Comment définiriez-vous votre moi ? » 

Le Bouddha a divisé l’être humain en cinq parties que l’on appelle « les cinq agrégats». La première partie est le corps : combien d’entre nous se définissent comme étant ce corps ? En réalité, cela dépend de ce que nous ressentons. Si mon corps est très détendu et que cela me donne un sentiment de bien-être et de plaisir, je vais dire : « Oui, ce corps est vraiment moi. Je me sens bien ». Mais qu’arrive-t-il quand votre genou vous fait mal, souhaitez-vous que ce corps, cette douleur, soit vous ? Il y a un élément de choix, ici, n’est-ce pas ? Mais nous pouvons aussi observer simplement la nature de ce corps.

Le mot « corps » est un nom, un substantif, un peu comme un objet. Mais quand on l’observe, on voit que, de par sa nature, le corps est un processus et donc sans cesse en mouvement, en train de changer. L’état de notre corps, tel qu’il est maintenant, est certainement différent de ce qu’il était il y a une demi-heure, il y a deux heures, etc.

Si nous prêtons une attention soutenue à l’aspect physique du corps, nous constatons qu’il se manifeste de différentes manières. Alors ? Laquelle est vraiment moi ? Si nous le ressentons de manières différentes, s’il se manifeste de manières différentes, à laquelle allons-nous nous identifier ?1 Quand on commence à percer à jour cette nature changeante et sans substance du corps, on se demande à quoi on va bien pouvoir s’accrocher : « Que suis-je, alors ? »

Quelqu’un m’a montré des photos de moi, de ce corps, quand j’avais douze ans, et je n’arrivais pas à croire que c’était moi [rires]. J’avais les cheveux plus longs ! Cela fait trente ans que je vois ma tête rasée alors voir cette tête-là… non ce n’était pas moi ! Je suis sûr que pour beaucoup d’entre nous, quand nous nous regardons dans le miroir, le matin, au saut du lit, nous nous disons : « Non ! Ce n’est pas moi ». Pour nous reconnaître, nous allons nous raser ou mettre un peu de maquillage… Mais, pour avoir une profonde compréhension de « je ne suis pas ce corps », il faut avoir vu le processus, en avoir eu une expérience directe. Sinon, quand quelqu’un vous demande qui vous êtes, vous répondez : « Je suis cela, ce corps que vous voyez là, bien sûr ! ».

Quand j’étais en Thaïlande, il y a quelques années, j’ai pratiqué très intensivement la méditation dans un monastère de forêt. J’ai commencé par des exercices de concentration sur la respiration et je pratiquais ainsi pendant de longues heures. Et voilà qu’un jour, un homme qui passait par là, s’est approché de ma petite hutte de méditation. J’ai entendu ses pas qui montaient les marches mais je n’ai pas bougé. J’avais l’impression d’être sur le point de trouver l’Eveil [rires] alors je n’avais aucune envie d’être dérangé ! Comme j’étais assis par terre, l’homme ne m’a pas vu tout de suite mais après, il a marché vers moi, s’est emparé de ma main, l’a secouée énergiquement et a dit : « Bonjour ! Je m’appelle Joe Smith ». Je l’ai regardé ; j’aurais voulu me présenter aussi mais je ne pouvais plus me rappeler mon nom : « Qui suis-je ? Je suis la respiration ! » A cet instant-là, c’est tout ce que j’étais ! Finalement, après avoir bien réfléchi, j’ai pu lui donner mon nom… Mais, dès que l’on dit : « Je suis Untel », tous les souvenirs, toutes les pensées affluent. Ce fut une expérience vraiment douloureuse. Je préférais de beaucoup observer ma respiration !

Pour avoir une expérience directe des choses, et notamment du non-soi, nous devons commencer par observer la nature du corps et la nature de l’esprit, ce qui va nous permettre d’avoir une compréhension différente de ce que représente le moi. Attention, toutefois, à ne pas trop théoriser sur la différence entre la dimension relative et la dimension ultime, car cela peut créer beaucoup de confusion dans l’esprit. Le bon côté de cette façon de présenter l’enseignement est qu’il est possible de rapprocher le relatif et l’ultime sans que l’un exclue l’autre. L’ultime est toujours présent mais nous pouvons aussi avoir des relations avec les gens à un niveau conventionnel. Par exemple, si vous avez conscience d’un certain état de votre corps, au lieu de faire comme certaines personnes qui s’attachent à l’idée d’absolu et vont nier cet état en disant : « Ce n’est pas moi, de toute façon ; ce n’est pas réel, au fond » – ce qui est une mauvaise compréhension du non-soi – vous pouvez voir que votre corps est dans cet état mais en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’un processus vivant et donc en constant changement. A l’opposé, s’il y a une douleur qui apparaît dans le corps, la plupart des gens s’identifient à la douleur et essaient de la faire disparaître tandis que, s’ils pouvaient ouvrir davantage leur champ de conscience, leur esprit serait plus détendu et cette douleur pourrait très bien disparaître d’elle-même.

Tout ce qui se manifeste dans le corps, ce sont des phénomènes qui passent, des processus à l’intérieur du processus qu’est le corps. La vision non « éclairée » des choses va être de dire : « Il y a un problème, il faut que je le résolve. » Mais alors, qui essaie de résoudre le problème de qui ? C’est une compréhension très limitée. Si on a une perspective plus vaste, grâce à l’attention, on obtient des résultats différents.

C’est pourquoi l’un des premiers enseignements du Bouddha sur le non-soi consiste à observer l’impermanence de toute chose. Dans la mesure où les choses changent tout le temps, qu’est-ce que ce corps exactement ? Puisque ce corps est un processus en changement constant, à quel aspect du corps va-t-on s’attacher ? Duquel va-t-on dire qu’il est moi ?

A nous d’approfondir cette question, de l’examiner en méditation.

