Le Dhamma de la Forêt |
Quand nous développons l’attention en tant qu’outil fondamental pour permettre d’explorer la vérité qui est en nous, il faut appliquer un niveau d’effort et de persévérance proportionnel à la tâche. En effet, comme nous le savons tous, l’esprit est obscurci par d’épaisses couches de pollutions et de poisons mentaux. Si nous ne l’entraînons pas, si nous ne l’encourageons pas régulièrement, il s’affaiblira et se relâchera. Il n’aura pas la force nécessaire. La persévérance doit donc être toujours plus soutenue pour que l’investigation profonde puisse traverser les obstacles jusqu’à obtenir une claire vision pénétrante de toute chose.
La claire vision pénétrante n’est pas le fruit de la pensée spéculative mais d’un examen profond du fonctionnement de l’esprit quand celui-ci est parvenu à se centrer à un niveau adéquat de calme et de stabilité. Il est possible d’observer en profondeur chaque aspect de l’esprit quand il est neutre et calme, libre de toute pensée ou de l’attirance et de l’aversion que provoquent les pensées. Il est important de maintenir cet état d’esprit et, en même temps, de fouiller profondément en lui car une connaissance superficielle n’est pas une véritable connaissance. Tant que vous n’aurez pas examiné l’esprit en profondeur, vous ne saurez rien. L’esprit peut paraître calme extérieurement, mais, à ce niveau-là, vous ne pourrez pas avoir une claire vision de la façon dont l’esprit vagabonde sous l’influence des pollutions mentales, du désir et de l’attachement.
Vous devez donc essayer d’examiner votre esprit jusqu’à atteindre un niveau de conscience qui se maintienne en équilibre et vous permette de continuer à contempler les choses jusqu’à en obtenir une compréhension parfaitement nette. Si vous ne contemplez pas jusqu’à ce qu’une véritable connaissance apparaisse, votre attention restera à la surface des choses.
Il en va de même pour la contemplation du corps. Il faut examiner en profondeur les éléments physiques qui le composent et voir en quoi il est répugnant. Voilà ce que signifie « déchiffrer » le corps, le comprendre. En vous observant de près dans toutes vos activités, vous empêchez l’esprit de s’éloigner de la voie. Restez concentré sur la façon dont l’attention pulvérise les pollutions mentales au fur et à mesure qu’elles apparaissent. C’est un travail très délicat.
En étant vigilant, en ne vous laissant pas distraire par les objets extérieurs, vous faciliterez votre pratique. Cela vous permettra d’examiner correctement les parasites de l’esprit, de façon à pouvoir en éliminer les plus subtils : l’ignorance de ce qui est, la compréhension erronée des choses. En temps normal, nous ne sommes pas pleinement conscients des parasites les plus évidents mais, maintenant que ceux-là sont désactivés grâce à la solide concentration de l’esprit, nous pouvons fouiller plus profondément pour avoir un aperçu de la façon dont le désir et les pollutions mentales nous trompent à chaque fois qu’ils entrent en action. Si nous les observons et apprenons à les reconnaître, nous serons en mesure de les lâcher dès qu’ils seront en quête d’objets agréables à voir, de sons plaisants, d’odeurs ou de saveurs alléchantes. Qu’ils soient en quête de plaisirs physiques ou mentaux, nous devons les connaître sous toutes leurs formes, même si ce n’est pas facile du fait de notre perpétuelle recherche de gratification sensorielle. Nos désirs de bonheur – de même que toutes nos perceptions, nos pensées et nos états de conscience imprégnés de sensations agréables – ne sont rien d’autre que des désirs pour des illusions, pour des choses qui nous captivent et nous distraient. Le résultat en est qu’il ne nous est guère facile d’y comprendre quelque chose.
Ce sont des questions subtiles et elles relèvent toutes de l’avidité des sens. Le désir, la sensualité et l’amour poussent l’esprit à s’évader dans le souvenir de choses agréables vues, entendues, senties, goûtées ou touchées. Même si ces souvenirs remontent à loin dans le temps, nos perceptions les ramènent en prétendant qu’ils étaient agréables ou déplaisants. Une fois que nous nous emparons de ces idées, elles perturbent l’esprit et le brouillent.
