Le Dhamma de la Forêt |
Il est important que nous parlions des étapes de la pratique de l’entraînement de l’esprit car l’esprit dispose de toutes sortes de tours qu’il se joue à lui-même. Si vous n’êtes pas attentif, si vous ne les percez pas à jour, il est très difficile de ne pas tomber dans leur piège, même si vous veillez continuellement à l’état de votre esprit. Il faut faire un effort particulier pour se concentrer sur l’observation de ces choses-là, à tout moment. La seule attention ne suffira pas à faire naître une véritable connaissance ; au mieux, elle peut vous apporter une légère protection contre les effets des contacts sensoriels mais, sans un approfondissement concentré, l’esprit ne sera absolument pas en mesure de révéler les connaissances qu’il détient.
Voilà pourquoi vous devez vous entraîner à être constamment présent à toute chose. Et quand vous parvenez à connaître une chose telle qu’elle est réellement, il ne reste plus que le lâcher-prise, lâcher-prise. Au début, cela signifie qu’il ne viendra à l’esprit aucune pensée stupide ou mal avisée ; l’esprit s’arrêtera simplement pour observer, pour être clairement conscient de lui-même à tout moment. Si vous devez vraiment penser à quelque chose, maintenez vos pensées sur les thèmes de l’impermanence, l’insatisfaction et l’impersonnalité. Il est important que votre esprit ne mette que des mots relatifs à ce genre de catégories car si votre façon de penser et les mots qui l’expriment sont corrects, vous parviendrez à voir les choses correctement. Si vous allez dans la direction opposée, votre pensée sera erronée, vous mettrez des mots incorrects sur les choses et, de ce fait, vous ne verrez pas les choses telles qu’elles sont en réalité. C’est ce qui maintient l’esprit caché à lui-même.
Par contre, quand des pensées et des mots apparaissent dans l’esprit, si vous concentrez votre attention pour les observer de très près, vous verrez que ce ne sont que des ressentis – des sensations ou des sentiments qui apparaissent et disparaissent, qui sont donc changeants, inconstants et illusoires. Si vous ne faites pas l’effort de les observer attentivement en y concentrant toute votre attention, vous tomberez dans le piège des pensées. En d’autres termes, l’esprit donne naissance à des souvenirs du passé et fabrique des problèmes liés au passé mais, si vous êtes tout de suite conscient de ce qui se passe, vous verrez que tout cela est illusoire. Il n’y a rien de réel dans ces pensées. C’est vrai aussi pour l’interprétation que l’esprit donne aux contacts sensoriels – agréables ou désagréables – au moment où ils apparaissent : si vous les observez de près avec attention, vous verrez qu’ils sont tous trompeurs. Il n’y a en eux aucune vérité absolue. Mais l’ignorance et la mauvaise compréhension s’en emparent et font tourner l’esprit en rond. Il ne sait plus où il en est ; il ne voit pas comment ces choses apparaissent, durent un temps puis disparaissent ; alors il s’en saisit et se fait berner de toutes sortes de façons. Si vous ne vous arrêtez pas pour observer les choses attentivement en y concentrant toute votre attention, vous n’aurez aucun moyen de voir la réalité au travers de tous ces phénomènes.