Observation des ressentis dans la méditation debout

Nous allons commencer par une méditation debout. C’est l’adaptation d’un exercice appelé Kum-ney. Il s’agit, là encore, de prendre conscience des sensations corporelles ainsi que du ressenti qui accompagne ces sensations. Le ressenti peut être de trois sortes : agréable, désagréable ou neutre.

On commence par prendre conscience des pieds posés au sol, espacés à peu près de la largeur des épaules. Idéalement, on respire à la fois par le nez et par la bouche. Le bout de la langue reste en haut du palais. On peut, soit baisser le regard, soit fermer légèrement les yeux en veillant à bien garder l’équilibre. On essaie de soulever légèrement l’arrière de la tête. Les bras sont le long du corps. On respire à un rythme naturel, et on a conscience de toutes les sensations qui apparaissent dans le corps.

On réalise que les sensations sont simplement une forme de pression dans le corps, et avec chaque impression sensorielle, il y a un ressenti – agréable, désagréable ou neutre. L’idée est de maintenir notre attention sur les sensations et sur les ressentis qui peuvent naître avec elles.

On commence donc par prendre conscience des sensations dans le corps, puis on abaisse lentement le corps en maintenant les pieds bien à plat au sol. Le corps descend lentement et on observe les sensations qui apparaissent, en particulier dans les jambes. Quand vous arrivez à des sensations trop inconfortables, marquez une pause en restant au niveau où vous êtes, soyez simplement conscient de ces sensation, de cette pression, et voyez si vous pouvez vous détendre un peu en respirant dans la sensation.

On redresse lentement le corps. On se retrouve dans une position debout qui nous est familière. Quel type de ressenti avez-vous maintenant ?

Les deux mains sont devant soi, au niveau du ventre, le bout des doigts se touchent. On lève l’arrondi des bras très lentement en restant bien conscient des sensations. On prend conscience des changements subtils dans les sensations, peut-être dans les bras, peut-être aussi dans le corps. Quel est le ressenti ? Agréable, désagréable ou neutre ? On s’arrête maintenant de bouger les bras, on les laisse où ils sont. Cette sensation vous est-elle familière ? Ou bien y a-t-il quelque chose de différent, de nouveau ?

On reprend le mouvement en continuant à lever mains et bras lentement jusqu’au niveau des yeux et on observe à nouveau la sensation générale du corps. Quel est le ressenti ? Est-il familier ou nouveau ?

On monte encore un peu les bras. Si vous remarquez des sensations particulièrement fortes, essayez de vous détendre en respirant dedans au lieu de tenir par la force de la volonté.

On continue à élever bras et mains jusqu’à ce qu’ils arrivent au-dessus de la tête et on s’arrête là un moment. Maintenant quelle est la sensation la plus forte dans le corps ? Si vos amis vous voyaient là, tels que vous êtes, vous reconnaîtraient-ils ?

Montez encore un peu les mains comme si vous essayiez de toucher le ciel, aussi haut que possible. Arrêtez-vous là et observez le ressenti général du corps : agréable, désagréable, neutre ?

Maintenant, laissez lentement descendre les bras… Mains et bras sont maintenant le long du corps et vous les laissez se détendre. Quel est le ressenti du corps maintenant ? Est-ce une sensation familière ? Comment est votre respiration ?

Lentement, consciemment, asseyez-vous pour enchaîner avec une méditation assise.

Observation de l’impermanence dans la méditation assise

Observez comment vous vous sentez alors que vous êtes dans la même position physique que tout à l’heure : quel est l’état du corps en ce moment ? Essayez de sortir de tous les concepts, de toutes les idées préconçues que vous pourriez avoir sur l’état de votre corps et entrez plutôt dans l’expérience directe de vos sensations.

Parfois il faut laisser le corps bouger un peu ou changer de position pour qu’il soit vraiment détendu. Faites ce qu’il faut pour vous sentir confortablement installé.

Portez à présent votre attention sur la sensation de la respiration à son rythme naturel. Voyez si vous pouvez être conscient de cette respiration tandis que l’air entre dans le corps. Etes-vous conscient de l’inspiration qui fait entrer l’air par les narines, remplit les poumons, passe par le plexus solaire et fait soulever l’abdomen ? Pouvez-vous également suivre le chemin inverse avec l’expiration ?

On peut aussi faire l’expérience de la respiration au niveau de l’abdomen… Votre ressenti du corps est-il différent, dans ce cas ?

La respiration est une référence à soi qui nous est familière: je respire. Nous savons que nos différents états d’esprit, notre humeur, nos émotions peuvent avoir une répercussion sur notre respiration mais l’inverse est vrai aussi : si nous respirons différemment, cela va avoir une répercussion sur notre état d’esprit. Observez. Prenez le temps d’observer votre état d’esprit actuel, de voir son degré de clarté, d’éveil, de présence. Essayez ensuite de voir s’il existe un lien entre cet état d’esprit et votre façon de respirer.

Nous observons donc la respiration et nous l’utilisons pour y concentrer notre attention. Le simple fait de nous intéresser à notre façon de respirer peut nous aider à développer plus de clarté dans l’esprit, plus de présence.

Nous pouvons observer la respiration du début de l’inspiration jusqu’à la fin; ensuite, il y a une petite pause, puis nous observons le début de l’expiration et nous la suivons jusqu’à la fin. Essayez de voir s’il y a des changements subtils, des petites nuances d’une respiration à l’autre parce que, en réalité, nous ne respirons jamais deux fois de la même façon.

Ces instructions de méditation sont des bases vers lesquelles vous pouvez toujours retourner, de façon à avoir des fondements stables pour votre pratique. Ensuite, progressivement, vous ajouterez d’autres éléments pour vous permettre d’élargir votre expérience. Ceci dit, si certaines des instructions que je vous donne ne vous conviennent pas ou si elles créent de la confusion dans votre esprit, laissez-les de côté pour l’instant et travaillez simplement sur les bases.