Il n’est donc pas facile d’examiner et de comprendre tous les parasites de l’esprit. Les éléments externes que nous pouvons reconnaître et lâcher sont mineurs. Les plus importants se sont regroupés pour prendre le contrôle de l’esprit et ne bougeront pas quoi que vous fassiez pour les en chasser. Ils sont obstinés et déterminés à garder le contrôle. Si vous vous y attaquez alors que votre attention et votre sagesse ne sont pas prêts à la bataille, vous finirez par perdre votre calme intérieur.
Par conséquent, vous devez veiller à ne pas trop forcer la pratique, sans pour autant la relâcher trop non plus. Trouvez la Voie du Milieu qui est parfaitement juste. Tandis que vous pratiquez ainsi, vous pourrez voir à quoi ressemble l’esprit quand il est guidé par l’attention et la sagesse et, à ce moment-là, vous ferez l’effort de le maintenir dans cet état en continu. C’est alors que l’esprit aura l’occasion de s’arrêter et d’être immobile, stable et centré, pendant de longues périodes jusqu’à ce que cet état lui soit devenu habituel.
Il y a cependant certains domaines où nous devons forcer l’esprit et être fermes avec lui. Si nous sommes faibles et indolents, que nous cédons généralement à tous nos désirs, nous n’aurons aucune chance de succès ; continuer à leur céder ne fera que renforcer cette habitude. Il faut donc utiliser la force ; la force de la volonté ainsi que la force de l’attention et de la sagesse. Même si vous en arrivez à devoir mettre votre vie en jeu, vous devez être disposé à le faire. Quand le moment arrive pour vous d’être vraiment sérieux, vous devez tenir bon jusqu’à la victoire. Si vous ne gagnez pas, n’abandonnez pas. Persévérez ! Faites une promesse, prenez un engagement pour vous forcer à dépasser vos désirs obstinés de gratification sensorielle qui vous tentent et vous éloignent de la voie.
Si vous êtes faible et que vous cédez au premier plaisir qui se présente, quand le désir se présentera, vous tomberez dans son piège. Si vous vous laissez souvent tenter par vos envies, cela deviendra habituel car les pollutions mentales sont toujours à l’affut d’une occasion de vous tenter, de vous stimuler. Quand on essaie de se libérer d’une accoutumance – au café, à la cigarette ou à la viande – c’est difficile parce que l’envie revient toujours nous tenter : « Prends-en juste un peu. Juste pour goûter. Ce n’est pas bien grave. » Le désir sait comment nous leurrer, exactement comme le poisson se fait prendre par un leurre qui dissimule l’hameçon : au début, il n’en mange qu’un petit peu puis encore un petit peu et encore jusqu’à, inévitablement, se faire prendre. Les démons des pollutions mentales nous cernent de tous côtés. Une fois que nous cédons à leurs délicieuses saveurs, nous sommes certains de nous faire prendre à l’hameçon. Nous avons beau nous démener et nous débattre, nous ne pouvons pas nous libérer.
Vous devez réaliser que vaincre vos ennemis – les désirs et les pollutions qui obstruent le cœur et l’esprit – n’est pas une mince affaire. Cette bataille n’a rien d’ordinaire. Vous ne pouvez pas vous permettre d’être faible ou indolent mais vous devez aussi savoir évaluer votre force. Les pollutions mentales et les désirs ont la puissance de démons ; vous devez donc apprendre à exercer vos efforts au mieux pour les vaincre et les détruire.
Vous n’aurez pas à vous battre à mort dans tous les domaines. Pour certaines choses – comme renoncer à une dépendance – vous pourrez mener une guerre totale et en sortir vainqueur sans avoir à vous tuer en chemin. Mais pour d’autres choses, plus subtiles et profondes, il vous faudra plus de finesse et de perspicacité. Vous devrez découvrir comment en venir à bout sur le long terme en déterrant leurs racines. Cela les affaiblira progressivement jusqu’au moment où votre attention et votre sagesse pourront les écraser. S’il y a des domaines où vous avez plus de difficultés, examinez-vous avec finesse et découvrez pourquoi. Sinon, vous continuerez à entretenir ces difficultés car, lorsque les pollutions mentales veulent vraiment quelque chose, elles piétinent sans pitié attention et sagesse, déterminées à obtenir ce qu’elles veulent : « Voilà ce que je veux et je me moque bien de ce que les autres en pensent. » Elles sont vraiment aussi obstinées que cela ! Trouver une stratégie pour les maîtriser n’est donc pas une mince affaire. C’est comme se trouver face à face avec un ennemi ou face à une bête sauvage qui se précipite sur vous pour vous dévorer. Qu’allez-vous faire ?