Mais si l’esprit garde un bon équilibre ou s’il s’arrête pour observer et apprendre à connaître son propre fonctionnement, il peut parvenir à comprendre ces choses telles qu’elles sont en réalité. Quand il les voit clairement, il peut automatiquement les laisser aller sans être attaché à quoi que ce soit. Telle est la connaissance qui vient avec l’attention véritable et le discernement : l’esprit sait et lâche prise ; il ne se saisit de rien. Quoi qu’il arrive, que ce soit bien ou mal, plaisant ou douloureux, quand l’esprit a cette connaissance, il ne se saisit de rien. Quand il ne se saisit de rien, il n’y a pas de tension, pas de souffrance. Il faut vraiment que vous entriez bien cela dans votre tête : quand il ne se saisit de rien, l’esprit peut rester dans un état de « normalité », vide, non perturbé, tranquille et silencieux. Mais s’il ne se connaît pas, s’il ne comprend pas cette façon qu’il a de fonctionner, il se laissera tromper par les poisons mentaux et le désir. Il fabriquera toutes sortes de pensées tortueuses et compliquées qui lui donneront beaucoup de fil à retordre car elles sauront lui jouer des tours pour qu’il s’attache à elles. Et tout cela simplement parce que l’esprit se sera laissé piéger par les poisons du mental et les désirs qui sont en lui. Le fait qu’il ne se connaisse pas bien, qu’il ne voie pas clairement comment les états d’esprit apparaissent et disparaissent et se saisissent de pensées, a pour conséquence qu’il se perd dans de très nombreux attachements.
Il n’y a rien de plus difficile à surveiller que l’esprit car il est terriblement habitué à émettre sans cesse des idées et des opinions erronées. Ce sont elles qui l’empêchent de se connaître. Mais, grâce aux enseignements du Bouddha, nous pouvons percer à jour le fonctionnement de l’esprit, de la conscience, avec toutes ses épaisseurs et ses circonvolutions, lesquelles, si vous regardez bien en profondeur, se trouvent être vides, totalement vides de sens.
Il s’agit d’une vacuité qui peut apparaître clairement dans la conscience. Même si elle est cachée et profonde, nous pouvons la percer en tournant le regard vers l’intérieur dans le silence et le calme. L’esprit s’arrête pour observer et comprendre ce qui est en lui. Il se désintéresse alors des contacts sensoriels – objets vus, sons, odeurs, saveurs et autres – parce que toute son attention est dirigée vers la conscience pure et simple pour voir ce qui apparaît en elle et comment cela engendre des problèmes. Sensations, pensées, mots pour décrire le plaisir et la douleur… Tout cela, ce sont des phénomènes naturels qui changent dès qu’ils sont ressentis et qui sont très fins. Si vous les prenez au sérieux, comme étant liés à telle ou telle situation, vous serez incapable de comprendre leur véritable nature. Plus vous leur donnez un sens compliqué, plus vous vous égarez ; vous vous égarez dans la spirale du cycle des renaissances.
Le cycle des renaissances et les processus de formation des pensées sont une seule et même chose. Par conséquent, nous tournons en rond indéfiniment, perdus non pas dans un, mais dans d’innombrables niveaux de formations mentales. La connaissance qui permettrait de comprendre le cœur et l’esprit n’arrive pas à percer car elle tourbillonne précisément dans ces formations mentales, cherche à leur donner du sens et s’en saisit. Si elle décide qu’elles sont bonnes, elle s’en saisit comme étant de bonnes pensées ; si elle décide qu’elles sont douloureuses, elle s’en saisit comme étant des pensées douloureuses. Voilà pourquoi l’esprit demeure tout entier dans la spirale du cycle des renaissances, le cycle des pensées.
Voir ces choses clairement nécessite donc l’effort de s’arrêter et d’observer, de s’arrêter et de connaître les choses correctement, de manière juste. En même temps, il faut utiliser vos capacités d’observation. C’est cela qui vous permettra de lire en vous-même de cette façon particulière. Sinon, si vous vous saisissez des problèmes soulevés par les pensées et les mots, ils vous feront tourner en rond indéfiniment. Vous devez donc vous arrêter et observer, vous arrêter et prendre clairement conscience de ce qui est, en vous concentrant de manière très pointue sur la conscience qui régit tout. De cette manière, votre connaissance sera juste et droite.
