Le Dhamma de la Forêt


Proposition de pratique pour le Vassa 2021


L’Effort Juste


L’Anguttara Nikaya 6.55 parle du jeune moine Sona qui, malgré d’épuisants efforts dans sa pratique, ne parvient pas à atteindre la libération. À l’instant où, découragé, il envisage de quitter la vie monastique, le Bouddha lui apparaît et utilise l’image des cordes d’un luth trop ou pas assez tendues pour faire comprendre au jeune homme la notion d’effort juste. Voici comment se termine le sutta :

Le Vénérable Sona évalua alors la juste hauteur de sa persévérance, la mit en harmonie avec les [cinq] facultés puis reprit son thème de méditation. Vivant dans la solitude, à l’écart du monde, attentif, ardent et résolu, il ne tarda pas à atteindre et à demeurer dans l’espace suprême de la vie sainte […] le sachant et le réalisant par lui-même dans l'ici et maintenant. […] C’est ainsi que le Vénérable Sona devint, lui aussi, un arahant.


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L'Effort Juste, facteur de l’Octuple Sentier

L'Effort Juste est le sixième des huit facteurs du Noble Octuple Sentier qui se divise en Vertu, Méditation et Sagesse, et le premier de la partie Méditation1. Il a été présenté par le Bouddha de nombreuses façons différentes qui peuvent être regroupées ainsi :

    1/ Éviter ce qui est malsain et qui n’est pas encore apparu.

    2/ Abandonner ce qui est malsain déjà apparu et maintenir cet effort.

    3/ Développer ce qui est sain et qui n’est pas encore apparu.

    4/ Maintenir ce qui est sain déjà apparu et le perfectionner.

Parfois le Bouddha remplace le mot « malsain » par « états mentaux négatifs » comme la colère, la jalousie, l’avidité ou l’orgueil ; et le mot « sain » par « états mentaux positifs » comme la compassion, la sagesse et la générosité. D’autres fois il parlera d’abandonner la vue fausse pour développer la vue juste ; d’abandonner la parole fausse pour développer la parole juste ; d’abandonner l’action néfaste pour développer l’action juste.

Le principe reste le même : Les points 1 et 3 nous disent d’éviter ce que nous sentons être nocif et de développer ce que nous sentons être bon ; au point 2 il s’agit de prendre conscience de ce qui n’est pas « juste » dans notre vie et de le lâcher définitivement en pleine conscience ; le point 4 nous recommande d’être conscient des vertus qui sont déjà en nous – ce que nous avons trop souvent tendance à oublier – et de les développer autant que possible jusqu’à la perfection.

Pour nous aider à voir ce qui n’est pas « juste » dans notre vie, nous avons les 5 préceptes et les 5 obstacles2 ; et pour développer ce qui est sain, nous pouvons nous laisser inspirer par les 10 vertus3, les 7 facteurs d’éveil4 ou les 5 facultés spirituelles5 dont Ayya Khema dit qu’elles « se transforment en forces spirituelles si nous les cultivons et les développons » (Cf. chapitre 7 de Et s’il suffisait d’être présent).

Parmi ces 5 facultés dont s’est inspiré le Vénérable Sona, comme parmi les 10 vertus et les 7 facteurs d’éveil, on retrouve l’énergie, viriya. C’est le facteur mental derrière l'effort juste.


L’énergie, viriya

L’effort est une voie délicate à emprunter. On peut trop en faire et s’épuiser, comme le Vénérable Sona, ou encore l’utiliser pour alimenter le désir, l'agressivité ou l'ambition. L'effort juste doit être généré par une énergie saine, c’est-à-dire une énergie orientée vers la libération de la souffrance en passant par la générosité et la bienveillance ainsi que la vision juste ou compréhension juste.

Pour être orientée vers la libération de la souffrance, une énergie saine doit également travailler en association avec les 4 autres facultés spirituelles : la confiance, l’attention, la concentration et la sagesse. Sinon, viriya engendrera simplement une accumulation de mérites qui mûrira positivement dans le cycle des renaissances mais sans y mettre fin.

À maintes reprises, le Bouddha a souligné le besoin d'énergie, d’effort et d'une persévérance sans faille. La raison pour laquelle l'effort est si crucial est que chacun doit travailler à sa propre libération. Le Bouddha ne peut que nous indiquer le chemin ; le reste consiste à mettre ses précieuses indications en pratique et c’est une tâche qui demande de l'énergie.