Quand les pollutions mentales vous sautent au visage, il faut être prudent. Imaginons que vous soyez pleinement présent et attentif, et que, soudainement, elles surgissent et vous assaillent. Quelle sorte d’attention et de sagesse allez-vous utiliser pour les disperser ? Pourrez-vous vous dire : « Ce sont les hordes de Māra venues me brûler et me dévorer. Comment vais-je m’en débarrasser ? » En d’autres termes, pourrez-vous trouver un moyen habile de les examiner de façon à les anéantir sur-le-champ ?
Nous devons trouver ce moyen, que nous soyons confrontés à la douleur physique et mentale ou au plaisir physique et mental. En réalité, le plaisir est plus sournois que la douleur parce qu’il est plus difficile à discerner et qu’il nous séduit plus facilement. La douleur, elle, ne séduit personne, tant elle est inconfortable. Alors, comment allons-nous considérer les choses pour lâcher aussi bien le plaisir que la douleur ? C’est un problème auquel nous sommes confrontés à tout moment. Quand nous pratiquons, il ne s’agit pas de n’accepter que le plaisir et de nous arrêter dès que la douleur apparaît. Absolument pas. Nous devons apprendre à déchiffrer les deux aspects : voir que la douleur est impermanente et cause de souffrance, et que le plaisir est également impermanent et également cause de souffrance. Nous devons voir clair dans tout cela sinon nous serons bernés par la duplicité des désirs qui réclament du plaisir. Si nous y regardons bien, tout ce que nous faisons – quand nous sommes assis, debout, en train de marcher ou allongés – c’est pour nous faire plaisir, n’est-ce pas ?
C’est la raison pour laquelle il y a tant et tant de manières de se fourvoyer dans le plaisir. Quoi que nous fassions, nous le faisons pour y trouver du plaisir, sans réaliser à quel point nous sommes embourbés dans la souffrance et le mal-être. Si nous n’avons pas examiné le plaisir à fond, quand nous méditons pour contempler l’impermanence, la souffrance et le non-soi nous n’arrivons à rien parce que nous croyons encore que le plaisir est une bonne chose. Nous devons approfondir le fait qu’il n’y a pas de véritable bien-être dans le plaisir mental ou matériel. Tout est souffrance. Quand on parvient à le voir sous cet angle, on arrive enfin à comprendre vraiment l’impermanence.
A partir de là, une fois que l’esprit n’est plus constamment axé sur la recherche du plaisir, sa souffrance va commencer à s’apaiser. Vous serez en mesure de voir qu’il s’agit là de phénomènes normaux, ordinaires. Vous verrez aussi que vous aurez beau essayer de changer ce qui ne vous convient pas pour trouver le bien-être, il n’y a aucun bien-être à trouver. Dès lors, vous cesserez de trop vous inquiéter de changer ce qui ne vous convient pas car vous verrez que les agrégats ne peuvent procurer ni plaisir ni bien-être mais qu’ils sont, au contraire, source de douleur et de souffrance. C’est l’enseignement du Bouddha que nous récitons tous les jours : « La forme est souffrance, les sensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience sensorielle sont toutes souffrance. » Le problème est que nous n’avons pas examiné à fond la vérité de notre propre corps, de nos sensations, de nos perceptions, de nos formations mentales et de notre conscience sensorielle. Notre vision n’est pas encore assez profonde parce que nous n’avons pas observé les choses sous l’angle de la véritable connaissance. C’est ainsi que nous nous faisons berner ici et que nous nous perdons là, dans notre recherche de plaisir ; nous ne trouvons rien que de la souffrance mais nous la prenons pour du plaisir. Cela prouve que nous n’avons pas encore ouvert nos oreilles et nos yeux, que nous ne connaissons pas encore la vérité. Quand nous connaîtrons vraiment la vérité, au lieu de vagabonder, l’esprit sera enclin à la tranquillité et au calme. S’il vagabonde tant aujourd’hui, c’est parce qu’il recherche le plaisir mais, une fois qu’il a réalisé qu’il est impossible de trouver un réel plaisir de cette manière, il se pose et se calme.