Enseignement sur les ressentis

Je vais maintenant parler de l’un des aspects cruciaux de notre expérience : les ressentis (vedana, en pāli). Les ressentis naissent de nos contacts sensoriels et peuvent être de trois sortes : agréables, désagréables ou neutres. Cela a l’air très simple : il y a un seul corps et seulement trois types de ressentis… mais ce n’est que la base de l’édifice !

Il y a parfois des problèmes de traduction pour ce mot pāli vedana. On le traduit souvent par le mot sentiment mais ce mot est généralement utilisé pour parler des émotions. Par exemple, si on demande à quelqu’un : « Comment vous sentez-vous ? » il ne répondra pas : « Je me sens agréable / désagréable / neutre ». Il dira plutôt : « Très bien » ou : « Pas trop bien ». Or, dans la psychologie bouddhiste, on considère ce genre de réponses comme faisant référence à un « état d’esprit », tandis que le « ressenti » est simplement la tonalité de base de l’émotion.

Je sais bien que cela peut paraître un peu limité par rapport à l’étendue des émotions que l’on peut ressentir. Si vous demandez à quelqu’un comment il se sent, qu’il dit : « Très bien » et que vous lui répondez : « Oh, ce n’est jamais qu’une sensation agréable ! » – cela fait un peu retomber son enthousiasme. Ou bien si la personne répond : « Je ne vais pas bien du tout » et que vous lui répondez : « Oh, ce n’est jamais qu’une sensation désagréable », ce sera peut-être mal reçu !

Le ressenti est donc la couleur générale de l’émotion, sa tonalité. C’est une notion très fondamentale dans la psychologie bouddhiste parce que le ressenti est présent à un niveau très élémentaire ; il arrive avant que nous créions des émotions, avant que nous ajoutions des pensées et que nous brodions des histoires autour d’elles. Tous les êtres, même les animaux, ont ces ressentis ; même l’esprit d’un reptile a des ressentis de ce type, car ils existent avant que la pensée n’intervienne.

Or une grande partie de notre identification à un moi se situe à ce niveau-là. On peut dire que, de manière très basique, le je réclame des sensations agréables, le je ne veut pas de sensations désagréables et le je n’est pas très clair à propos des sensations neutres. Voilà ce qui se passe exactement : quand une sensation désagréable se présente, le moi surgit et dit : « Je veux m’en débarrasser » ; et quand une sensation agréable apparaît, le moi surgit pour dire : « Je la veux et je veux la garder ». Mais si on arrive à poser l’attention au niveau où les ressentis apparaissent, on va voir la naissance du moi – le moment où il apparaît – et également la mort du moi avec le lâcher-prise.

Le but de cet enseignement est de nous permettre de développer un nouvel aspect de la conscience. Ce type d’expérience se produit tout le temps puisque, tant que l’on est conscient, on a des ressentis. Dans les enseignements bouddhistes, on dit que l’on est conscient depuis la naissance jusqu’à la mort. C’est donc vraiment un aspect de notre expérience qu’il est très important de connaître. Si vous oubliez toute la théorie mais que vous examinez simplement l’apparition des ressentis, vous aurez l’occasion de voir comment le moi apparaît, comment il naît, et aussi comment il disparaît.

Vous croyez que c’est possible ? Il faut essayer !

Question : Qu’est-ce qu’un ressenti neutre ?

C’est un ressenti qui n’est ni agréable, ni désagréable. On peut dire qu’il y a une espèce de continuum avec, d’un côté, toutes les nuances de l’agréable, depuis l’extase jusqu’à l’assez agréable ; puis vient quelque chose d’intermédiaire ; et ensuite commence l’autre côté, depuis le légèrement désagréable jusqu’à l’horriblement déplaisant. Ce que l’on appelle « ressenti neutre », c’est cette zone intermédiaire, « grise », entre l’agréable et le désagréable. Par exemple, quand vous êtes en position debout, avant de commencer à marcher, si vous ne remarquez pas de ressenti particulier, c’est qu’il s’agit d’un ressenti neutre.

On peut aussi s’exercer à observer les ressentis neutres. C’est généralement plus difficile à observer. Quand un ressenti est fort – agréable ou désagréable – c’est plus facile. Mais il est tout de même intéressant de savoir qu’il existe aussi des sensations neutres.

Attention aux sensations et aux ressentis dans la méditation assise

Nous allons utiliser notre capacité à être directement conscients des sensations au lieu de faire appel à nos perceptions habituelles, au souvenir de perceptions que nous avons pu avoir précédemment.

Parfois, en portant l’attention sur les sensations physiques, nous pouvons avoir une soudaine compréhension très claire de l’aspect changeant de ce corps. C’est alors que l’on ressent dans le corps, de manière immédiate. Tandis que si nous continuons à nous appuyer sur des concepts, sur l’image que nous avons de notre corps, nous aurons l’impression qu’il s’agit toujours du même corps. Bien sûr, il y a une certaine continuité dans la similitude. Je peux penser, par exemple, que mon genou me fait toujours aussi mal mais, si j’observe les choses de manière plus directe, dans le détail, je remarquerai que cette douleur est différente de celle d’avant : peut-être plus virulente, peut-être moins… Essayons donc de rester au niveau de l’expérience directe, du ressenti immédiat du corps.

D’une certaine manière, ce ressenti n’est pas vraiment fiable puisqu’il change sans cesse, mais c’est précisément l’occasion de constater la véritable nature des phénomènes – leur nature changeante, impermanente.

Je vous propose de porter votre attention sur les ressentis de manière générale, sur tout ce qui est physique, qui relève du corps. Diriez-vous qu’il y a actuellement en vous un sentiment général agréable, pas très agréable, ou simplement neutre ?