Cette énergie doit être appliquée à l’entraînement de l'esprit. Au départ, notre esprit est obscurci par l’illusion du moi avec tout ce que cela implique d’égoïsme et d’ignorance. Il s’agit de le libérer, de le purifier et de l’illuminer par la sagesse. Pour transformer un esprit obscurci en esprit libéré, un effort soutenu est indispensable. Personne ne peut accomplir ce travail à notre place mais le Bouddha et tous les Éveillés sont la preuve que la tâche n'est pas hors de notre portée. Ils nous assurent que quiconque suit le chemin peut atteindre le même résultat. Ce qui est nécessaire, c'est l'effort, la pratique soutenue avec détermination, comme l’a fait le Bouddha avant son éveil quand il a déclaré : « Je ne renoncerai pas à mes efforts tant que je n'aurai pas atteint tout ce qui est réalisable par la persévérance. »


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Extraits du livre de Joseph Goldstein Le Chemin vers l’Éveil


  1. Empêcher l’apparition des pollutions mentales latentes

Le Bouddha a dit que l’Effort Juste est l’application de l’énergie à quatre grandes tâches. La première consiste à empêcher l’apparition d’états mentaux nuisibles non encore apparus. Cet aspect de l’Effort Juste s’appuie sur une compréhension fondamentale du fonctionnement de l’esprit. Dans les sutta, la description la plus pragmatique du nibbana est « un esprit libéré des racines néfastes de l’avidité, de l’aversion et de l’ignorance de la réalité ». Nous avons tous connu de nombreux moments où l’esprit était sain, non habité par ces pollutions mentales, mais nous avons aussi pu constater que certains facteurs nuisibles resurgissent fréquemment lorsque les circonstances changent. C’est ainsi que fonctionnent ce que l’on appelle les « pollutions mentales latentes ». Ce sont des états d’esprit qui ne sont pas présents sur le moment mais qui ont le potentiel de surgir chaque fois que les conditions sont favorables à leur réapparition.

C’est cette simple compréhension des choses qui peut inspirer un sentiment d’urgence spirituelle. Lorsque l’on mène une vie fondamentalement bonne et saine, il est facile d’être content de soi et de ses circonstances actuelles. Pourtant, même dans des conditions favorables, nous connaissons de nombreux moments où l’avidité, l’aversion ou l’ignorance apparaît. Nous voyons quelque chose de beau et nous le voulons ; notre esprit est attiré dans cette direction. Ou bien nous voyons quelqu’un faire quelque chose qui ne nous plaît pas et l’esprit est soudain plein de jugement et d’aversion. Ou encore, si nous sommes fatigués, notre esprit peut être morne et ignorant de la réalité. Donc, le premier des quatre grands efforts est de prendre clairement conscience de la force persistante de ces pollutions mentales latentes, de comprendre ce qui les fait apparaître et d’empêcher qu’elles apparaissent et prennent le dessus.

Alors, comment pratiquer ce premier aspect de l’Effort Juste ? Les étapes précédentes sur la voie – la parole juste, l’action juste et les moyens d’existence justes – ont apporté les fondations à l’édifice, du fait de l’abstention d’activités nuisibles. Il faut, à présent, nous entraîner à porter une sage attention aux différents objets dont nous faisons l’expérience au travers des sens. Si notre attention est ordinaire, superficielle et sans sagesse, nous tombons simplement dans les vieilles habitudes de réactivité. L’un des enseignements du Bouddha les plus radicaux, les plus ardus et aux répercussions les plus considérables est celui qui dit que, tant qu’il y a attachement à ce qui est agréable et aversion pour ce qui est désagréable, la libération est impossible. Il est évident que nous avons bien besoin d’une attention sage et soutenue pour affaiblir ces habitudes de l’esprit profondément conditionnées.

  1. Abandonner les états d’esprit malsains déjà apparus

Le deuxième grand effort consiste à abandonner les états d’esprit néfastes déjà apparus. Porter son attention sur les 5 obstacles signalés par le Bouddha est toujours la première stratégie à adopter. Si nous ne sommes même pas conscients de leur présence, il ne sera guère possible de les abandonner.