Tous les désirs qui stimulent et agitent l’esprit ne relèvent que d’une seule chose : la recherche du plaisir. Il est donc important que nous observions les agrégats de très près pour voir qu’ils n’ont aucun plaisir à offrir et que, de par leur nature même, ils sont cause de souffrance. Ils ne sont pas nous et ils ne nous appartiennent pas. Démontez-les et regardez-les bien, en commençant par le corps. Analysez le corps en le décomposant jusqu’au niveau des objets les plus élémentaires, jusqu’à ce que l’esprit ne puisse plus prétendre qu’il s’agit là d’un « moi » qui m’appartient. Faites-le et refaites-le jusqu’à vraiment le comprendre en profondeur.
C’est comme quand nous récitons chaque jour le passage des enseignements sur les Quatre Nécessités : nourriture, vêtements, abri et médicaments. Nous récitons ce texte pour vraiment bien le comprendre. Si nous ne le récitons pas tous les jours, nous oublions et nous nous fourvoyons en pensant qu’il s’agit de « mon corps », de « moi », et en nous inquiétant exagérément pour lui. Il nous est difficile de réaliser que nous nous identifions constamment au corps malgré les enseignements du Bouddha qui expliquent tout cela très clairement. Il se peut que nous ayons contemplé cela jusqu’à un certain point mais nous n’avons pas vu les choses clairement, seulement de manière vague, floue et puis nous sommes passés à autre chose sans être allés jusqu’au fond de la question. Si nous agissons ainsi, c’est parce que l’esprit n’est pas fermement centré ; il n’est pas calme. Il ne cesse de vagabonder, cherchant matière à penser et à s’agiter. Ce n’est pas ainsi qu’il pourra apprendre quoi que ce soit. Il n’a que des perceptions très légères. C’est ce qui se passe depuis des années et des années. C’est comme si notre vision était obscurcie par des taches qui n’ont toujours pas été retirées de nos yeux.
Ceux qui ne sont pas intéressés par ce type d’introspection, qui ne font pas l’effort d’aller jusqu’à la racine des choses, ne se posent aucune question. Bien sûr, ils ne sont pas assaillis par le doute, mais c’est parce que leur vision erronée des choses a étouffé les questions. Si nous commençons à explorer et à analyser les choses, nous nous poserons inévitablement des questions sur ce que nous ne connaissons pas encore : « Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que cela signifie ? Comment dois-je agir face à cela ? » Ce sont des questions qui nous poussent à explorer. Si nous n’explorons pas, c’est par manque d’intelligence. Nous avons peut-être quelques petits éclairs de compréhension mais nous les laissons passer, de sorte que nous n’explorons jamais en profondeur les principes fondamentaux de la pratique. Le peu que nous savons ne mène à rien, ne pénètre pas les Nobles Vérités, parce que notre attention et notre sagesse manquent de force. Notre persévérance n’est pas assez soutenue, n’est pas assez courageuse. Nous n’osons pas regarder profondément en nous.
S’imaginer que l’on peut estimer soi-même jusqu’où il faut aller dans la pratique, c’est se mentir à soi-même. Cela nous empêche de parvenir à la libération de la souffrance. Si vous parvenez à avoir quelques éclairs de compréhension, n’allez pas vous en vanter sinon vous finirez par vous tromper vous-même de toutes sortes de manières. Ceux qui ont vraiment acquis la connaissance, même quand ils ont atteint les différents niveaux de compréhension, veillent à poursuivre leur investigation. Ils ne se laissent pas bloquer à un niveau ou un autre. Même quand leur compréhension est correcte, ils ne s’arrêtent pas là pour s’en vanter comme le ferait un imbécile.
Les gens intelligents, même s’ils voient les choses clairement, gardent toujours l’œil sur les ennemis qui les attendent plus loin, à des niveaux plus profonds, plus subtils. Ils doivent avancer de plus en plus profondément. Ils ne se disent pas que tel ou tel niveau suffit amplement – car comment pourrait-il suffire ? Tant que les pollutions mentales continuent à brûler, de quoi pouvons-nous nous vanter ? Même si ce que l’on a découvert est vrai, comment s’en satisfaire alors que l’esprit n’a toujours pas établi de solides fondations ?
Tandis que l’on explore tous les phénomènes avec attention et sagesse, notre plus grand ennemi est l’autosatisfaction. Vous devez être très vigilant dans la pratique si vous voulez rester conscient que la vie passe, qu’elle passe avec chaque instant. Alors, comment vivre en étant aussi vigilant ? C’est une question extrêmement importante car, si vous ne vous la posez pas, quel que soit le nombre de jours ou de mois passés à pratiquer la méditation ou la retenue des sens, cela restera un exercice momentané. Quand il sera fini, vous retrouverez la même agitation qu’avant.