Il peut y avoir des ressentis associés à différents endroits du corps. Par exemple, si vous portez votre attention sur le haut de la tête, maintenant, quel est le ressenti à cet endroit ? Agréable, désagréable ou neutre ? Dans la mesure où nous sommes conscients, il y a nécessairement un ressenti et s’il ne se manifeste pas clairement comme étant agréable ou désagréable, c’est probablement qu’il est neutre. Portez à présent votre attention sur l’arrière du cou : y a-t-il une sensation particulière à cet endroit et, s’il y en a, quel est le ressenti ?

L’attention continue à descendre sur l’arrière des épaules. Même s’il n’y a pas de sensation claire à cet endroit, nous savons où il se situe dans le corps et nous pouvons donc en prendre conscience. Nous pouvons essayer de voir s’il y a, dans cette zone, des ressentis qui soient perceptibles. Portez ensuite l’attention au milieu du dos, et voyez également si vous percevez des ressentis.

Continuez à descendre vers les fessiers et le contact avec la chaise ou le coussin. Il y a certainement une sensation assez claire là où le poids du corps fait pression. Ce ressenti est-il, en lui-même, agréable, désagréable ou neutre ? Essayez de voir cela avant qu’un « moi » intervienne pour dire : « J’aime bien cette sensation » ou « Je ne l’aime pas » ou « Je n’en suis pas conscient », ce qui serait déjà un état d’esprit, c’est-à-dire un mouvement de l’esprit qui interprète le ressenti sur un plan personnel.

Continuez à faire glisser l’attention le long des jambes. Quel est le ressenti au niveau des genoux ? On continue à descendre : on observe le ressenti au niveau des chevilles…

Ensuite on passe sur le devant du corps… on remonte jusqu’au niveau de l’abdomen et, là encore, on observe les sensations et les ressentis qui y sont associés. Peut-être ces ressentis sont-ils légèrement agréables ou plutôt désagréables. Quand le ressenti est léger, il est probable qu’on n’en serait pas conscient si on ne posait pas délibérément l’attention à cet endroit.

On monte à présent vers la zone du plexus solaire, et on observe le ressenti. Il peut se manifester physiquement sous la forme d’une sensation de lourdeur ou de tension. On fait passer l’attention au centre même de la poitrine ; c’est une zone où, en général, on ressent physiquement les émotions, de sorte que vous y trouverez certainement des ressentis. Parfois les ressentis se confondent avec les sensations ; il peut aussi y avoir confusion entre le physique et le mental. Par exemple, il peut y avoir une certaine pression dans la poitrine, mais le fait d’en prendre conscience peut être agréable sur le plan mental.

On arrive maintenant au niveau de la gorge : c’est une zone du corps sur laquelle on porte rarement son attention mais qui est souvent chargée de ressentis. Portez à présent votre attention sur la mâchoire inférieure : peut-être y a-t-il une certaine tension qui crée un ressenti désagréable. Faites glisser l’attention vers les narines. Là, nous avons une sensation familière d’inspiration et d’expiration – quel est le ressenti qui y est associé ? Il y a un aspect physique mais ce ressenti peut également être associé à un état d’esprit, à une activité mentale.

Vous pouvez maintenant poser votre attention sur cette sensation de la respiration naturelle et voir s’il y a un ressenti particulier qui y est associé. Ce ressenti peut même changer quand vous passez de l’inspiration à l’expiration. Observez finement tous les détails.

….

Quel est le ressenti le plus net en ce moment ?… Quand vous avez conscience de ce ressenti, remarquez-vous une réaction dans le corps ? Est-ce un ressenti agréable ou un ressenti désagréable qui prédomine ? Peut-être est-ce un ressenti neutre ?...

Vous pouvez détendre votre posture assise et ouvrir les yeux.

Comment le moi est fabriqué à partir des cinq agrégats

Peut-être avez-vous remarqué les mots qui ont été écrits au tableau ? Je ne voudrais pas trop agiter votre esprit pensant, mais quelques notions peuvent apporter un contexte conceptuel à certains des exercices que nous avons faits ou des thèmes que j’ai abordés. J’ai évoqué plus tôt les cinq « agrégats »: c’est l’une des façons dont le Bouddha a décrit l’être humain, ce complexe corps-esprit. Il y a plusieurs manières d’en parler mais c’est là une façon assez simple – seulement cinq composants – qui est aussi, d’une certaine manière, liée au développement de l’attention que nous pratiquons en méditation (vous reconnaissez, par exemple, les deux premiers agrégats : le corps avec les sensations et les ressentis). C’est également lié au thème de cette rencontre puisque les fondements de la notion de moi viennent directement de notre attachement à l’un de ces cinq agrégats ou à tous.

Nous sommes tous composés de ces cinq facteurs [le corps, les sensations, les perceptions, les fabrications mentales et la conscience sensorielle], même les êtres éveillés. Le processus de fabrication du moi est lié à la saisie, à l’attachement. Mais, si on arrive à voir qu’il s’agit d’un processus dynamique, on s’aperçoit qu’il est possible de le laisser passer, de lâcher prise. La saisie est un mécanisme qui s’est mis en place ; il est donc possible de le défaire. Par exemple, avec les sensations du corps et ensuite avec les ressentis, nous pouvons prendre conscience du processus de notre sensorialité de manière presque directe. Si vous êtes conscient de sensations physiques dans le corps, certaines agréables, d’autres désagréables, lesquelles préférez-vous ? Bien sûr, tout le monde préfère celles qui sont agréables ! C’est la base de la sensorialité. Il y a une sensation agréable et, tout de suite après, apparaissent le « j’aime ça » et le « je le veux ». Cela revient à l’éveil d’un désir sensoriel : aimer, vouloir, désirer satisfaire nos sens.