Parfois l’attention suffit : nous voyons ces états mentaux et ils s’auto-libèrent. Il arrive cependant que les obstacles soient tenaces et que nous ayons besoin de stratégies supplémentaires pour les abandonner. Dans un sutta, le Bouddha décrit cinq techniques pour chasser les pensées qui distraient et les états d’esprit malsains. La première consiste à utiliser leur contraire comme antidote. Par exemple, si l’aversion est présente, on va concentrer l’esprit sur metta ; ou bien si on est agité, on va calmer l’esprit en apaisant la respiration ; s’il y a une attaque d’envie ou de jalousie, on va orienter l’esprit vers mudita pour nous réjouir du bonheur de l’autre. Tous ces remèdes sont disponibles quand nous comprenons que nous avons une télécommande intérieure et donc, la possibilité de changer de chaîne à volonté.

Le second moyen d’écarter les états d’esprit négatifs déjà installés concerne l’application de hiri et ottappa, traduits respectivement par « respect de soi » et « respect des sages ». Ces facteurs très sains de l’esprit éveillent notre conscience et notre sens de la responsabilité. Réfléchir à ce qu’un sage dirait de nos pensées ou de nos actions négatives peut nous aider beaucoup à changer d’attitude. C’est pour cette raison que ces facteurs sont appelés « les gardiens du monde. » Mais il va falloir faire attention, quand nous repensons à ces actions dont nous ne sommes pas fiers, à le faire avec une sage compréhension et ne pas tomber dans des habitudes d’auto-jugement ou de culpabilité. Utilisés avec sagesse, hiri et ottappa peuvent nous libérer de l’emprise des pensées erronées.

[On peut encore soit détourner notre attention de l’obstacle, soit y faire face en examinant son origine et son impact sur l’esprit.] Enfin, si tout le reste échoue, le Bouddha suggère de faire preuve de force et de repousser délibérément la pensée malsaine.

Tous ces enseignements nous rappellent que la méditation est un art. Il ne s’agit pas de simplement suivre une technique ou de croire qu’il n’y a qu’une seule approche correcte. Au contraire, nous comprenons que l’esprit est une interaction cruciale et vibrante de divers contenus mentaux. Si nous sommes vraiment engagés sur la voie de l’éveil, nous examinons, expérimentons et testons différentes façons d’abandonner ce qui est néfaste. Le Bouddha était le suprême pragmatiste. Les enseignements ne parlent pas de dogmes mais de moyens habiles. À nous de voir et de comprendre ce qui fonctionne pour nous.

  1. Éveiller des états bénéfiques non encore apparus

Le troisième grand effort consiste à éveiller des états bénéfiques non encore apparus. Il y a plusieurs façons de catégoriser ces états d’esprit positifs mais nous les comprendrons peut-être de manière plus succincte sous la forme des sept facteurs d’éveil […]

  1. Maintenir et renforcer les états sains déjà apparus

Le quatrième et dernier grand effort consiste à maintenir et à renforcer les états d’esprit sains déjà apparus. Il s’agit là de nourrir et de soutenir ce que l’Abhidhamma appelle « les beaux facteurs mentaux. » Nous nous focalisons souvent sur nos points faibles et nos erreurs en oubliant les nombreux états d’esprit bénéfiques qui apparaissent en nous dans la journée.

Évoquer les sept facteurs d’éveil – ou tout autre état d’esprit bénéfique – et se familiariser avec eux est une bonne pratique. Ainsi nous pouvons les reconnaître quand ils sont présents en nous et les développer consciemment. Prendre conscience de ces beaux facteurs de l’esprit qui nous habitent renforce notre confiance et nous inspire toujours plus dans l’Effort Juste, nous propulsant ainsi sur la trajectoire qui mène tout droit vers l’éveil.


1 L’Octuple Sentier : A. Sagesse : 1. Compréhension juste ; 2. Pensée juste. B. Vertu : 3. Parole juste ; 4. Action juste ; 5. Moyens d’existence juste. C. Méditation : 6. Effort juste ; 7. Attention juste ; 8. Concentration juste.

2 Les 5 obstacles ou nivarana sont : désir sensoriel, aversion-malveillance, paresse-léthargie, agitation-inquiétude et doute-scepticisme.

3 Les 10 vertus ou parami sont : générosité, moralité, renoncement, sagesse, énergie, patience, foi, détermination, bienveillance et équanimité.

4 Les 7 facteurs d’éveil ou bojjhanga sont : attention, investigation, énergie, joie, calme, concentration et équanimité.

5 Les 5 facultés spirituelles ou indriya sont : foi, énergie, attention, concentration et sagesse.