Veillez bien à vos paroles aussi ! Vous aurez du mal à ne pas vous vanter car les pollutions mentales vont vous inciter à parler. Elles veulent parler, elles veulent se vanter ; elles ne vous permettront pas de rester silencieux.
Si vous vous forcez à méditer sans comprendre les véritables objectifs de la pratique, vous finirez par vous tromper vous-même et vous direz aux gens : « J’ai pratiqué en silence pendant tant de jours, tant de mois. » Cela, c’est vous tromper vous-même et tromper les autres. La vérité, c’est que vous êtes encore esclave de la bêtise parce que vous obéissez aux nombreux niveaux de pollution mentale et de désir qui sont en vous sans même vous en rendre compte. Si quelqu’un fait votre éloge, vous redressez les oreilles, vous bougez la queue et, au lieu d’expliquer le mal que causent les pollutions mentales et le désir que vous avez découverts en vous, tout ce que vous voulez c’est vous vanter.
On ne peut donc pas avancer dans la pratique du Dhamma de façon brouillonne. C’est quelque chose qu’il faut faire avec une intelligence pleinement éveillée. Quand on contemple ainsi les choses avec circonspection, on voit qu’il n’y a rien qui vaille la peine que l’on s’en préoccupe, que tout, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, n’est qu’illusion. C’est comme voguer seul au milieu de l’océan sans aucune île ou rive en vue. Peut-on se permettre de s’assoir et de se détendre, de faire quelques efforts et puis de s’arrêter pour s’en vanter ? Bien sûr que non ! Plus votre investigation avance en profondeur à des niveaux subtils de l’esprit, plus vous devez devenir calme et réservé, exactement comme les gens deviennent plus réservés en grandissant depuis l’enfance, jusqu’à l’adolescence puis l’âge adulte. Votre attention et votre sagesse doivent gagner en maturité pour comprendre ce qui est correct et ce qui est incorrect, pour distinguer le vrai du faux, dans tout ce qui se présente. C’est cela qui vous permettra de lâcher prise et de trouver la libération. Et c’est cela qui fera que votre vie dans la véritable pratique du Dhamma se déroulera paisiblement. Sinon, vous vous illusionnerez en vous vantant du nombre d’années où vous avez pratiqué la méditation et vous finirez par vous retrouver plus mal en point qu’avant, attaqué de toutes parts par les pollutions mentales. Si telle est la voie que vous suivez, vous finirez par tomber tête la première dans le feu car, quand on relève la tête avec orgueil, on tombe dans les flammes qui brûlent déjà à l’intérieur.
Pratiquer signifie utiliser le feu de l’attention et de la sagesse pour contrer et éteindre les flammes des pollutions mentales. Le cœur et l’esprit brûlent du fait des pollutions mentales mais, quand nous utilisons le feu de l’attention et de la sagesse pour éteindre le feu des pollutions mentales, l’esprit peut se rafraîchir. Agissez ainsi en étant toujours plus honnête envers vous-même, sans laisser la moindre ouverture qui permettrait aux pollutions mentales et aux désirs de reprendre le contrôle. Pour cela, vous devez être extrêmement vigilant. Circonspect. Attentif aux pollutions mentales et aux désirs. Ne tombez pas dans leur piège ! Si vous vous laissez séduire par leurs arguments, cela signifie que votre attention et votre sagesse sont encore faibles. Ils vous mènent par le bout du nez, vous brûlent de leur feu sous vos yeux, et vous êtes encore capable d’ouvrir la bouche pour vous vanter !
Alors, tournez-vous vers l’intérieur et prenez la mesure de tout ce qui s’y trouve. Considérez tous les aspects parce que le vrai et le faux sont tous deux en vous. Ce n’est pas à l’extérieur que vous les trouverez. Les choses blessantes que l’on dit de vous ne sont rien par rapport aux blessures causées en vous quand les pollutions mentales vous brûlent, quand votre sentiment de « moi » et de « mien » redresse la tête.