Un ressenti neutre peut également être désirable et certaines personnes apprécieront même un ressenti désagréable parce qu’il leur donne un point de référence, un moyen de se définir. Ne ressentir aucune sensation dans le corps peut paraître effrayant, comme une perte d’identité. Dans ce cas, certains préféreront avoir mal que ne rien ressentir du tout.

Dans la réalité, nous avons les sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher et les pensées. Prenons un exemple simple : les sons. Un son est produit et, si vous êtes conscient de ce son, vous voyez aussitôt votre mental s’élancer vers le son et se dire : « Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? Je veux comprendre ce son pour pouvoir le maîtriser ».

J’ai vécu en Thaïlande pendant plusieurs d’années et, plus récemment, en Nouvelle-Zélande. Dans ces deux pays, on entend parfois des bruits très inhabituels. En Nouvelle-Zélande, il y a des chants d’oiseaux qui sont nouveaux pour moi et, en Thaïlande, il y a beaucoup d’animaux, d’insectes et de plantes étranges. Souvent, on prend conscience que l’esprit saute vers l’extérieur en se demandant : « Mais qu’est-ce que c’est ? ». A un niveau très primaire, si on n’a pas la réponse à cette question, on peut être en danger – pas en Nouvelle-Zélande où il n’y a rien de dangereux… sauf les tremblements de terre ! Mais dans la jungle thaïlandaise, il faut faire très attention aux serpents. Normalement, ils ne nous dérangent pas mais on ne sait jamais, il peut y en avoir un de mauvaise humeur ! En Nouvelle-Zélande, il n’y a pas de serpents mais j’avais tellement pris l’habitude de faire attention aux serpents que,pendant mes trois premières années en Nouvelle-Zélande, j’ai veillé à ne pas marcher sur un serpent jusqu’au jour où j’eus une révélation : il n’y a pas de serpents en Nouvelle-Zélande ! Par contre, il y a d’énormes racines d’arbres qui peuvent ressembler à des serpents… [rires]

Il y a donc un niveau où nous sommes simplement conscients de nos impressions sensorielles et, à ce niveau-là, il est possible de voir comment le moi se construit. Il s’agit du troisième agrégat que l’on appelle « perception » ou « mémoire ». C’est là que nous rendons nos ressentis « personnels » : agréables, désagréables ou neutres. Au départ, il y a une simple sensation et puis le reste se passe dans l’esprit. Quand nous disons, par exemple : « Aïe ! Ça fait mal ! », c’est personnel puisque chacun a un seuil de tolérance à la douleur différent et que chacun a sa propre définition de ce qui est agréable et désagréable. Nous construisons donc un certain sentiment de moi autour de ces ressentis, autour de nos souvenirs et de nos perceptions. Si seulement nous pouvions être plus conscients de la nature de nos ressentis [voir qu’ils sont impermanents et conditionnés]… mais, malheureusement, c’est au-delà de notre façon habituelle de les considérer.

Disons que je préfère les ressentis agréables. Par voie de conséquence, je suis intérieurement orienté vers ce qui est agréable. Si un ressenti désagréable survient, je vais commencer par le nier. Ensuite, s’il faut vraiment y faire face, je vais essayer de le bloquer autant que possible mais, ce faisant, je lui donne encore plus de force et de réalité. C’est d’ailleurs également vrai avec les sensations agréables. Je vois apparaître un ressenti agréable et je me dis : « J’aime ça, je le veux ». Alors je m’en saisis, je le serre bien fort… au point, en général, de le tuer ! De toute façon, le temps que je m’en saisisse et que j’essaie de le garder, il est déjà parti !

Au printemps, en Nouvelle-Zélande, notamment à Wellington où j’ai résidé pendant plusieurs années, il y a beaucoup de vent et de nuages, de sorte que le ciel change très, très vite. Dans ma petite cabane au sommet de la forêt, quand je voyais un peu de soleil, je sortais pour en profiter, mais très vite les nuages arrivaient et il faisait de nouveau très froid. C’est souvent la même chose avec les ressentis agréables : dès que nous essayons de nous en accaparer, ils disparaissent ! Par contre, si nous observons simplement la nature des ressentis de manière objective plutôt que subjective – c’est-à-dire à partir de nos préférences ou de nos habitudes – nous constatons à quel point ils sont éphémères, changeants et impermanents.

Quand nous voyons qu’ils changent effectivement beaucoup, nous comprenons qu’ils sont moins fiables, moins sûrs que nous ne le pensions, et nous ne leur accordons plus autant d’intérêt. Nous remarquons même que, si nous ne sommes pas en train de rechercher des ressentis agréables ou d’éviter ce qui est désagréable, nous sommes le plus souvent dans des ressentis neutres – chose dont nous n’avions pas conscience avant.

Nous passons beaucoup de temps à rechercher des sensations agréables. Nous pourrions presque avoir un petit compteur qui mesurerait combien de ressentis agréables nous avons eu dans la journée. Mais, quand on a la chance d’avoir une expérience directe de ce qui est une partie fondamentale de notre être, on retire l’intérêt que l’on portait aux ressentis et on arrête ainsi de continuer à fabriquer le sentiment d’un moi.

Quand le Bouddha essayait d’expliquer le concept du soi, il parlait surtout de la façon dont il apparaît. En pāli, on dit ahankara, ce qui signifie « créer le moi ». Logiquement, nous pouvons nous dire que, si nous devons sans cesse recréer le moi, cela signifie que, fondamentalement, il n’existe pas !