Au bout du compte, vous verrez qu’il n’y a rien du tout, simplement des phénomènes qui apparaissent puis disparaissent, à tout moment, au milieu de la vacuité. Si vous ne vous en saisissez pas, il n’y a pas de problème. Il n’y a que ce phénomène naturel d’apparition et de disparition. C’est parce que nous ne voyons pas ces choses avec simplicité, comme des phénomènes naturels, que nous croyons qu’ils ont une réalité absolue ; alors nous nous en saisissons comme étant « moi », comme étant bonnes ou mauvaises, et toutes sortes d’autres choses compliquées. Cette vision erronée des choses nous maintient dans une spirale infernale ; nous ne comprenons plus rien, nous ne savons pas ce qu’il faudrait lâcher pour en sortir. Quand nous ne savons pas, nous nous sentons perdus comme quelqu’un qui erre dans la jungle sans savoir quoi faire pour en sortir.
En réalité, ce que nous devons lâcher est juste devant nous, là où l’esprit fabrique des pensées, leur colle des mots et leur donne du sens, de telle sorte qu’il oublie qu’il ne s’agit que de phénomènes naturels dont la caractéristique est d’apparaître et de disparaître, purement et simplement. Si vous pouvez rester simplement là, à observer et identifier correctement ce qui apparaît dans l’esprit, sans avoir besoin de penser, d’interpréter, d’imaginer, simplement en observant le processus du fonctionnement de l’esprit en lui-même, il n’y aura aucun problème. Il n’y aura que ce phénomène de l’instant présent : apparition, durée, disparition, apparition, durée, disparition… Il n’y a rien d’extraordinaire là-dedans mais il faut vous arrêter et observer, vous arrêter et prendre conscience de ce qui se passe en vous à tout moment. Ne permettez pas à votre attention de s’évader vers des préoccupations extérieures ; concentrez-la pour qu’elle apprenne à se connaître elle-même clairement, pour qu’elle voie qu’il n’y a rien qui vaille la peine que l’on s’en saisisse. Tout n’est qu’une série de pièges trompeurs.
Savoir cela est déjà très utile pour voir la vérité en vous. Vous verrez que la conscience est vide de « moi », qu’elle est impersonnelle. Quand vous regarderez des phénomènes physiques, vous les verrez comme des éléments, comme étant vides de « soi ». Vous verrez les phénomènes mentaux comme étant vides de « soi », comme des éléments de la conscience. Et vous verrez que, s’il n’y a pas d’attachement à ces phénomènes physiques et mentaux, si vous ne vous en saisissez pas en croyant qu’ils sont « vous », il n’y a ni tension ni souffrance.
Alors, même si des pensées habitent l’esprit, observez-les simplement, laissez-les passer simplement, et le cycle ralentira. Il y aura de moins en moins de formations mentales. Même si l’esprit ne s’arrête pas complètement, il fabriquera de moins en moins de pensées. Vous serez en mesure de vous arrêter pour observer, de vous arrêter pour comprendre ces phénomènes mentaux de plus en plus clairement. Ainsi, vous parviendrez à voir les tours que nous jouent les pensées, le piège des mots qu’on leur attribue, du plaisir et de la douleur, etc. Vous serez en mesure de voir qu’en réalité il n’y a rien à l’intérieur et que la cause de votre saisie de ces choses du mental était l’ignorance de cette réalité ; c’est ainsi que vous vous êtes vous-même fait souffrir juste là, dans cette ignorance…
Vous devez donc vous
concentrer sur un point précis, une seule chose. Si vous vous
concentrez sur plusieurs choses, cela ne fonctionnera pas. Maintenez
l’attention en place : s’arrêter, prendre conscience de ce
qui est, voir. Ne laissez pas l’attention s’envoler vers des
pensées et des mots. Mais connaître les choses ainsi exige de faire
l’effort de rester focalisé, focalisé sur la vision claire des
choses, pas seulement sur le calme de l’esprit. Concentrez-vous sur
la vision pénétrante. Tournez le regard vers l’intérieur pour
voir en profondeur et voyez comment lâcher prise. L’esprit se
libèrera car c’est sa nature, et vous le saurez seulement de
l’intérieur.