Si vous ne retrouvez pas honnêtement votre bon sens, votre pratique du Dhamma ne pourra en aucun cas vous libérer de l’immense masse de souffrance et de peine. Vous obtiendrez peut-être quelques connaissances et vous vous libèrerez de certaines choses, mais les racines du problème seront toujours profondément enfouies en vous. C’est cela que vous devez éradiquer. Vous ne pouvez pas vous permettre de vous reposer après avoir entraperçu la vacuité et l’équanimité ; cela ne vous mènera à rien. Le poison des pollutions mentales est profondément instillé dans la personnalité ; il faut donc utiliser l’attention et la sagesse pour pénétrer en profondeur et procéder à un examen précis et complet. Ce n’est qu’alors que vous obtiendrez des résultats. Sinon, si vous restez à un niveau superficiel, vous pourrez pratiquer jusqu’à ce que votre corps pourrisse dans son cercueil sans que la moindre de vos habitudes ait changé.
Ceux qui sont scrupuleux de nature, qui savent observer leurs propres défauts, resteront attentifs au moindre signe d’orgueil en eux. Ils essaieront de maîtriser et de détruire l’orgueil où qu’il se présente et ne lui permettront pas d’enfler. Les méthodes que nous devons utiliser pour examiner et détruire les pollutions de l’esprit ne sont pas faciles à maîtriser. Pour ceux qui ne s’observent pas en profondeur, la pratique risque même d’enfler leur orgueil, leur vantardise, leur désir d’aller enseigner aux autres. Mais si nous nous tournons vers l’intérieur et que nous percevons les tromperies et l’orgueil du « moi », un profond sentiment de désenchantement et de consternation apparaît. Nous avons pitié de nous-mêmes, de notre propre stupidité, en voyant à quel point nous nous sommes trompés tout au long et en constatant tous les efforts que nous devons encore investir dans la pratique.
Alors, si grandes que soient votre douleur et votre angoisse, si abondantes que soient vos larmes, persévérez ! Pratiquer, ce n’est pas se contenter de trouver un plaisir mental et physique. « Que les larmes inondent mes joues mais je poursuivrai mes efforts pour réaliser le Dhamma tant que je vivrai. » Voilà comment il faut aborder les choses ! Ne baissez pas les bras à la moindre difficulté en pensant : « C’est une perte de temps. Je ferai mieux de poursuivre mes désirs et mes tendances ». Vous ne devez pas penser ainsi ! Vous devez avoir l’attitude inverse : « Quand je serai tenté de m’emparer de ceci, de prendre beaucoup de cela, je ne cèderai pas ! Aussi fantastique que soit la chose, je ne mordrai pas à l’hameçon. » Prenez des engagements fermes ! C’est la seule façon d’obtenir des résultats. Sinon vous n’arriverez jamais à vous libérer parce que les pollutions mentales ont toutes sortes de tours dans leur sac. Si vous arrivez à en reconnaître un, elles s’empressent de vous en présenter un autre et puis un autre.
Si nous ne sommes pas assez observateurs pour voir combien nous avons été trompés par les pollutions mentales de toutes sortes de façons, nous ne parviendrons pas à connaître la vérité qui est en nous. Il y a des gens qui nous trompent de temps en temps mais les pollutions mentales, elles, nous trompent constamment. Nous nous laissons appâter par elles et nous les avalons avec l’hameçon. Notre confiance dans le Bouddha n’est rien par rapport à notre confiance dans l’illusion que les pollutions mentales arrivent à créer. Nous sommes disciples des démons du désir, nous les laissons nous mener de plus en plus profondément dans leur jungle.
Si nous ne méditons pas, nous n’observons pas les choses pour les voir par nous-mêmes, nous nous perdons dans le charnier de cette jungle où les démons ne cessent de nous rôtir pour nous faire bouillir de désirs et de toutes sortes de souffrances. Même si vous êtes venu séjourner dans ce lieu où il y a peu de distractions, les démons réussissent à vous tenter et à vous éloigner. Voyez comme vous salivez quand une nourriture agréable est présentée !
Alors, à vous de décider si vous voulez être un guerrier ou un perdant. La pratique exige que vous vous battiez contre les pollutions mentales et les désirs. Soyez toujours sur vos gardes, quelle que soit leur approche pour vous séduire et vous tromper. Il n’y a personne ici qui viendra vous éloigner du but mais le démon de vos propres pollutions mentales peut le faire parce que vous êtes prêt à lui faire confiance, à être son esclave. Vous devez vous observer très attentivement pour ne plus être son esclave et pour pouvoir trouver la complète libération intérieure. Faites un effort pour développer votre attention et votre sagesse et avoir ainsi une vision claire des choses. Ensuite, lâchez prise jusqu’à ce que toutes les formes de souffrance disparaissent !