Effectivement, sur le plan pratique, nous avons parfois besoin de faire référence à « je », « moi » ou « le mien ». Quand vous voyagez d’un pays à l’autre, les douaniers veulent savoir qui vous êtes. Mais il est bon de se souvenir qu’il s’agit seulement là d’une façon conventionnelle de communiquer entre nous. Dès lors, on peut l’utiliser si c’est nécessaire et la lâcher quand ça ne l’est plus. Nous pouvons ainsi voir comment nous créons différentes formes de moi. Comment créez-vous votre moi le plus familier ? A partir du corps ? Des sensations physiques ? Des ressentis ? Des pensées ? Les pensées sont le quatrième des cinq agrégats. Comme dirait Descartes : « Je pense, donc je suis. » Mais alors, quand nous ne sommes pas en train de penser, qui sommes-nous ? Attention, si vous n’êtes pas en train de penser, on va vous enfermer parce que vous ne serez plus personne ! [rires]

Ou bien êtes-vous conscients de vos sens ? La conscience sensorielle, le cinquième agrégat, est quelque chose de plus subtil. Le Bouddha a dit que, si nous sommes vraiment attentifs à la conscience sensorielle, nous voyons qu’elle change tout le temps, elle aussi. Il y a la conscience de ce que l’on voit, de ce que l’on entend, de ce que l’on sent, de ce que l’on goûte, de ce que l’on touche et de ce que l’on pense. Parfois cette conscience sensorielle est claire, parfois confuse. Le problème est que nous utilisons seulement notre pensée pour observer tous ces processus or la pensée est elle-même un rouage essentiel dans la fabrication du moi, de sorte que nous nous retrouvons avec le moi qui pense à un moi, qui pense à un moi, etc. et tout ce que l’on obtient, c’est un gros mal de tête !

Si nous parvenons à observer cela simplement et à voir qu’il s’agit d’un processus sans fin, nous pouvons réussir à le lâcher. Malheureusement, ce n’est pas facile car nous devons tenir compte de nos habitudes. Penser est une habitude. Mais apprendre l’exercice qui consiste à revenir à l’observation de la respiration peut nous aider à rompre avec cette vieille habitude de toujours penser. J’espère donc que vous pourrez maintenir cette pratique et vérifier les résultats par vous-mêmes.

J’espère que les cerveaux ne bouillonnent pas trop ! Ce n’était qu’un thème de réflexion, de contemplation.

Nous pouvons maintenant passer à la méditation en marchant.

Concentration et pleine conscience en marchant

Le pied se lève puis s’abaisse. Il n’y a pas toujours une sensation solide sous le pied, pas toujours la sensation de toucher le sol. Mais, si vous avez conscience des pieds en train de marcher, vous pouvez probablement aussi être conscient des différentes sensations du processus de la marche. Cela permet d’élargir la zone d’attention. Vous pouvez prendre conscience du mouvement du pied tandis qu’il se lève, qu’il s’avance et qu’il s’abaisse. Ensuite la sensation du poids du corps qui passe d’une jambe sur l’autre.

Si votre esprit est très agité et que la sensation de poser le pied au contact du sol suffit à garder votre attention présente, vous pouvez vous limiter à cela. Mais si votre esprit est plus calme, vous pouvez essayer de décomposer davantage les mouvements du pied. Il y a donc plusieurs options : soit vous observez une seule étape : vous faites un pas et vous sentez le pied se poser au sol ; soit deux étapes : vous levez le pied consciemment et vous baissez le pied consciemment ; soit trois étapes : vous sentez le pied se lever, s’avancer puis se poser. En fait, vous observez tout ce qui peut aider à maintenir l’attention présente.

Vous pouvez aussi, soit pratiquer une attention concentrée, soit développer la pleine conscience du processus de la marche. L’idéal est que les deux aillent de pair : concentration et pleine conscience. Parfois, ces deux aspects de la pratique s’opposent. Par exemple, si on regarde de manière trop étroite, l’esprit risque d’être tellement enfermé qu’il va être facilement distrait. Inversement, si l’attention est ouverte à tout ce qui se présente, l’esprit risque d’être distrait. De manière générale, on peut dire qu’un peu de concentration permet de poser l’esprit et qu’il faut rester assez flexible.

Maintenant, à vous de voir ce qui fonctionne pour vous !

L’attention à l’esprit dans la méditation assise

Nous commençons par prendre conscience du corps, tel qu’il est en cet instant. Il se peut qu’il y ait des endroits où les sensations soient plus fortes. Vous remarquerez peut-être aussi que certaines sensations reviennent régulièrement. Il est possible, dans ce cas, qu’une partie du moi soit investie dans ces sensations. Comme nous l’avons dit, le corps est l’une des sources de notre identification à un moi et il est possible que cela devienne plus évident quand nous sommes plus détendus que d’habitude.

Il y a les habitudes du corps, les références que nous avons à ce corps, la personne que nous avons identifiée à ce corps… Nous ne sommes probablement pas conscients du degré auquel nous sommes attachés et identifiés à ce corps.

Est-ce que nous tenons le corps et la tête bien droits ou est-ce que nous avons tendance à laisser le corps s’affaisser ? Ces tendances ont peut-être créé une image que nous avons de nous-mêmes mais, en nous détendant, il est possible de nous en libérer. A d’autres moments, si nous portons notre attention sur des endroits du corps où il y a des sensations particulièrement fortes, nous pouvons les réactiver délibérément pour nous donner l’occasion de libérer le sentiment de moi que nous avons investi en elles.

Nous continuons à utiliser la respiration comme principal ancrage de l’attention ; c’est notre point de référence. L’une des choses sur lesquelles on insiste, dans la méditation, c’est la concentration de l’attention sur la respiration qui crée un sentiment de rassemblement des énergies, de calme mental.

On peut également utiliser la respiration comme un exercice pour développer l’attention au fait que la respiration est un processus. Prenez conscience du type de respiration qui se produit en ce moment. Par exemple, si vous avez tendance à être anxieux de nature, votre respiration sera plutôt courte et superficielle. Cet exercice d’observation de la respiration va vous permettre d’en prendre conscience et, en vous détendant, vous allez peut-être pouvoir respirer différemment. Si vous constatez que cette respiration est profondément ancrée dans votre système, vous pouvez essayer différents types de respiration. Il y a des gens qui se spécialisent dans la pratique de la respiration mais, dans le bouddhisme, on met surtout l’accent sur la prise de conscience du processus général de la respiration, une fois qu’un certain calme de l’esprit s’est installé.

Vous pouvez donc essayer d’observer l’état de votre corps et de votre esprit en ce moment : l’esprit est-il paisible ? Le corps est-il calme et détendu ? Si le corps et l’esprit semblent assez calmes, vous pouvez cesser de concentrer votre attention sur la respiration. Vous continuez à respirer, bien sûr, mais vous ne concentrez plus votre attention sur la respiration ; vous essayez plutôt de voir ce que devient l’esprit.

Quand l’esprit n’est pas fixé sur la respiration, où va-t-il ? Est-il attiré par des pensées ou des souvenirs ? Ou bien par certaines sensations du corps, par certains ressentis ? Il s’agit simplement d’observer. On part du point de référence qu’est la respiration et on voit vers quels objets l’attention est attirée. Peut-être va-t-on y penser, les analyser, les juger… A ce moment-là, mieux vaut revenir à la respiration. En effet, il est toujours mieux que l’attention soit enracinée dans le calme mental car, à partir de là, on peut voir comment l’esprit se comporte, comment il réagit et on peut prendre conscience des tendances mentales habituelles dans lesquelles l’identification à un moi va se cacher.

Il est donc important de commencer par ressentir ce qu’est le calme et comment utiliser la respiration pour ancrer ce calme en nous. En général, plus l’esprit est calme, plus la vision va être claire. Nous allons pouvoir voir ce qui se passe vraiment sans que les choses soient déformées par notre interprétation.

Méditation silencieuse…

Ressentez-vous des sensations plus fortes maintenant ? Pouvez-vous dire si elles sont agréables, désagréables ou neutres ?

Détendez votre posture.

L’attention aux ressentis

Tandis que nous développons cette qualité d’attention, nous pensons à ce que le Bouddha nous a proposé d’observer dans son discours sur Les Fondements de l’Attention. Le Bouddha a suggéré que nous portions une attention particulière au corps, aux ressentis physiques, aux états d’esprit et aux phénomènes mentaux. Grâce à des exercices spécifiques, nous devenons plus conscients des cinq agrégats qui composent cet ensemble corps-esprit. La plupart des gens ont le sentiment d’être une personne – moi – et il est très simple de vivre ainsi en disant « je », « je »… mais si on y regarde de plus près, avec attention, on constate que ce n’est pas aussi simple que cela.

Nous avons parlé ce matin de la question « Qui suis-je ? » C’est peut-être une question philosophique que beaucoup de gens se posent mais, pour ce qui concerne le développement de l’attention au niveau du corps et de l’esprit, nous devrions plutôt nous poser la question « Que suis-je ? »

Par exemple, si nous observons les cinq aspects de notre être [le corps, les sensations-ressentis, les perceptions-souvenirs, les pensées et la conscience sensorielle], nous constatons qu’ils sont la base de l’attachement ; ce sont eux qui nourrissent l’attachement. Lequel des cinq préférez-vous ? Le corps ou l’un des quatre agrégats mentaux ? Il est probable que vous vous identifiez à plus d’un, mais il arrive que certains domaines d’attachement prédominent. On peut, par exemple, être très identifié à ses pensées, aux activités mentales en général. Ces activités mentales se produisent et, pour une raison ou une autre, certaines personnes vont s’identifier particulièrement à elles, ce qui va renforcer leur sentiment de moi.

Quand j’étais écolier, je n’étais pas très bon en sport alors, pour être quand même accepté par les autres, je compensais en étudiant beaucoup. J’ai ainsi développé mes activités mentales et j’en ai été abondamment félicité, de sorte qu’au Bac j’ai eu les meilleurs résultats de toute l’école… et j’ai été obligé d’aller à l’université et de continuer ainsi à alimenter mes pensées ! Mais plus tard, notamment quand j’ai appris la méditation en Thaïlande, j’ai remarqué que j’étais un peu trop détaché de mon corps. Quand on s’identifie à ses pensées, l’énergie prédomine au niveau des facultés mentales et fait défaut au niveau de la conscience du corps, ce qui crée un certain déséquilibre. Au lieu de maladies physiques, on peut alors craindre des maladies mentales ! Heureusement, j’ai découvert le bouddhisme, alors je n’ai pas fini à l’hôpital psychiatrique !

Il est donc important d’être conscient qu’il y a cinq aspects qui constituent notre être. Le Bouddha a dit que l’attachement ou la saisie peut se produire à chacun de ces niveaux et que, dans tous les cas, ce sera source de souffrance.

Dès que nous commençons à observer les cinq agrégats, nous remarquons qu’ils changent tout le temps, qu’ils ne sont donc pas fiables. Sur le plan relatif, nous avons besoin de vivre en paix avec tous ces aspects de notre être mais le problème survient quand nous nous en saisissons et nous nous y attachons. La plupart des gens s’identifient à un moi, non parce qu’ils « possèdent » ces aspects de leur être mais parce qu’ils s’y attachent désespérément. La différence entre l’être éveillé et le non-éveillé est très simple : l’Eveillé est également composé de cinq agrégats mais il est libre de toute saisie.

Alors, comment avoir un corps et un mental sans s’y attacher ?

D’abord, prendre conscience de leur existence en tant que simples agrégats, en tant que composants de notre être. La plupart des gens supposent qu’ils existent en tant que personne parce qu’ils se disent, par exemple : « ‘Je’ pense ». Mais quand on observe les activités mentales avec attention, on constate plutôt qu’il y a des pensées. D’ailleurs, en général, il n’y a personne qui accompagne ce processus ; la pensée se produit d’elle même. On se dit alors : « Ah ! Voilà des pensées. Qui pense ? Ce doit être moi ». Mais si c’était le cerveau qui pensait ?

Si nous observons les choses ainsi, nous découvrons qu’il n’est pas nécessaire de fabriquer un moi pour expliquer le processus de la pensée. On constate et on accepte que la pensée se produise d’elle-même. Ensuite, on peut l’observer : certaines pensées sont utiles, voire nécessaires, mais ce n’est pas le cas de toutes. Si, par exemple, vous remarquez qu’une pensée qui agite votre esprit est stupide, du point de vue de l’attention, vous pouvez simplement l’observer et dire : « Bon, c’est une pensée stupide. Elle va partir comme elle est arrivée ». Mais si vous remarquez une pensée stupide et que vous vous en saisissez, vous aurez un problème : « J’ai des pensées stupides. Je ne devrais pas penser ainsi. Je dois me débarrasser de ces pensées stupides. Il faut que je pense à quelque chose d’intelligent et je ne sais pas à quoi penser… » Pourquoi toutes ces complications alors que vous pouvez simplement observer qu’il ne s’agit que d’une pensée, d’une fabrication du mental ? Qu’elle soit stupide ou intelligente, elle ne fait qu’apparaître puis disparaître – sauf si vous vous en saisissez. Si vous ne vous en saisissez pas, si vous ne créez pas un moi à partir de vos pensées, il n’y a plus de problème de moi à résoudre.

Un jour, quelqu’un a demandé au Bouddha s’il avait des pouvoirs particuliers. Ayant la réputation d’être un grand maître, les gens lui attribuaient des pouvoirs surnaturels. Chose surprenante, le Bouddha répondit : « Oui, j’ai un pouvoir particulier ». L’homme s’attendait à ce que le Bouddha dise qu’il lisait les pensées des gens, qu’il volait dans les airs ou ce genre de choses. Mais le Bouddha dit : « Mon pouvoir consiste à savoir quand une pensée apparaît et quand une pensée disparaît ». Cela n’a pas l’air tellement exceptionnel, n’est-ce pas ? Et pourtant… Le Bouddha était capable de voir une pensée apparaître et de la laisser passer sans intervenir, sans la saisir.

Si nous développons la conscience des sensations et des ressentis agréables, désagréables ou neutres ainsi que la conscience de l’état d’esprit – autrement dit, la conscience de toutes ces activités ordinaires du corps et de l’esprit –, nous découvrirons peut-être comment le sentiment de moi apparaît à partir de là. Nous serons ensuite en mesure de voir toutes les complications et la souffrance qu’il en résulte et que nous greffons sur les situations de la vie. Nous réalisons alors qu’il n’est pas du tout judicieux de continuer à développer ce sentiment de moi, de continuer à le créer artificiellement. Dès lors, nous pouvons simplement nous dire : « Ah, il ne s’agit que d’une sensation… que d’un ressenti… que d’un état d’esprit…

Et ce qui est intéressant, à ce moment-là, c’est que toutes nos expériences deviennent plus vraies, plus complètes, plus claires. En général, quand un contact sensoriel se produit, nous nous identifions à lui, nous nous en saisissons, et nous y ajoutons tout notre vécu antérieur, lequel est toujours très déformé, confus, compliqué – donc différent de la réalité. C’est le pouvoir des tendances habituelles et des perceptions. Les domaines privilégiés de l’attachement sont les habitudes, les coutumes et les traditions, mais celles-ci sont tellement ancrées dans notre quotidien qu’il est difficile de les remarquer. Malheureusement, les habitudes ont une grande force d’efficacité et d’énergie qui favorise l’ego car elles cachent un fort sentiment de moi.

J’ai récemment lu un livre sur les neurosciences où l’on explique comment le cerveau crée des schémas habituels de fonctionnement. Nous croyons que nous avons des habitudes mais, en réalité, nous « sommes » des habitudes. Ces habitudes, ces vieilles manières de faire, de fonctionner, d’agir, nous ont créés. Pour certaines personnes, il est réconfortant de fonctionner ainsi.

La pratique consiste à observer la nature de ces aspects fondamentaux de notre être pour nous aider à nous échapper de l’emprise des vieilles habitudes qui continuent à recréer l’illusion d’un moi. Si vous vous contentez de vous répéter : « Il n’y a pas de moi, il n’y a pas de moi », cela reste une idée dans la tête. Par contre, quand vous voyez que la saisie cause des problèmes et les entretient perpétuellement, vous souhaitez, de vous-même, y mettre fin. Au début, on peut commencer par se saisir moins fort des choses, ou bien on peut lâcher complètement.

Pour voir les choses ainsi, il va falloir développer l’attention et une présence consciente. Dans la Tradition de la Forêt, la sagesse est liée à l’attention. On dit, en Pali, sati-paññā. Généralement les gens considèrent la sagesse comme une activité mentale : avoir plus de connaissances, d’informations. Mais, comme nous l’avons dit, accumuler des connaissances est encore une façon d’alimenter le moi : « Je sais, je sais, je sais ». Par contre, quand on réalise qu’on ne sait pas, on regarde plus attentivement les choses pour voir ce qui est réellement là. C’est cette vision claire de la réalité qui apporte la sagesse.

1 Autrement dit : êtes-vous le moi souffrant, le moi détendu, le moi jeune, le moi fatigué, etc. ? Donc : pouvons-nous vraiment nous identifier au corps ? Non, ce n’est pas un élément d’identification fiable. La démonstration du Bouddha continue ainsi avec les 4 autres khandha et, par élimination, nous comprenons que le moi auquel nous nous identifions habituellement n’est qu’un ensemble de processus, même s’il a une validité sur le plan relatif ou conventionnel. N d T